Interclasse n°15

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« ... Ah ! Ça me fait penser à la petite vieille qui vit à côté de chez nous. Elle vit au quatrième étage, c'est ça, hein chéri ?

- Hm, hm.

- Elle adore Lola. Avant qu'elle ne quitte la maison, Lola l'aidait souvent à remonter son caddie de courses. Et même encore aujourd'hui, elle profite de chaque journée qu'elle passe chez nous pour lui venir en aide ! »

Lola grimaça un sourire en voyant sa mère, face à elle, bomber fièrement la poitrine en déblatérant sans cesse à propos de sa fille ô combien parfaite, comme chaque dimanche. Cela faisait près de dix minutes que Lola faisait rouler un petit pois du bout de sa fourchette dans son assiette.

Elle n'avait pas dit grand-chose depuis son arrivée. Elle se contentait souvent de répondre aux questions par « oui » ou « non » et, si personne ne s'adressait directement à elle, elle évitait de prendre part à la conversation. Simon, assis à sa droite, faisait de même - mais lui se comportait de la sorte chaque dimanche, alors personne ne lui prêtait la moindre attention. Lola l'enviait, quelque part. C'était insupportable de voir sa mère profiter de chaque minute de silence pour aller plaquer le dos de sa main sur le front de sa fille comme si elle avait encore dix ans et lui inventer de la fièvre. Évidemment, songeait Lola en réprimant un soupir : dès qu'elle avait le malheur de ne pas attirer l'attention sur elle, elle était forcément malade.

« Mais Simon aussi vient en aide à son voisin, surenchérit Béatrice. N'est-ce pas ? »

Sin, déconcentré alors qu'il se resservait pour la troisième fois un morceau de poulet - son père lui jetait un regard mauvais dès qu'il approchait la main du plat - eut comme un moment d'absence lorsqu'il releva brusquement le nez vers sa propre mère et remarqua l'attention générale fixée sur lui dans un silence lourd. Le poulet, au bout de sa fourchette, glissa lentement de son couvert et s'écrasa au beau milieu de la table.

« Ah... Heu... Ah bon ?, bégaya-t-il en le ramassant maladroitement sous le regard consterné de Christophe.

- Eh bien ?, pressa Béatrice en fronçant les sourcils. Tu passes une bonne partie de ton temps libre chez... comment s'appelle-t-il... Monsieur Cohen, non ? »

Lola cessa de jouer avec son petit pois et, posant l'extrémité de sa fourchette à plat sur celui-ci, l'écrasa jusqu'à ce qu'il soit parfaitement aplati dans son assiette.

« Il n'est pas si vieux, si ?, marmonna Christophe à l'attention de sa femme.

- Non... Il doit avoir la cinquantaine, pas plus.

- Il a quarante-quatre ans, corrigea Simon en s'efforçant de paraître naturel.

- Mais tu l'aides depuis son emménagement, n'est-ce pas ? »

Sans attendre la réponse de son fils, Béatrice se retourna vers les parents de Lola.

« Je suis si fière de lui. Prendre de son temps pour aider quelqu'un... comme ça. Je veux dire, il ne reçoit jamais personne. Je n'ai pas l'impression qu'il ait la moindre vie sociale - si on oublie son chien affreux. Je le vois partir au travail de temps à autre, tôt le matin. À le voir, on pourrait croire qu'il est au chômage - il n'est pas très soigné, ses vêtements sont dans un triste état - mais non. Remarquez, c'est bien que les personnes à difficultés puissent avoir un emploi.

- Les personnes à... ?, murmura Simon en sentant ses lèvres trembler sous les mots.

- Tu ne vas pas me dire qu'il est très équilibré psychologiquement parlant, tout de même. Un jour, je suis allée le voir pour lui proposer une part de notre bûche de Noël - tu sais, il en restait une tonne, et ça me tombe directement sur les hanches - et j'ai peiné à lui arracher un simple « bonjour ». Il a refusé le gâteau, d'ailleurs.

SEX'ED  [FRENCH]Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon