Vendredi de la première semaine

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Le marché de Joyeuse était l'un des plus prisés des touristes. Lorsqu'on demandait aux habitants s'ils savaient pourquoi, ils ne répondaient pas ; mais ça faisait le bonheur des commerçants et artisans. Il y avait un monde fou, et il faisait terriblement chaud. On venait de passer devant l'étal d'un charcutier, qui avait placé des ventilateurs derrière sa marchandise : ça sentait le saucisson à cinquante mètres à la ronde.

Nous y étions allés avec ma mère et Antoine. Je ne comprenais pas pourquoi il était venu, il détestait les marchés. Mais j'étais heureuse qu'il soit là.

Il était midi et nous étions devant le stand du poissonnier, sur la place. Ma mère voulait manger du poisson ce midi ; elle parlait avec le marchand lorsque je m'aperçus que nous avions perdu Antoine. Je l'appelai, mais ça ne servait à rien : le brouhaha des touristes l'empêchait certainement de m'entendre. Je me pinçai les lèvres. Antoine n'était pas idiot. Il allait penser à nous appeler s'il s'était vraiment perdu. Il ne fallait pas s'en faire.

Je prévins tout de même ma mère. Cette dernière soupira, évoquant la fois où nous nous étions perdus tout les deux dans ce marché. J'avais huit ans, mais je m'en rappelais : Antoine avait été complètement déboussolé, et j'avais eu l'idée d'appeler mes parents sur leurs portables, leurs coordonnées sur un bout de papier qui ne quittait jamais mon sac.

- Tu as le numéro d'Antoine ? lui demandai-je.

- J'allais te poser exactement la même question.

J'avais beau me répéter dans la tête qu'Antoine était un grand garçon, qu'il allait nous retrouver, mon cœur tambourinait dans ma poitrine, mon pouls remontait dans mes oreilles. J'avais beaucoup trop chaud. Je tins le bras de ma mère : ma tête tournait.

- Tu n'as pas de l'eau sur toi ?

- Non, désolée ma chérie.

- C'est pas grave...

Je chancelai. Ma mère, qui ne perdait jamais son sang froid, demanda au poissonnier si je pouvais m'asseoir sur une chaise derrière son étal.

Je m'assis, et le marchand me servit un verre d'eau. Il me sourit en me le tendant :

- Si vous saviez combien de fois ça arrive, ce genre d'incident !

- Ah ? fis-je avant de boire le verre d'eau cul-sec.

Il ne me demanda pas mon avis pour me resservir.

Dès que je me sentis mieux, je remerciai une dizaine de fois le poissonnier et nous partîmes avec ma mère là où j'étais sûre de trouver Antoine, après m'être éclaircie les idées.

Le Grain de Malice n'était qu'à cent mètres. Nous marchions vite, slalomant entre les couples anglais et les familles néerlandaises. La terrasse du bar-restaurant était ouverte, et quelques touristes y sirotaient des cocktails ou de simples jus de fruits. Je poussai un soupir en voyant enfin Antoine, qui buvait une bière en compagnie d'un petit groupe de jeunes.

Je m'approchai d'eux. Je l'avais reconnu, lui, et une grande métisse aux cheveux bouclés, assise sur ses genoux. La serveuse, Sonia, qui apparemment ne travaillait pas aujourd'hui.

- Flo ! m'appela Antoine. Je vous cherchais partout, avec ta mère.

- Nous aussi, on te cherchait, lui répondis-je en dévisageant les jeunes qui étaient avec lui.

Il y avait Sonia, puis deux autres filles, ainsi que deux garçons à l'apparence identique.

- On va y aller, dis-je à Antoine. Je ne me sens pas bien et...

Les gens changentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant