Chapitre 4

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Elle les avait vus partir. Il était tôt. Le soleil se levait à peine, essayant vainement de dissiper la barrière opaque qui s'étendait devant lui. Au milieu du village endormi, deux hommes marchaient à pas lents, suivis d'une mule tirant un chariot. Elle les avait regardés tristement, dissimulée derrière le mur de sa demeure, incapable de s'approcher d'eux pour leur souhaiter bonne route. Incapable de leur dire quoi que ce soit, la gorge étouffée par le chagrin. Alors ils s'étaient éloignés, peu à peu, inexorablement. Elle les avait observés jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans le lointain. Elle avait ressenti une profonde sensation de vide.

L'après-midi approchait de sa fin. Lyra était allongée sur la colline, comme à son habitude. Pourtant, il manquait quelque chose. Il lui manquait quelque chose. C'était... comme si on lui avait arraché une partie d'elle-même. Elle scrutait l'éther, se perdant dans le gris sans fond qui le recouvrait. Les nuages se déplaçaient lentement, au rythme du vent qui faisait chanter la forêt. Les échos lointains du village parvenaient à ses oreilles, mais elle n'y prêtait pas attention. Elle se releva, regardant autour d'elle, recherchant quelque chose qui pourrait lui remonter le moral. Elle ne vit rien, pas le moindre signe. Même les oiseaux, d'habitude si bavards, s'étaient tus. Elle soupira, avant d'entamer le trajet qui la séparait de chez elle. Chaque pas lui semblait lourd, vide de sens. Pourtant, elle continua, sans réelle conviction, jusqu'à sortir de la forêt, jusqu'à s'engouffrer dans la sombre chaleur de son foyer qui l'étouffa à peine eut-elle passé le seuil.

***

Ils mangeaient à la lueur d'une bougie. Le bruit des couverts qui s'entrechoquaient remplissait la lugubre pièce parsemée d'ombres que la faible lueur n'arrivait pas à tenir à l'écart. Aucun d'eux ne pipait mot. Lyra regardait d'un œil lointain son assiette, n'arrivant pas à se sustenter. Elle avait faim, pourtant.

— Mange, lui ordonna sa mère, d'un ton qui ne souffrait pas la contradiction.

— Je... je n'ai pas faim, répondit pourtant la jeune fille, qui baissait les yeux.

Elle n'avait pas envie de grand chose, de toute façon. Cette journée lui avait laissé un goût amer en bouche. Elle se sentait vide. Elle savait que son chagrin était exagéré, son esprit, bienveillant, le lui disait. Pourtant, son cœur ne comprenait pas cette absence. Il ne voulait pas comprendre. Peut-être n'était-ce que passager ? Seul le temps le lui dirait.

— Ce n'était pas une question, continua la femme aux cheveux d'ébène, posant son regard sévère sur sa fille.

— C'est bon, laisse, déclara un homme aux cheveux bruns et à la barbe quelque peu négligée.

Son père lui ressemblait beaucoup. Elle était souvent frappée par la similitude de certains de leurs traits. Elle avait d'ailleurs hérité de lui ses yeux bleus. Il lui sourit :

— Qu'est-ce qui te tracasse ?

— Rien, rien...

Il la fixa quelques secondes, avant de lui sourire à nouveau. Elle avait toujours eu l'impression qu'il lisait en elle comme dans un livre ouvert.

— C'est à propos de Kirian, je me trompe ?

Lyra détourna le regard, et son père, comprenant qu'elle ne voulait pas en parler, n'insista pas. Il soupira :

— Dire qu'il a déjà seize ans... je me souviens encore du temps où vous disparaissiez dans les champs. Vous étiez hauts comme trois pommes. Vous grandissez si vite...

Il la regarda, une lueur de fierté dans les yeux. À défaut de trouver du réconfort chez sa mère, la jeune fille avait toujours été proche de son père, qui l'aimait tendrement. Il avait toujours été bon, guilleret... à l'opposé total de son épouse. Tout du moins, depuis la mort de son grand père, le père de sa mère, qu'elle aimait beaucoup.

L'Enfant aux yeux blancs - L'éveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant