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Le silence.

Watson connaissait ce silence. C'était le choc. L'incompréhension. L'absurdité du monde qui vous frappait en pleine face, avec tout ce qu'elle avait de violence. Le déni. Ce n'était pas possible. La mort.

Watson regardait cette femme et cet homme, qui, de l'autre côté de la table d'autopsie, de l'autre côté de ce gisant sous un drap blanc, contemplaient leur monde s'écrouler.

Les proches du majordome étaient arrivés dans l'heure.

Le jeune homme tendit sa main, désirant visiblement effleurer la joue du défunt dans un dernier geste tendre, mais la femme lui attrapa le bras au dernier moment avec un coup d'œil en coin en direction du docteur. Ce n'était pas un geste brusque, malgré son évidente douleur, plutôt quelque chose de protecteur.

Watson se demanda quelle était – quelle avait été – la relation entre ces trois-là, l'homme, la femme et le gisant. Était-ce lui l'amant dont lui avait parlé Holmes, celui avec lequel le mort se trouvait, au moment du vol ? Sa femme semblait le savoir. Oui, songea Watson, sa femme le savait, et l'acceptait. Ils devaient former un trio aimant. Avant. Avant lui.

Qu'ai-je détruis ? Songea Watson, les poings douloureusement serrés.

-Je vais vous laissez seul, dit-il doucement, conscient que le jeune homme ne pouvait pas légalement laisser échapper sa peine en présence d'un étranger. Prenez tout le temps qu'il vous faudra.

-Merci, dit la jeune femme.

-Non, corrigea Watson sans se retourner, la voix étranglée. Surtout, surtout, ne me dites pas merci.

Et il sortit.

Il faisait nuit, dehors. Une nuit froide et humide. Le ciel était noir, grouillant de nuages menaçants. Watson décida de marcher jusqu'à Baker Street, même si ce n'était pas à côté. La vieille blessure à sa jambe lui lançait des pics de douleurs, appréciant peu l'humidité. Il les accueillit avec une certaine reconnaissance, comme si, quelque part, il méritait d'avoir mal.

Il croisa Holmes, dans l'escalier.

-Je sors, lui lança le détective en passant.

-Mais...

La porte claqua dans son dos. Watson frissonna. Il avait un peu froid.

~

Le lendemain soir, Holmes n'était pas rentré.

Ce n'était pas habituel, pour le détective, de s'absenter des jours entiers sans donner d'explications. Mais il le faisait rarement aussi abruptement. Surtout lorsque l'enquête les concernaient de si près.

Un verre d'alcool à la main, planté devant la fenêtre qui donnait sur la rue, Watson regardait la nuit tomber en attendant le détective. Chaque minute qui passait serrait un peu plus son cœur.

Et si Holmes l'évitait ? Et s'il le méprisait pour son erreur ? S'il ne voulait plus jamais le revoir ?

La gorge serrée, il finit son verre et s'en servit un autre.

Il n'avait pas dormi, la nuit précédante. Le visage du majordome le hantait, comme celui de ses proches. Watson connaissait bien la culpabilité. Il l'avait déjà expérimenté, cette horrible blessure de l'âme qui rendait les miroirs si douloureux.

En fait, lorsqu'il était revenu de la guerre, il avait bien cru en mourir. S'il n'avait pas rencontré Holmes, peut-être en serait-il mort... Ou peut-être aurait-il sombré dans la boisson, comme son frère...

Il soupira et reposa son verre, en se demandant si Holmes se doutait à quel point son passé avait sa part d'ombre, et à quel point il avait été près de l'auto-destruction.

Watson soupira et regarda autour de lui. Des dizaines de pages manuscrites peuplaient son bureaux. Il avait essayé d'écrire, aujourd'hui. En vain.

Peut-être que Holmes avait raison. Peut-être que ses histoires n'en valaient pas la peine.

Il se saisit du manuscrit et le jeta rageusement dans l'âtre.

Quelqu'un frappa à la porte.

Pas Holmes, constata misérablement le docteur.

-Watson ! s'écria un de ses collègues de l'hôpital St Bartholomew's en jaillissant dans la pièce, essoufflé. On a besoin de vous, vite !

Watson se précipita sur sa trousse de médecin.

Il faillit percuter Holmes, qui entrait juste dans le salon.

-Je sors ! Lui lança-t-il à la volée. Urgence médicale !

-Eh bien, répondit le détective d'une voix acerbe, on peut dire que vous avez à cœur de réparer vos erreurs, vous. Mais allez-y, abandonnez-moi, je vais me débrouiller...

-Holmes, c'est injuste... répondit le docteur, étranglé.

Mais le détective, fatigué, et, quelque part, irrité de ne pouvoir passer sa soirée à lui raconter ses découvertes, comme il l'avait espéré sur tout le chemin du retour, lui tourna le dos et retira son manteau.

Watson savait que l'affaire à l'hôpital était urgente. Il n'avait pas le temps de discuter. Alors il fit volte face, la gorge serrée, et, faisant fi de sa fatigue et de sa douleur à la jambe, suivis son collège. Des gens avaient besoin de lui. Il verrait le reste plus tard.

La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)Where stories live. Discover now