Chapitre 20

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L'affolement la démangeait. Elle était toujours assise dans son coin, et la nuit tombait derrière les vitres du commissariat. Elle allait bientôt passer, n'est-ce pas ? Elle s'était tellement bercée d'illusions concernant la police... Mais non. Qu'importe le problème, il fallait attendre. Il fallait toujours attendre, de toutes manières. Un enlèvement, cela pouvait attendre, bien sûr. Il fallait qu'elle se calme. Elle perdait la tête. Indignée, elle osa relever la tête vers tous les autres qui attendaient. Ils n'étaient plus que deux devant elle : une femme avec le visage tordu de douleur, des cernes violacés lui entourant les yeux, le nez et la joue recouverts d'un hématome gros comme un poing, sûrement la raison pour laquelle elle était ici. L'autre qui était devant lui était un homme accompagné de sa jeune enfant, qui scrutait les alentours comme si sa vie en dépendait. L'ambiance était pesante et semblait la menacer.

Le silence, pourtant, ne dura pas. Un homme qu'elle n'avait jamais vu jusque-là entra en furie dans le commissariat, blême, accompagné de deux enfants : une fille qui semblait dormir dans ses bras et un garçon qui lui tenait son unique main libre. Il s'adressa directement au comptoir, comme elle l'avait elle-même fait quelques instants auparavant dans sa naïveté.

-Ma sœur a disparu !

L'homme au comptoir lui adressa un air plein de reproches, jeta un regard bienveillant aux deux enfants et lui réitéra sa phrase habituelle : « patientez ». Il insista, comme elle l'avait également fait, sous les regards effarés des autres patients, qui le dévisageaient froidement. Esther haussa, elle, les sourcils. Il avait bien dit que sa sœur avait disparu ? Etait-il bien accompagné de deux enfants ? Elle se retrouva bouche-bée. Elle aurait pu croire qu'elle avait rêvé. Ce n'était sûrement pas une coïncidence ! Elle en oublia alors sa réserve pour se ruer vers lui, ignorant tous les regards posés désormais sur son dos. Elle ajusta sa jupe en chemin, bien qu'elle n'avait eu qu'à fait une dizaine de pas tout au plus. Elle lui agrippa le bras avec toute la force qu'elle pouvait mettre dans son geste.

-Comment elle est, votre sœur ?

L'homme se tourna vers elle, redressant la jeune fille contre lui sans pour autant la réveiller, et lui adressa un sourire assez particulier. Un mélange de sincérité et de souffrance. Le policier les incita à aller s'asseoir pour attendre leur tour, ce qu'ils firent. Elle opta pour, cette fois, prendre une chaise, obéissant aux protestations antérieures de ses jambes, tandis qu'il s'asseyait près d'elle, asseyant la petite sur ses jambes, la serrant toujours contre lui, ordonnant à son frère de venir s'asseoir également sur l'autre chaise libre. Il ne dut pas le répéter plusieurs fois. Cela existait vraiment encore les enfants obéissants ?

-Comment est votre sœur ? –répéta-t-elle.

Il la fit patienter d'un geste pour regarder si l'enfant s'était bien assis près de lui puis porta finalement attention à sa question.

-Blonde, elle a des cheveux courts... (En posant sa main perpendiculairement à son visage, il continua :) jusque-là. Elle a des yeux qui tirent vers le jaune... Elle fait à peu près un mètre soixante, et est mince et plate. J'insiste sur le « plate ». Elle a vingt-et-un ans.

Esther haussa les sourcils. Comment un frère pouvait-il insister sur ce genre de détails ?

-Elle a des enfants ?

L'autre secoua la tête.

-Elle n'a pas d'enfants. Encore heureux, à son âge.

Il eut un temps puis inclina la tête.

-Pourquoi ?

Esther parut embarrassée. Elle détourna les yeux puis bégaya une réponse qu'elle n'était pas sûre qu'il comprendrait. Elle s'était sûrement trompée. N'ayant pas vu le profil de la fille qui se faisait enlever devant ses yeux, elle ne pouvait pas tirer de conclusion.

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