III

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Perrine était belle, sans rien de particulier, à part ses yeux peut-être. Oui, son regard n'était en rien comparable, ou bien, si Kian avait dû le faire, il aurait sûrement dit qu'il ressemblait au pendentif bleu qu'il avait pris sur le cadavre quelques jours plus tôt. Ses yeux étaient comme deux étoiles qui scintillaient dans la nuit. Ils avaient presque quelque chose de... de magique.

Mais ce n'était en aucun cas le moment de divaguer et de perdre son sérieux. Il s'était réveillé lorsque la jeune fille nageait et effrayé à l'idée qu'elle le vît, il s'était caché à la lisière des bois, en oubliant évidemment de récupérer sa précieuse épée et sa besace. Il l'avait vue sortir de l'eau, complètement nue et subjugué par sa beauté, il ne s'aperçut qu'elle lui volait ses affaires que lorsqu'elle passa le collier autour de son cou. Alors quand elle prit son épée et qu'elle se retourna afin de partir, il bondit et se mit à grogner. Tant pis si cette jeune inconsciente le voyait, il la tuerait quand il aurait de nouveau son arme, ou bien il se jetterait sur elle comme si elle n'était qu'un vulgaire animal. Il ne pouvait tolérer qu'on touchât à sa lame.

Perrine quant à elle recula d'un pas ; elle était convaincue que ce loup démesuré était affamé et qu'il n'avait qu'une envie : la dévorer. Elle aurait dû s'enfuir, courir et partir loin, très loin, mais au fond d'elle, si tout ceci n'était qu'un simple rêve, elle pensa qu'elle ne craignait rien et elle envisageait même de s'approcher de l'animal. Doucement, elle fit un premier pas : le loup grogna et Perrine put distinguer ses crocs aiguisés. Au deuxième, il s'apprêtait presque à bondir quand quelque chose l'en empêcha.

C'était son humanité. Il refusait de tuer une demoiselle sans défense, même si cette dernière était en possession d'une tranchante épée et de tout ce qui constituait sa vie d'homme. C'était cette infime partie de lui, qui malgré la malédiction, malgré sa volonté, restait humaine. Kian, après avoir tué d'innombrables hommes sur cette terre de barbarie, ne pouvait se résoudre à tuer une femme. Il n'était pas complètement monstrueux, son corps abritait encore une âme d'humain. À croire que la solitude lui avait laissé une pincée de compassion... En réalité, même après avoir autant tué, il ne pouvait oublier quel était le prix de la vie. Kian réfléchissait désespérément à une solution. Il vit les montagnes s'éloigner, sa quête compromise : s'il ne tuait pas cette fille, il n'atteindrait jamais son but.

Perrine profita de ce moment d'inattention pour se rapprocher du loup qui avait cessé de grogner. Ses immenses yeux noirs la fixaient sans la voir, depuis combien de temps n'avait-il pas croisé de femme ? Ses souvenirs étaient flous et l'emportèrent plus loin encore : depuis quand était-il maudit ?

La jeune femme se dit que ce rêve était « cool » et elle posa sa main sur le front de l'énorme bête. Leurs deux cœurs loupèrent un battement au même moment. Kian bondit d'au moins dix mètres en arrière et Perrine tomba sur les fesses. Elle sentait encore la douceur et la chaleur qui émanaient de la fourrure resplendissante de Kian. La jeune femme n'avait jamais eu aussi peur et aussi mal de toute sa vie, même dans un rêve. L'adrénaline parcourut encore un instant ses veines avant de s'évaporer. Consciente des risques qu'elle encourait, elle se promit de ne plus recommencer tandis que le loup le lui faisait comprendre à sa manière.

– Je suis désolée, s'excusa-t-elle. Je ne le ferai plus, promis.

Elle mit ses deux mains sur son cœur, liant le geste à la parole afin, pensait-elle, de rassurer l'animal. Mais les mots suffirent à Kian même s'il continuait à se méfier de cette étrangère. Il ne savait d'où elle venait, ni ce qu'elle faisait ici, et encore moins pourquoi elle n'avait aucune affaire personnelle. Cependant, sa curiosité n'aurait pas dû être aussi notable. Il ne comprenait pas en quoi cette fille l'intriguait, jusqu'à ce qu'il aperçût sa surprenante chevelure dorée : elle lui descendait au-dessous des épaules et scintillait sous les rayons du soleil couchant qui lui donnait quelques reflets roux. Kian retint son souffle, qui était-elle pour porter de tels cheveux alors que c'était si dangereux ? Si elle se rendait ainsi dans un village, Kian était certain qu'elle serait suivie et que tôt ou tard elle se retrouverait soit chauve, soit morte. Mais après tout, en quoi cela le regardait-il ? Elle devait être au courant que se balader seule, de nuit comme de jour, n'était pas prudent, surtout en tant que femme et avec une telle beauté... Tout compte fait, il y avait peu de chance qu'elle fût tuée : elle risquait bien pire et cela, même sous sa forme de loup, Kian n'osait l'imaginer. Dans n'importe quel cas, il y avait de fortes chances qu'un, elle souillât les vêtements de son sang et que deux, elle se fît retirer tout ce qu'elle possédait et donc ce que possédait Kian. Or il avait besoin de la pierre qu'elle avait autour du cou. « Cela n'aurait jamais dû faire partie du plan ! » s'énerva-t-il. Puis il soupira intérieurement ; finalement être en colère ne ferait pas avancer les choses.

– Je m'appelle Perrine, annonça-t-elle, si jamais tu me comprends, étant donné que tout ceci n'est qu'un rêve.

Kian ne sut ce qu'elle entendait par « rêve » mais n'en tint pas rigueur. Il préféra hocher lentement la tête afin que Perrine sachât qu'il la comprenait.

– C'est fou ! Alors je suis vraiment dans un rêve et je parle à un loup ! C'est extraordinaire, s'extasia-t-elle en sautillant sur place. Quand je raconterai ça à...

Son regard se fit triste alors qu'elle pensait que personne dans son entourage ne voudrait perdre une minute de son temps pour écouter le récit d'un simple rêve.

– Tu ne saurais pas où je pourrais trouver d'autres vêtements par hasard ? Et puis pendant qu'on y est, de l'eau, de la nourriture et un endroit où dormir ? Quoique, si c'est un rêve, je ne devrais ni avoir soif, ni faim ni même ressentir la fatigue...

Perrine commença à douter. Et si après tout elle ne se trouvait pas dans un rêve comme elle en était convaincue ? Si en fait elle était morte noyée et que tout ceci n'était que le Paradis ? Comment aurait-elle pu le savoir ? Ressentait-on ce genre de choses ? Elle frissonna et préféra se dire que toute cette aventure n'était qu'un songe et que d'une seconde à l'autre elle se réveillerait, vivante, dans sa salle de bain.

Elle revint aux côtés du loup qui partait en direction de hautes montagnes enneigées. Pieds nus, la besace sur l'épaule gauche et l'épée en main, c'est ainsi que Perrine commença un long périple afin d'occuper ses pensées jusqu'à un éveil qu'elle espérait prochain.

*

Coucou ! Vous allez bien ?

Il ne se passe pas grand chose mais on en apprend un peu plus sur ce nouveau monde dans lequel Perrine a atterri ! Une idée de la suite ?

Bonne soirée à la semaine prochaine !

BLUE HEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant