16 : Les vacances de Pâques dans la résidence secondaire d'Agathe.

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Vivre sous le même toit que Gabin, cela avait tous ses avantages, comme tous ses inconvénients. Le plus génial, c'était qu'il se levait toujours avant moi, et il venait s'asseoir sur mon lit pour me réveiller avec des caresses dans les cheveux. Par contre, il ne nettoyait jamais le lavabo de la salle de bains qu'on partageait après avoir rasé sa barbe quasi inexistante. Ça, ça avait le don de me mettre en rogne. Mais outre ce genre de détail, la colocation s'arrangeait bien.

La veille de son arrivée, ma mère n'avait pas dormi de la nuit. Je ne sais pas ce qu'elle redoutait le plus : devoir accueillir Gabin, parce qu'il avait perdu son père, et de ce fait, ne pas réussir à gérer son chagrin, ou devoir accueillir Gabin, mon petit ami, et ne pas parvenir à nous gérer, nous. Et désormais qu'une bonne semaine de cohabitation avait aidé tout le monde à prendre ses marques, ma mère soufflait. Ni la première crainte, ni la seconde ne s'étaient réalisées.

Gabin récupérait peu à peu le contrôle de ses émotions, et je pense que le fait de changer complètement d'environnement, et d'être tout le temps à mes côtés l'aidait à gouverner sa colère contre la Terre entière. Quant à nous deux, en tant que couple, ma mère n'avait aucun souci à se faire. Chacun dormait dans sa chambre – enfin, Gabin dormait dans celle de Charlène – et personne ne cherchait à enlever ses vêtements, ou ceux de l'autre. Depuis la tentative avortée du soir de la Saint-Patrick, aucun de nous deux n'avait vraiment la tête à réessayer quoi que ce soit. On n'en avait jamais reparlé. Tant mieux dans un sens, car à chaque fois que j'y repensais, un mélange de honte, d'angoisse venait m'oppresser la poitrine. Vous savez, ce sentiment lourd et dérangeant qui vous donne envie de crier. Je me demandais presque si un jour, je serais capable de dépasser le blocage.

Ce matin-là, j'ai frappé à la porte de Gabin un peu avant 3 heures 30. C'était le début de notre seconde semaine de vacances, et comme il était habituel chez les Desfontaines, pour les vacances de Pâques, on partait une semaine dans le sud.

J'ai ouvert sans attendre de réponse, m'imaginant qu'il dormait encore. J'ai donc eu une première surprise en apercevant de la lumière, et une seconde en voyant Gabin, déjà habillé, en train de boucler son sac. Il portait une chemise blanche, il en mettait de plus en plus ces derniers temps. À mon avis, ce n'était pas les siennes, mais celles de son père. Je n'osais pas lui demander.

─ Tu es déjà réveillé ? me suis-je étonnée.

─ Euh... ouais. Ma mère ne pouvait pas faire de Skype avant le soir, alors je me suis levé à quatre heures pour lui parler.

─ Elle va bien ?

Il n'en parlait pas. Il ne s'exprimait jamais sur le fait que sa mère avait pris un avion la semaine précédente, et se trouvait désormais en Amérique latine. Si on abordait le sujet, il disait qu'il comprenait, que tout le monde avait besoin d'évasion, et qu'il était fier de savoir qu'elle faisait de son mieux pour se reconstruire. Je n'étais pas dupe. J'étais là au moment de l'annonce, j'avais bien vu la douleur dans son regard, l'affaissement de ses épaules et le dérobement de ses genoux... Bref, le coup de massue ultime, celui qui avait fait éclater son corps déjà fissuré. Depuis, il tentait de récupérer les morceaux éparpillés, et je faisais de mon mieux pour ne pas le casser un peu plus, et lui rendre le travail encore plus pénible.

Je n'abordais jamais le sujet de son père brutalement disparu, de sa mère absente ou de son frère qui prenait ses distances. Parfois, j'étais convaincue que c'était la bonne approche, que l'entourer d'amour et de bonnes ondes allait le soigner. Mais par moments, je doutais franchement. Peut-être valait-il pour lui mieux affronter l'épicentre du mal. À ne rien dire, comme ça, on créait des tabous qu'il faudrait lever un jour, et la tâche pouvait s'avérer difficile.

Les 24 états d'âme de Gabin et Agathe.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant