Lundi de la deuxième semaine

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Nous étions allés à la rivière pour pique-niquer. Il y avait plus de monde que la dernière fois, mais nous avons trouvé un endroit à l'écart, agréable, ombragé par les feuillages des arbres. Ma mère et moi avions mis le paquet : salade de riz, tomates mozzarella, carottes râpées, tranches de dinde, chips, saucisson, fromage, raisins, petits gâteaux, et cætera : nous avions fait un pique-nique de roi, après avoir fait les courses ce matin.

Quand nous étions rentrées, Antoine avait failli hurler de joie en voyant toute la nourriture que nous avions ramenée. Il fallait dire qu'on picorait ce qu'il restait depuis deux jours. Puis il nous avait aidé à ranger, en m'adressant des sourires entendus à plusieurs reprises.

Lui et moi avions beaucoup parlé, hier soir, lorsque nous étions remontés dans la chambre. De nos souvenirs ensemble autant que du fait que nous avions changé. Lui trouvait que je m'étais embellie, avec le temps ; que j'avais pris du poids était une bonne chose, les traces d'anorexie avaient disparu. Moi je me trouvais encore trop mince et pas assez musclée. Puis il m'avait convaincue en disant que si le compliment venait de lui, je n'avais pas de raisons de m'en faire.

Ce matin, il n'avait pas arrêté de m'embêter en disant que, du coup que j'avais grossi (même si ça restait un grand mot), il ne savait plus s'il devait continuer à m'appeler Planche à Pain ou alors me renommer Gros Tas. Ça m'avait fait exploser de rire, tandis que ma mère l'avait considéré avec un regard si méchant qu'il n'osait même plus lui parler. Mais ça me rendait heureuse : j'avais retrouvé mon Antoine taquin.

- C'est un pique-nique d'ogres, ce que vous nous avait fait là, commenta-il en piochant une tomate cerise dans un bol.

- C'est parce qu'on voulait faire plaisir à notre Gros Tas préféré, répondit ma mère.

Parce que, maintenant, c'était elle qui donnait un surnom à Antoine. Je riais pendant qu'il mangeait sa tomate cerise en blêmissant.

- Je te taquine, Antoine, rit Maman.

Assise à côté de lui, je lui ébouriffai les cheveux. Il détestait ça, mais depuis qu'il avait peur de ma mère, il ne me disait plus rien. Il se contenta juste d'y passer une main ensuite pour les recoiffer.

- Vous faites quoi demain ? demanda-t-il à mes parents.

Mon père haussa les épaules.

- Je ne sais pas, j'attends la confirmation pour savoir si je peux lancer des feux d'artifices et si la fanfare est disponible.

Je pouffai. Pierre avait vraiment une affluence sur mon père pour la question de l'humour, jamais il n'aurait répondu ça en temps normal.

- Tu n'as pas envoyé de lettre à Chris Martin pour savoir s'il venait chanter ? demanda Antoine, avec l'air aussi sérieux que lui.

- Bien sûr que si, tu me prends pour qui ?

- Et tu as invité combien de personnes ? renchérit Pierre.

- Pas loin de cent, il faut marquer le coup.

Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas pourquoi ils s'y mettaient tous.

- Vous parlez de quoi, là ? demandai-je.

Ils me regardèrent tous avec des yeux ronds, et rirent. Je restai silencieuse, incrédule. Ils étaient en train de se moquer de moi ?

- Je ne comprends pas...

- On parle de ton anniv', Flo, sourit Antoine.

Et encore une fois, je me rendis compte que j'avais complètement oublié. Alors, c'était déjà demain. J'allais avoir dix-huit ans, j'allais devenir majeure. Je pourrais voter, conduire, acheter de l'alcool, partir si je le voulais de la maison de mes parents. Maison de mes parents. Ce n'était même plus ma maison à moi.

Les gens changentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant