Helldown 1.5 "L'appel de la sorcière - Les origines "

8

Roy le sentait jusque dans ses tripes : le danger. Son cœur s'emballait inutilement mais il ne pouvait exercer de contrôle sur lui. Ses pieds touchaient à peine le sol tandis qu'il courait à travers les ruelles vides de son quartier. Il jura contre la lenteur de l'ascenseur. La porte claqua contre le mur de l'entrée. Le guépard se rua sur Ben qui tentait de se relever et le poussa sur le divan avant de se pencher aux côtés de la sorcière inconsciente. Du sang coulait le long de son visage mais elle respirait encore. Son odorat suffit pour qu'il sache l'absence de Kiera.

- Elles ont débarqué de nulle part, lui apprit le loup d'une voix pâteuse. Le temps qu'on puisse réagir, elles nous assommaient déjà de sortilège.

Une part de Roy désirait lui reprocher cette situation, néanmoins la partie plus terre à terre se souvenait parfaitement des effets de la sorcellerie sur lui-même. Le loup resterait groggy quelques jours, à voir ou entendre des gens inexistants.
La chambre dégageait une série d'odeurs qu'il mit du temps à trier. Ses poings se serrèrent avec force. Son corps se tordit, la douleur explosa sous son crâne avant de s'évaporer telle un songe impossible à retenir en mémoire. Le guépard sauta par la fenêtre ouverte et laissa son don olfactif le guider au travers de la ville. Une cité qu'il connaissait aussi parfaitement que le Panthéon.

- Demandez à des sorcières d'être originales, railla-t-il.

Il entra dans Central Park pour remonter le chemin parcouru quelques jours plus tôt. Des voix lui parvinrent tel un essaim d'abeilles agaçantes. Son corps s'allongea et ses os craquèrent pour se remettre dans un angle plus agréable pour sa forme humaine. Les sorcières jacassaient autour de la pierre sur laquelle Kiera se trouvait allongée, les yeux figés vers le ciel. Une rage sans commune mesure s'empara de ses sens. Son cœur ralentit. Son cerveau analysa rapidement la situation. Et il la sentit... cette petite étincelle de magie qui slalomait sur le sol à la recherche d'une ancre. Il se baissa et posa la pulpe de ses doigts sur la terre humide. Tel un serpent, l'énergie recula puis frappa sa main. La morsure lui tira un léger sifflement de douleur puis devint une brûlure qui, étonnement, réchauffa tous ses membres. Roy ouvrit les yeux qu'il n'eut pas conscience de fermer et avisa les quatre sorcières. Il discerna les sillons de magie qui les liaient au cercle de terre sèche. Jamais auparavant, il ne réussit à si bien distinguer les teintes des différents sorts protecteurs. L'attente parut interminable. Il rongea son impatience et sa frustration de ne pas pouvoir les arrêter alors qu'elles torturaient son ancre à quelques pas de lui.

Son esprit s'éclaira soudainement. Il expira au même instant que Kiera et sauta sur la première sorcière à sa portée. Le sang s'écoula dans sa gorge et sur son poitrail. Des hurlements l'entourèrent. Il sentit les sorts le frôler, roussir sa fourrure par endroit, mais aucun ne le toucha de plein fouet. Une à une, ses ennemies tombèrent, la gorge tranchée ou un membre en moins. Il n'éprouvait aucune pitié, aucune gêne à les massacrer. Un feulement lui échappa quand une lame chauffée à blanc traversa son flan gauche. Il s'ébroua et avisa la jeune fille qu'il tentait d'épargner jusque là. Ses mains tendues vers lui tremblèrent violemment quand il dévoila ses crocs et qu'il se tapit contre l'herbe humide. Pourtant, elle continua à psalmodier d'une voix détachée presque mécanique.

- Ne fais pas ça ! Olive, laisse-le ! s'époumona sa sorcière.

Elle tirait sur les liens qui la maintenaient, sans succès. Le désespoir dans sa voix le surprit autant que de se retrouver aussi dénué d'énergie qu'un nouveau-né. Ses pattes se dérobèrent sous lui. Sa truffe tomba dans l'herbe et se couvrit d'hémoglobine. Son cerveau tournoya sur lui-même jusqu'à devenir un marasme insondable qui l'affaiblit un peu plus. Il se releva tant bien que mal.

- Si tu le sauves, tu vas mourir, crut-il discerner dans le brouillard qui l'enveloppait.

Son cœur s'emballa quand il imagina la mort de sa sorcière. Ses griffes s'enterrèrent dans la terre humide. Son odorat le guida vers la source de sa souffrance. Il n'hésita pas une seconde. Pas de compassion. Sa gueule se referma sur la jambe de l'adolescente qui poussa un hurlement strident. Une regain de magie enflamma ses sens. Il n'hésita pas une seconde de plus et écrasa le corps menu du sien. A chaque mouvement de fuite , il enfonça ses crocs dans sa peau. Rapidement, elle cessa de gigoter.

- Roy ?

La langue pendante, il ne se tourna pas vers sa sorcière, il tentait de reprendre contenance et de ne pas suivre son instinct premier de lui sauter dessus. Son corps se porta sur la gauche, loin d'elle, puis fut parcouru de soubresauts avant qu'il ne régurgite tout le sang avalé. Le liquide brûla sa trachée. Son estomac continua de se contracter, même après qu'il n'ait plus rien à rendre.

Plus jamais il ne boirait le sang d'une sorcière, il se le promit plusieurs fois.

Une friction insistante attira son attention vers la sorcière. La pierre dénudée lui coupa le souffle. Malgré ses tremblements, sa vue légèrement brouillée et ses intestins incapables de se détendre, il se releva. Kiera tenait éloignée une vieille femme.

- Tout cela est ridicule, déclara-t-elle, vous ne pourrez protéger personne en volant les pouvoirs d'autres sorcières.
- Le sacrifice du peu pour la protection du plus grand nombre, sourit la plus âgée.

Kiera secoua la tête négativement.

- Le monde ne fonctionne pas comme ça.
- Le monde ? Railla l'autre. Helldown fonctionne de cette façon mais tu es trop faible pour le comprendre.

 Une lueur de rage enflamma les yeux gris bleu de sa sorcière. Les sortilèges enveloppèrent les deux combattantes immobiles. Roy ne pouvait plus rien pour Kiera. Il devait attendre une brèche. Encore. Il commençait à en avoir soupé des conneries de sorcellerie. Ne pouvaient-elles pas se battre à coups de poings, de griffes ou de morsures. A bien y réfléchir il se contenterait de tirage de cheveux si elles le voulaient, pourvu qu'elles abandonnent cette façon stupide de se mesurer l'une à l'autre.  Son coeur bondit dans sa poitrine lorsque la flan de sa sorcière se couvrit de sang. Un rugissement de peur lui échappa. Il bondit pour s'interposer entre les deux adversaires.

- Ne te mêle pas de ça, monstre !

L'écorce de l'arbre écorcha son dos. Sa respiration se coupa durant quelques secondes et sa vision s'obscurcit. La douleur fut pareille à une flamme qui remonta de son bassin à son cerveau. Dans un grognement animal, il se releva sur ses deux jambes. Sa forme waste ne l'aiderait pas face à la magie. La rouquine tenait en respect son ennemie qui s'égosillait pour qu'elle « entende raison ».

- Je ne peux pas la tuer.

Le visage de Roy resta de marbre devant cet aveux. Il ne la jugeait pas le moins du monde. Le goût du sang empoisonnait l'esprit de nombreux wastes trop inexpérimentés, trop jeunes, pour se contrôler. Peu de gens connaissaient les dégâts psychiques occasionnés par un meurtre. Qu'importe que l'acte soit passionné, de nécessité ou prémédité, il déchirait l'âme du bourreau aussi sûrement que l'arme arrachait la vie à la victime.
Le guépard s'approcha de la sorcière suspendue dans les airs. Il n'éprouva aucun regret en lui ouvrant la gorge à coups de griffes acérées. Il ne ressentit qu'un profond soulagement mal venu ; Kiera ne craignait plus rien.

Pour l'instant, le reprit une voix pernicieuse dans son esprit.