2. De vieilles cicatrices

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Alex Kazakov se réveilla d'un coup, en sueur et la tête douloureuse. Il émit un grognement inarticulé en constatant que le réveil indiquait trois heures du matin. À ce stade la plupart des gens se seraient simplement rendormi, mais l'ukrainien savait qu'il serait vain d'essayer. Comme de vieilles cicatrices refusant obstinément de s'effacer, ses souvenirs venaient parfois le réveiller la nuit. Dans ces moments là il avait un remède tout trouvé.


Écartant le drap l'homme se leva et alla entrouvrir les rideaux. Il laissa filtrer juste assez de la lumière des lampadaires dans la pièce pour discerner la forme des meubles.

C'était une chambre d'hôtel anonyme de plus, une parmi d'autres. Pourtant il avait fini par considérer celles-ci comme une sorte de foyer, à défaut d'en avoir un vrai; Monsieur V voyageait énormément et Alex, son garde du corps, le suivait partout comme son ombre.

D'ailleurs ce dernier qualificatif correspondait finalement plus à sa véritable fonction. Il ne faisait pas que protéger son employeur, mais exécutait aussi ses basses besognes.


Explorant à tâtons le bureau de la chambre, l'ukrainien mit la main sur une bouteille de bourbon qui traînait là et la porta à ses lèvres, dédaignant les verres posés à côté. L'alcool tenait à distance les souvenirs s'il en buvait assez; malheureusement Alex constata que le récipient était totalement à sec depuis la veille. Il reposa donc la bouteille, déçu. Il ne lui restait plus qu'à se tourner vers des remèdes plus conventionnels...


Marchant jusqu'à la salle de bain il alluma la lumière de la pièce pour fouiller le placard surplombant l'évier. Il en tira un tube orangé, dans lequel il préleva trois cachets. L'ukrainien les avala avec un verre d'eau, qui apaisa un peu sa gorge encore malmenée par ses excès de la veille. Son regard fatigué croisa celui de son reflet dans le miroir, et il s'observa quelques secondes en silence.

Malgré son entrée récente dans la cinquantaine il avait toujours un physique de soldat. Ses épaules étaient larges et musculeuses, ses cheveux blonds grisonnants par endroit ne dépassaient jamais le centimètre et surtout une large cicatrice qui couvrait près de la moitié de son visage, s'étendant jusque dans son cou et son dos. La peau avait pris un aspect rougis et élastique là où il avait été brûlé, striée de marques blanches, comme une monstrueuse toile d'araignée.

Les premiers temps, c'était pire. Il avait fallu des mois à Alex pour pouvoir se regarder à nouveau dans une glace sans avoir envie de la détruire à coups de poing. Aujourd'hui la cicatrice faisait partie de lui, de ce qu'il était. C'était loin d'être la seule marque que sa vie violente avait laissée dans sa chair; on lui avait tiré dessus, brisé pas mal d'os et on l'avait poignardé à plusieurs reprises. Parfois les trois la même journée.


Il se détourna du miroir et remarqua alors la femme qui l'observait en silence depuis l'encadrement de la porte.


-Désolé, je ne voulais pas te réveiller, lâcha-t-il en soupirant.

-Ce n'est pas grave, répondit Sofia. Les cauchemars, je connais.


Elle avait emporté le drap du lit pour tout vêtement, qui lui faisait comme une longue robe blanche. Alex l'observa quelques instants à la lumière.

Ses longs cheveux châtains tombaient en cascade sur ses épaules. La quarantaine, Sofia était une belle femme, mince et presque aussi grande que lui. Mais ce qui captait immédiatement le regard dès on le remarquait, c'était ses yeux vairons. Un œil vert, l'autre marron...

C'était ça qui l'avait tout de suite attiré chez elle. Mais pas seulement. Ils avaient reconnu quelque chose l'un chez l'autre: ils étaient tout deux des Spectres, privés de famille et de passé. Mais pas de souvenirs...


-L'Afghanistan? demanda-t-elle doucement, comme si elle lisait ses pensées.


Alex se contenta de hocher la tête en silence.

Il avait passé sept ans à se battre dans ce pays aux côtés de son frère à l'époque où les soviétiques y affrontaient les Moudjahidins. Une guerre féroce et impitoyable dans un des environnements les plus hostiles de la planète, un foutu bourbier...


La main de Sofia se posa sur son épaule, fraîche et apaisante. L'ukrainien ferma les yeux.


-C'était en 86, lâcha-t-il soudain. Juste avant l'hiver.


Les mots semblaient couler de sa bouche, comme prononcés par un autre que lui. Pourtant il ne chercha pas à s'arrêter. Il attendait de raconter cette histoire depuis bien trop d'années.


-Mon frère et moi faisions partie du Spetsnaz, les forces spéciales soviétiques. Notre commando avait été envoyé de l'autre côté de la frontière pakistanaise pour éliminer un chef rebelle qui se cachait dans un village. Il se croyait en sécurité là-bas puisque les troupes régulières n'avaient pas le droit de poursuivre les insurgés en dehors de l'Afghanistan... Officiellement.


Il s'interrompit, laissant les paysages désolés envahir son esprit. Des visages familiers, des sons et des lieux défilèrent aussi, des flashs trop rapides pour les saisir au vol.


-Yosyp était doué pour ça; on a infiltré le village en pleine nuit, trouvé la maison et fait le boulot. C'était pas la première fois. Ensuite on est reparti à marche forcée, et à l'aube un hélicoptère est venu nous récupérer au sommet d'une colline qui n'avait même pas de nom. Juste un numéro.


L'ukrainien prit une grande inspiration.


-On commençait à peine à décoller quand le missile nous a frappé.

CHERUB Agent Double - KazakovDonde viven las historias. Descúbrelo ahora