Chapitre 12

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Le silence qui parcourut l'assistance après le départ du vieillard fut glaçant. Puis, très vite remplacé par une agitation folle. Séléna harcela Lou pour savoir si elle était au courant de tout ça, malgré le nombre infini de réponses négatives données par la jeune fille. L'oncle de la serveuse, et donc le fils de Maurice resta lui aussi sans voix.Il venait sûrement d'en apprendre plus sur son père en une demi-heure qu'en plusieurs décennies. Une larme roula sur la joue de l'homme, touché par le passé de son géniteur. Un grand-père qui était venu accompagné de sa petite-fille marmonna dans sa barbe quelque chose d'inintelligible. Même ceux qui n'appréciait que très peu Maurice étaient touchés par son histoire.

Andrew, qui avait commencé à prendre des notes au début de l'épisode s'était très vite arrêté, bouleversé par les mots de l'ancien. Son stylo avait même dérapé sur sa page, traçant une longue ligne noire au milieu de ses premiers mots. Maintenant, ses bras pendaient le long de son corps, et ses yeux, perdus dans le vague malgré toute l'attention qu'il avait portée aux souvenirs énoncés, l'éloignaient de la réalité. Le brouhaha autour de lui n'arrivait pas à le faire redescendre sur terre. Ce ne fut que lorsqu'une main se posa sur son épaule, qu'il redescendit enfin sur terre.


« Je le connais bien, moi, l'Maurice. Et je ne l'ai jamais entendu évoquer ça. C'est vrai qu'quand on était p'tiot, l'était toujours positif. M'souviens très bien comment on s'est rencontré... C'est lui qu'est venu me réconforter. Dire qu'à côté, l'vivait un enfer. J'aurai jamais pensé...

_ Il était si sympa que ça, dans sa jeunesse ? l'interrompit l'écrivain.

_ Oh qu'oui. Toujours souriant, et des étoiles dans les yeux. Jamais négatif ! Comment aurait-on put deviner... M'est arrivé de voir quelques bleus sur ses bras de temps en temps... Mais on était chahuteur, alors j'm'inquiétais pas. Et puis, on pensait pas à ça, à cet âge-là.

_ Vous m'avez dit qu'il s'était porté à votre secours, lors de votre première conversation. Vous voulez bien me dire ce qu'il s'était passé ?

_ Bien sûr, si ça peut vous aider, vous ou quelqu'un d'autre... »

Les deux hommes, issus de deux générations différentes s'assirent l'un en face de l'autre dans un raclement de chaises qui eut pour effet de faire se calmer tout le monde. L'assemblée tourna les yeux vers eux.

« C'était pendant l'été 1955. J'venais d'arriver dans l'village. Autant dire qu'j'étais un peu paumé, j'savais pas trop à qui parler. J'me souviens qu'j'avais commencé à jouer à un jeu – à la guerre –avec les autres. J'm'étais vite ennuyé. J'avais vite compris que dans l'histoire, je n'avais pas un grand rôle. On s'amusait jamais à m'attaquer, et on m'ignorait un peu. Maurice, lui, était totalement absent, et ne faisait pas du tout attention à c'qui se passait. Il s'est même pris plusieurs coups par inadvertance... »


FLASHBACK juillet 1955


Bruno lança son épée– qui n'était en réalité qu'un morceau de bois – par terre, dans un geste qu'il voulut théâtrale, et qui aurait put l'être, si quelqu'un en avait tenu compte. Il fit de même avec son bouclier et la casserole qui lui servait de casque.

« C'est nul comme jeu ! Personne s'bat avec moi ! »

Tous ignorèrent sa remarque, soit trop occupés à éviter de se faire éborgner, soit totalement inintéressés par les dires du nouvel arrivant. L'enfant, encore plus agacé, tourna les talons, laissant son équipement de fortune là où il l'avait jetés. Il irait le récupérer plus tard, personne ne risquait de lui voler.

Il avait fait une dizaine d'enjambés, quand on l'interpella.

« Hé ! cria une voix dans son dos. Attend ! »

Il se retourna, intrigué. Un autre garçon, dont les boucles brunes sautaient au dessus de sa tête à chacun de ses pas, s'avançait vers lui encourant.

« Ben, l'interrogea l'inconnu. Pourquoi tu t'en vas ?

_ C'est pas drôle ! Personne essaye de jouer avec moi ! J'sers qu'à décorer, on dirait, et j'aime pas ! Dans mon ancien village, les autres, ils se battaient vraiment avec moi !

_ Moi aussi, on m'attaque pas trop tu sais... Mais c'est pas grave, ça me dérange pas.

_ On pourrait écrire un bouquin là-dessus, rit Bruno, enjoué à l'idée qu'un camarade partage son point de vu. « Le décor, pour les nuls ! » On aurait qu'à raconté comment on fait pour ne servir à rien !

_ Pourquoi pas, sourit l'autre, en se prenant au jeu. Ce serait encore mieux que le club des cinq ! J'paris que tout le monde voudrait le lire !

_ Ouais ! Ce serait le bouquin incontournable ! Écrit par Bruno O'Neil et... euh...

_ Maurice.

_ Maurice comment ?

_ Maurice tout court. Je suis le seul du village, pas besoin d'un nom !

_ D'accord ! « Le décor, pour les nuls », par Maurice et Bruno ! »

Les deux garçons sourirent, devant leur idée totalement farfelue, et leur complicité naissante. Autant, les compères se doutaient que jamais ils n'écriraient le moindre bouquin, même pas pour rire, trop peu attirés par les lettres, autant imaginer un ouvrage intitulé comme ça les amusaient.

« Si t'as envie, proposa Maurice, moi, je veux bien me battre avec toi. »

Les yeux de Bruno s'illuminèrent, à cette annonce.

« Oh ouais ! Je vais chercher mon armure, attend ! »

Et le petit brun, fonça récupérer son attirail au-dessus de la colline qu'il venait de quitter, avant de revenir aussi vite qu'il était parti. Ils commencèrent à jouer avec leurs épées de fortune, en se protégeant avec leurs boucliers. Ce fut ainsi, que débuta leur amitié. Puis, plus tard, Bruno invita Maurice chez lui. Son ami ne l'imita pas, et, à chaque fois, ce fut chez les O'Neil qu'ils se retrouvèrent. Il ne s'interrogea pas vraiment, après tout, ses parents à lui travaillaient tout deux dans la ville d'à côté et rentraient tard, le plus généralement. Alors, pour ne pas déranger, il préférait inviter, plutôt qu'être invité. Parfois, ils jouaient avec son chien, un king-charles adorable. D'autres jours, ils allaient s'amuser avec les autres. Maurice permit à Bruno de mieux s'intégrer, et Bruno, sans le savoir, fournit à Maurice une échappatoire, du bonheur dans sa vie que n'importe qui aurait jugé atroce.


PRÉSENT


« Il était avenant, à l'époque, remarqua Andrew.

_ Oh qu'oui ! En grandissant, il a changé, il est devenu plus amer. C'est pas un mauvais gars dans le fond...

_Ça, je l'avais bien compris... marmonna l'écrivain. Peut-être qu'on devrait faire ça...

_ Ça quoi ? l'interrogea son interlocuteur.

_Prendre un héros, et raconter ses aventures, sa vie ici, en y incorporant des éléments de l'existence de chacun. Ou même, créer des membres de sa famille, de sorte à pouvoir raconter des anecdotes. »

Tous opinèrent, majoritairement emballés, quoi qu'un peu perdus, par tous ces changements qui avaient lieux en permanence.

« Et le héros, vous comptez l'appeler comment ? fit remarquer Jules.

_Maurice ? » proposa le Britannique, déclenchant sans le vouloir, un débat pour choisir le prénom.

Chacun donna son avis, jusqu'à ce qu'une voix, plus forte que les autres,crie :

« Je sais comment l'appeler, moi ! »

Chez JeanWhere stories live. Discover now