Chapitre 14

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Andrew examinait ses notes – ou plutôt, les notes communes – lorsqu'une main se posa sur son épaule. Il sursauta, surpris. L'ombre de Maurice le surplombait, son air grave habituel occupant de nouveau les traits de son visage. L'écrivain, ne sachant vraiment que faire, l'invita à s'asseoir.

« Vous devriez venir, aux prochaines séances, proposa-t-il au vieillard. Je sais que vous avez des choses à dire, et beaucoup de frustration à évacuer...

_ Vous ne savez rien du tout, et vous ne savez de moi que ce que je vous ai dit, marmonna son interlocuteur.

_ Oh non ! Les gens ont tous leur mot à dire sur quelqu'un, et leurs histoires à raconter. J'en ai appris plus sur chacun en un après-midi, qu'en plusieurs mois passés ici. Y compris les semaines où j'ai commencé à questionner du monde.

_ Comme vous l'a dit Sophia, les apparences sont trompeuses. Les gens ne laissent paraître que ce qu'ils veulent bien laisser voir. Mais je ne suis pas là pourvoir un psy. Je ne me serais pas adressé à vous, sinon, vous vous en doutez bien »

Le Britannique se tut,surpris. Le vieil homme avait écouté ses conversations ? À bien y repenser, ça ne l'étonnait pas trop. Il avait été là à quasiment tous ses « interrogatoires », étant donné que la plupart avaient eu lieu ici, chez Jean.

« Dites-moi,repris Maurice, avez-vous voyagé, avant de venir ici ?

_ Pas mal oui... J'ai été reporter de guerre, alors, on peut dire que j'ai vu du pays...Pas forcément que des belles choses, même. Beaucoup trop de tueries, de carnages inutiles. Ça ne me convenait pas, ce n'était pas fait pour moi. Je ne supporte pas la violence. Je suis donc devenu un simple journaliste, durant un temps. Ce n'était pas une place prestigieuse, j'écrivais dans la rubrique des chiens écrasés,mais j'avais une vie tranquille, qui me convenait. J'avais mon appartement à Londres, mon chat, une copine. Tout pour être heureux. Et puis, ma passion pour l'écriture que j'avais un peu mise au placard depuis la fin de mes études, m'a rattrapé. Levy – avec qui j'étais en couple – et moi avons commencé à ne plus nous entendre. J'avais presque fini un ouvrage à ce moment-là. Nous nous sommes mis à nous disputer, ça n'allait plus entre nous, nous en sommes bien rendus compte. Alors, nous nous sommes séparé. Je me suis retrouvé seul dans un appartement trop grand, avec pour seule compagnie Papers, mon félin. Je crois que c'est là que mon syndrome de la page blanche est arrivé...

_ Pourquoi avez-vous quitté Londres ? questionna l'ancien, et Andrew comprit que cette fois-ci, il n'en apprendrait pas sur les autres, mais sur lui-même. C'est une très belle ville, d'après ce qu'on en dit...J'aurai beaucoup aimé la voir autre part que dans les livres,d'ailleurs.

_ Je ne me sentais plus vraiment à ma place. Rédiger des petits articles, de n'était plus fait pour moi. J'ai posé ma démission sur un coup de tête, et je me suis mis en quête d'un métier. J'ai fait des petits boulots,rien de vraiment passionnant, tout en essayant de finir l'histoire que j'avais débuté – et qui n'avait rien d'exceptionnel, contrairement à ce que prétendait ma tante.

_ Vous ne l'avez jamais terminé ? s'étonna sincèrement Maurice.

_ Non. Comme je vous l'ai dit, page blanche. Je n'ai plus ouvert le document word qui m'avait tant occupé. J'ai essayé de le relire plusieurs fois,mais... C'était mauvais, médiocre. Plus je me relisais, plus j'essayais de m'améliorer, pire c'était. Andréa s'en est rendu compte... C'est à ce moment-là qu'elle m'a proposé sa maison ici.Elle a prétendu que ce serait intéressant que je renoue avec ma terre d'origine, et m'a convaincu de m'installer ici, à St Laurent.Elle a même proposé de me léguer la maison, mais j'ai refusé.Vivre ici est déjà une chance.

_ Si je comprend bien,résuma le vieillard, votre problème de page blanche a débuté après votre rupture avec... Comment ? Lily ?

_ Levy » corrigea Andrew, en songeant à son ex, et la période qui avait suivi leur séparation.

Il avait été malheureux. Triste de ne plus la voir rentrer le soir. Elle finissait plus tard que lui. Ses boucles brunes et ses yeux bleus, la fraîcheur qu'elle dégageait... Malgré la fin de leur relation amoureuse, il avait dû se l'avouer, il la trouvait toujours aussi belle. Et puis,au fur et à mesure, il s'y était fait. Il avait vu des amis, essayé de travailler sur son roman, sans succès. Oui, ne plus voir Levy l'avait bloqué. C'était elle qui lui avait inspiré l'histoire qu'il écrivait à l'époque. Mais repartir sur de nouvelles bases,ici, à St Laurent, l'avait aidé. La preuve en était : il avait monté un énorme projet commun, où chacun pouvait s'ouvrir...

Maurice à côté de luise secoua légèrement. L'homme riait. D'un rire à la fois triste et chaleureux.

« Qu'y a-t-il de drôle ? » se vexa l'écrivain.

Maurice le dévisagea un long moment, avant de déclarer :

« Votre but, avec ce livre écrit à plusieurs mains, c'est de libérer les autres,d'aborder différents thèmes non ?

_ C'est l'idée, en effet.

_ Ce qui me fait rire,c'est que depuis le début, vous avez questionné les autres, sans vous intéresser une seconde à ce qui vous avait bloqué, et sans prendre en compte vos pensées. Vous avez créé un personnage auquel on pourrait s'identifier facilement (d'un petit coup de tête, il désigna les fiches devant eux), mais qui ne vous correspond presque pas... C'est tout de même vous l'auteur de cette histoire, à la base. Vous qui menez les ficelles, qui aiguillez les autres. Comme un chef d'orchestre. Alors pourquoi n'y mettez-vous pas un peu de votre personne ? Ce héros, il a votre nom, non ? Ne devrait-il pas avoir un peu plus que cela ? »

Maurice se leva dans un grincement, pour aller rejoindre ses camarades habituels, laissant Andrew méditer. Le Britannique secoua la tête. Le vieillard avait raison, il s'en doutait. Mais parler de... lui ?Ce serait difficile. Beaucoup plus que de se mettre dans la peau d'un autre...

Un nouveau défi se présentait à lui, et on lui avait enfin ouvert les yeux sur une évidence...

 

Mamie_grumpy

Taquapax

Chez JeanWhere stories live. Discover now