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Lorsque j'arrive à la boutique, en ce mardi matin, le rideau est baissé. C'est officiel, je fais ma première ouverture. Marissa m'a laissé un mot indiquant qu'elle se trouve chez son fils, le père de Lorenzo. Une fois le ménage terminé, je vérifie les livres qui ont été vendus sur l'ordinateur, le stock, remets les rayons en ordre, puis vient le moment d'ouvrir.

À treize heures, après avoir fermé, je vais déjeuner dans une brasserie en attendant l'ouverture des magasins pour commencer mes cadeaux de Noël. Durant l'après-midi, je finis par dénicher une robe à Laëti, une chemise pour Julien, du parfum pour ma mère et mon frère et une gourmette en argent pour mon père. Mon compte en banque a rendu l'âme.

Mes emplettes terminées, je rentre à l'appartement. Personne. À quinze heures passées, Laëtitia devrait être rentrée du travail, elle a sans doute dû doit faire du rab ou bien elle se trouve peut-être chez Romain. Mes pensées se tournent vers Lorenzo, dont je n'ai pas eu de nouvelles depuis samedi soir puis, invariablement vers toi.

Afin d'échapper à l'oppression et au désespoir qui ne manquent pas de me saisir, je cherche de quoi me distraire. En voyant le l'appartement en désordre, mon choix se porte sur le ménage. Le reste de ma journée s'écoule donc à nettoyer la cuisine, les sanitaires et à faire des machines sous les yeux fascinés d'Isis.

Peu de temps après la fin de mes tâches, Julien rentre avec Laëtitia et m'annonce, joyeux, que nous sommes invités chez Victor. L'appréhension à l'idée de revoir Lorenzo, me pousse à prétexter un mal de tête pour éviter de les accompagner. Et puis la fatigue est venue me saisir, comme d'habitude depuis quelques temps.

Mes amis n'insistent pas et une demi-heure plus tard, ils ont quitté l'appartement. De nouveau, je me retrouve seule. À l'idée de passer ma soirée à lire dans ma chambre, je sens une pointe de joie me parcourir. Après m'être douchée en vitesse, je récupère Isis, la dépose sur mon lit, puis me glisse sous la couette avec La première leçon du sorcier, premier tome de la saga L'épée de véritéde Terry Goodkind, un roman qui me passionne.La petite chatte vient se lover sur mon oreiller, juste derrière ma tête et, bercée par son doux ronronnement, j'entame ma lecture.

J'ignore depuis combien de temps je suis plongée dans mon livre quand des coups retentissent contre la porte d'entrée. Abandonnant mon roman, je quitte la tiédeur des draps, attrape un peignoir et traverse le couloir.

Quelle n'est pas ma surprise de découvrir Lorenzo derrière le battant ! Me figeant, je reste quelques secondes muette, mes yeux rivés sur lui. Il porte un sweat à capuche sous un blouson noir et un jean foncé. Ses yeux azurés n'ont pas de couleur dans l'obscurité, mais impossible de ne pas remarquer leur éclat.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandé-je d'une voix un peu trop rauque.

— Il fallait que je te voie.

— Pourquoi ?

— Parce que je n'arrête pas de penser à samedi soir.

Nerveuse, je m'écarte pour le laisser entrer. Tentant de garder contenance, je lui propose de s'asseoir dans la cuisine, lui dis de faire comme chez lui et l'abandonne en prétextant enfiler une tenue décente pour me laisser le temps de me calmer.

Qu'attend-il de moi ?

Après avoir passé un jean et un pull, m'être efforcée d'apaiser ma respiration, je le rejoins. Il m'attend, debout contre la fenêtre.

— J'ai parlé avec Julien... commence-t-il.

Lorenzo me fixe, guettant ma réaction. Glacée, avec la sensation que mon sang a quitté mon visage, je tente à nouveau de donner le change en conservant un ton neutre.

— Qu'est-ce que Julien t'a dit ?

— La première fois, simplement qu'il ne voulait pas que je tente quoi que ce soit avec toi. Je lui avais donc demandé s'il n'était pas un peu amoureux de sa meilleure amie, mais il m'a assuré que non. Du coup, je n'ai pas vraiment tenu compte de ce qu'il m'a dit. Mais on a eu une discussion tout à l'heure et cette fois, il m'a tout expliqué en détail. Maintenant je me sens un peu... con. En fait, je ne m'attendais pas du tout à cela.

— À quoi tu t'attendais ?

— Je n'ai pas envisagé un seul instant que tu étais dans une situation différente, en quelque sorte.

Il ne met pas de mots exacts sur ce qu'il a appris et n'essaie pas d'en savoir davantage. Je suppose que Julien est derrière tout ça, et je lui en suis reconnaissante.

— Par contre, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu es parti danser avec ce mec.

— Léo ?

— Peu importe son prénom ! s'énerve Lorenzo.

— Je te l'ai dit, j'ai eu une courte aventure avec lui et depuis je le considère comme un ami.

Je ne sais même pas ce qui me pousse à me justifier puisque je n'ai aucun compte à lui rendre.

— Tu n'as pas eu peur avec lui, mais avec moi si ? s'étonne-t-il.

— Oui.

Sa mine se décompose sous la contrariété. Passant une main nerveuse dans ses cheveux, il se mord la lèvre avant de s'emporter :

— Mais pourquoi ? Parce que je t'ai draguée un peu trop franchement au début ? Parce que je t'ai embrassée chez Victor ? Jade, je ne savais absolument rien de ta situation ! À aucun moment j'ai imaginé que je pouvais sérieusement te blesser !

— Non, ça n'a absolument rien à voir.

— Explique-moi, alors !

Je commence à sentir mon pouls s'accélérer de nouveau, saisis par l'anxiété. Hors de question d'admettre que quelque chose en lui ne me laisse pas indifférente alors qu'au fond de moi, je ne peux permettre à mon cœur de te trahir. Encore moins dans de telles conditions, si vite.

— Jade ! insiste Lorenzo.

Les pupilles de ses yeux inquisiteurs sont dilatées ; dévorant ses iris bleutés.

— Tu ne peux même pas imaginer à quel point je me sens con ! Je n'aurais jamais pensé m'attacher aussi vite à une fille, ni ressentir le besoin de la comprendre, de la rassurer. De la réparer. Et en plus... je suis jaloux, bordel !

Ses mains viennent presser ses tempes comme si soudain, il avait honte de ses aveux.

— Je me sens... monstrueux de t'avoir embrassée. Et en même temps, je n'arrive même pas à le regretter car j'en avais tellement envie...

À l'anxiété s'ajoute soudain une douce brûlure dans le creux de mon ventre, une lame que ses aveux viennent chauffer à blanc, au plus profond de mon être.

Ses paroles m'affectent bien plus qu'il ne semble le croire. Nous sommes seuls dans cet appartement et je sais qu'il me suffit d'un mot, d'un geste, pour que tout bascule.

— Il faut que j'y aille, déclare Lorenzo.

Il a un geste pour s'éloigner, mais mes doigts viennent s'enrouler autour de son poignet, l'interrompant dans sa fuite. Son regard tombe sur ma main avant de venir trouver mes yeux. L'incompréhension se lit dans ses prunelles ; figé, il attend mes explications.

— Laisse-moi juste un peu de temps... murmuré-je.

Ma voix transforme ma demande en supplique. Je suis en proie à un dilemme insoluble car quelque soit ma décision finale, je vous trahirai tous les deux. En donnant une chance à Lorenzo, je choisis de ne plus t'attendre. Mais en lui donnant cette chance, je le tromperai par les sentiments.

— C'est ce que je fais, Jade.

Il se libère délicatement de mon emprise et m'abandonne dans la cuisine. Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée claque derrière lui.

Abattue, plus divisée et indécise que jamais, je m'appuie contre le mur et me laisse lentement glisser à terre, les jambes repliées sur le sol.

Et brusquement, je réalise.

En dépit de ma volonté, une partie de mon être joue contre moi. Cette partie qui veut recommencer à vivre.

Quand le ciel descend sur la Terre (romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant