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J'ouvre les yeux sur un ciel qui lentement s'éclaircit. Cette nuit, le froid et le désespoir m'ont poussée à me recroqueviller sur moi-même, en position fœtale. Tout en me relevant, je tente de me débarrasser du sable qui colle à ma peau et à mes vêtements puis récupère ma lampe qui ne doit plus fonctionner et mes baskets.

Amère, je rebrousse chemin en direction du parking, percluse de courbatures. Pendant combien de jours, combien de mois, combien d'années encore, je vais rester plantée là, à regarder ma vie défiler devant moi, les yeux rivés sur le sablier géant du temps, qui coule et qui coule à toute vitesse, engloutit les instants, tue les gens pour nous laisser en seules traces de ces moments, des souvenirs grisés ? Je voudrais tant le retourner dans l'autre sens, revivre le passé trop vite écoulé et grossir les grains pour qu'ils ne puissent plus tomber. Être plus forte, plus forte que le destin, plus forte que la vie qui s'enfuit, que ton amour qui s'éteint. Mais je ne suis rien de plus qu'une infime particule dans ce monde immense, je ne laisserai même pas mon empreinte sur toutes les terres que j'ai foulées, sur toutes les choses que j'ai touchées.

De retour auprès de ma voiture, non sans avoir galéré sur les rochers, je récupère mes affaires sèches dans le coffre et me change rapidement. Comme j'ai oublié de prendre une autre paire de baskets, je n'ai d'autres choix que de conduire en chaussettes ou de remettre celles qui sont mouillées. À contrecœur, je me rabats sur la seconde option.

Alors que je m'apprête à m'asseoir sur le siège pour partir, un gémissement plaintif m'interrompt dans mon élan. L'oreille tendue, je perçois nettement quelques cris étouffés. Me penchant vers la boîte à gants, je récupère mon portable où je l'ai laissé hier et le mets en lampe torche. À côté de moi, il y a une poubelle, rien d'autre. Mais de cette poubelle, un sac en plastique dépasse ; tout mon corps se contracte lorsque je m'en empare.

En l'écartant, je découvre les corps de trois chatons ! Sidérée, je le pose doucement au sol pour éviter de blesser quiconque puis m'agenouille. Mon faisceau parcourt les frêles silhouettes duveteuses, malheureusement seul l'un des petits réagit à mon intrusion. Sa tête, minuscule, se dresse vers moi, m'offrant la vision déchirante de ses petits yeux remplis de pus, les poils collés tout autour de son regard. Il tremble frénétiquement. Mon cœur, déjà mis à rude épreuve par l'horreur de son état, finit de se briser au son du miaulement désespéré du chaton.

Une sourde colère monte en moi alors que je retire hâtivement mon pull. Comment un être humain peut-il faire une chose pareille ?

M'emparant de la minuscule créature pour l'enrouler délicatement dans le tissu, je la cale contre moi puis sors ensuite les deux autres. Comme je l'avais deviné, leurs corps sont durs et froids, inanimés à jamais.

Des larmes de rage et de douleur viennent brouiller ma vision et si le survivant ne se tenait pas sur mes genoux, je hurlerai de douleur.

Très vite cependant, le bon sens me rappelle à l'ordre. Il me faut agir rapidement. Après m'être relevée, je me hâte de me rendre à ma voiture tout en frictionnant le chaton en douceur à travers le vêtement. Ouvrant la portière, je dépose le petit animal sur le siège passager puis démarre et laisse tourner le moteur pour chauffer l'habitacle.

L'idée que les deux chatons morts soient jetés à la poubelle comme de vulgaires ordures m'est insupportable, aussi je me hâte d'aller les enterrer dans le sable.

Ma tâche terminée, je retourne à ma voiture. Le petit félin a bougé un peu durant mon absence et n'est plus vraiment blotti dans la chaleur du vêtement. Je le cueille, l'emmitoufle à nouveau puis le pose sur mes jambes. La température n'est pas encore montée, mais ce n'est qu'une question de temps. Un coup d'œil à l'horloge mécanique sur le tableau de bord m'apprend qu'il est huit heures moins le quart. Il me faut trouver un vétérinaire. Quelques recherchent rapides sur Internet m'apprennent qu'un cabinet s'apprête à ouvrir à Brest. Parfait.

Quand le ciel descend sur la Terre (romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant