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Holmes ouvrit à toute volée la porte de l'appartement et grimpa jusqu'au salon à une vitesse phénoménale, que Lestrade eut bien du mal à suivre.

Tout était vide. Et froid.

Watson n'était pas rentrée.

Cette simple phrase frappa le détective avec tant de force qu'il chancela.

-Il n'est pas là... remarqua doucement Lestrade en arrivant dans la pièce.

-VOUS LE VOYEZ BIEN ! Hurla Holmes.

Lestrade, surprit, eut un mouvement de recul. Il avait déjà vu Holmes entrer dans une colère froide et rationnelle – proprement terrifiante – mais ça c'était différent, c'était...

De l'inquiétude, réalisa le policier en notant ironiquement que si les circonstances avaient été différentes, il aurait été bien heureux d'avoir enfin la preuve que le grand détective n'avait pas un sang froid à toute épreuve, et qu'il possédait bel et bien un cœur.

Il accepta le regard apologique de Holmes – le mieux qu'il puisse espérer de lui – et hésita avant de continuer, d'un ton apaisant :

-Il va sûrement arriver d'une minute à l'autre. Il aura été vexé d'être resté en arrière, ou sa jambe lui aura fait particulièrement mal...

-Il serait arrivé avant nous !

-Peut-être a-t-il trouvé réconfort dans un pub ? Où peut-être est-il passé chez un droguiste acheter de quoi soulager sa douleur ?

Holmes ne répondit rien. Le porte-monnaie du docteur traînait par terre, certainement tombé de sa veste. Et quant à soulager la douleur, il savait qu'il y avait de quoi faire à Baker Street...

Son épaule adossée à la fenêtre, il commença à scruter la nuit, détaillant chaque ombre mouvante, dans l'espoir insensé qu'elle s'avère être celle recherchée.

Après tout, rien de grave n'était arrivé à Watson, n'est-ce pas ? Rien qui justifie qu'il fasse... Une bêtise ?

Il cogna son poing contre la vitre, assez fort pour l'ébranler. En temps normal, il se faisait un point d'honneur à toujours connaître l'humeur exacte de son ami, ses soucis, ses projets, ses ennuis... Comment avait-il pu se laisser distraire à ce point ?

Un coup timide fut frappé à la porte.

Holmes fit un bond, entraînant son cœur avec lui. Certes, Watson avait les clefs, mais peut-être se sentait-il coupable, et était gêné ? Peut-être...

La porte s'ouvrit. C'était Madame Hudson, accompagné de Wiggins, son Irrégulier favori. La déception le heurta comme un coup de fouet.

-Vous vous sentez mal, Madame Hudson ? Lança le détective à la logeuse, qui arborait le teint pâle et les yeux rouges.

-Je voudrais m'excuser auprès du Docteur... Wiggins m'a tout raconté... J'ai honte de moi.

Un sombre pressentiment étrangla le cœur du détective.

-Raconté quoi, Madame Hudson ? Dit-il doucement.

Ce fut Wiggins qui lui répondit.

-J'lui ais dit que c'était grâce au Docteur qui z'avaient trouvé l'remède aussi vite, et que sans lui, bah ya sûrement la moitié des gosses qui y passaient. Et j'voulais lui dire, moi, que j'ai parlé avec les gars, et qu'y sont d'accord, et qu'on sait que c'est pas sa faute pour Tom.

-Tom ? Répéta Holmes, qui avait bien trop peur de comprendre.

-Ouais, vous savez m'sieur Holmes, c'est toute cette histoire avec les fausses pilules miracles que le Docteur nous avait donné, l'aut' jour. Et bah en fait elles étaient empoisonnées, ou mal foutue, et pis y'a plein de gosses qui y sont passé. Au début, vous voyez, j'étais en colère cont' le Docteur, comme les aut', on se disait que c'était sa faut', et qu'on allait lui faire payer... Pis j'lai vu à St Barth', m'sieur Holmes, au chevet de Tom, et y s'battait tellement fort pour le faire survivre... Même moi j'aurais abandonné, pour sûr, parce que Tom, il était déjà malade, au début, et qu'on pensait même pas qu'il allait vivre jusque-là. Et même que les aut' médecins étaient tout impressionnés, et qu'y chuchotaient que c'était parce que c'est votre ami, m'sieur Holmes, qu'il avait compris aussi vite le coup de l'empoisonnement, et ils lui disaient d'aller se reposer, et tout et tout, mais vous connaissez le Docteur, il a fait comme s'il entendait rien. Pour sûr, j'étais tout remué, moi, c'est pour ça que j'ai parlé aux aut', et qu'chuis là pour lui dire qu'on lui en veut pas.

Holmes reporta son regard sur sa logeuse.

-Watson vous avait donné des pilules pour votre... nièce, n'est-ce pas ?

Elle n'eut pas besoin d'acquiescer.

Holmes fit volte-face, leur tournant le dos à tous, et posa son front sur la vitre.

Watson, Watson, Watson... Il fouilla les ombres, sans espoir. Où êtes-vous ? Dieu, qu'il s'en voulait...

Il lui aurait fallu un regard pour tout déduire... Mais il ne lui avait pas donné. En trois jours, il n'avait pas donné un seul véritable regard à la personne la plus importante de son existence, au moment où elle avait tant besoin de lui. N'étais-ce pas la définition même d'un monstre ?

Il repassa en silence tous ses faits et gestes, analysant ses paroles, et à quel point il avait dû blesser Watson, en l'admonestant si sévèrement sur cette affaire, en le laissant seul dans la cellule, en le traitant de paresseux alors qu'il avait passé la nuit à sauver et voir mourir des enfants, lui qui les aimaient tant, et puis l'avoir laissé là, sur le trottoir, alors qu'il était en train de souffrir...

Jamais, JAMAIS il ne se pardonnerait cette faute. Mais pour l'amour de Dieu, pourvu qu'il ait l'occasion de chercher le pardon...

Il y avait un cri, dans sa gorge, qui cherchait à sortir, un cri de rage, de douleur, de culpabilité, et d'amour blessé.

Watson...

Et l'idée qu'il était perdu quelque part dans cette grande ville, seul, blessé, la simple pensée qu'il l'avait abandonné, que Watson se sentait rejeté... C'était un poids mort à l'intérieur de sa poitrine, un poids lourd qui le compressait un peu plus à chaque respiration, menaçant de le faire imploser.

Trois coups timides à la porte ramenèrent son attention dans la pièce.

Comme Watson, Holmes allait expérimenter cette petite touche finale qui prouvait que le destin n'était pas sans ironie, le minuscule coup de pinceau qui faisait définitivement basculer l'ensemble du tableau dans les limbes de l'enfer.

C'était Doyle.

-Watson est là ? Demanda aussitôt l'agent littéraire, sans faire attention aux faces accablées de ses interlocuteurs.

-Non, répondit finalement Lestrade, puisque les autres semblaient incapables de parler.

-Je voulais m'excuser, continua Doyle, mal à l'aise, si vous le voyiez, dites-lui que la lettre que je lui ai envoyé était une erreur, une missive destinée à un autre auteur... Ses histoires se vendent mieux que jamais, et je suis honoré d'être son ami. J'ai accouru dès que je me suis rendu compte de mon erreur. Vous lui direz ?

Il y eut un silence.

-Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Doyle, qui commençait à paniquer.

-Watson a disparu, résuma Lestrade. Je vous expliquerai en cours de route. Holmes, nous allons partir à la recherche du docteur...

Holmes lui lança un regard blanc. Bien sûr qu'ils allaient partir à sa recherche. Aucune autre pensée n'était envisageable.

-... et vous allez rester ici, finit le policier.

Holmes faillit rire, tant c'était absurde. Son Watson avait besoin d'aide, quelque part, blessé par sa faute, et il allait rester là sans rien faire ? L'idée était complètement risible.

-Holmes, continua l'inspecteur, qui, pour la première – et dernière – fois de sa vie, lu aisément les pensées du détective, j'ai l'habitude de ce genre de situation. Il faut que vous restiez là au cas où il reviendrait, ou que quelqu'un apporterait des nouvelles. Je pense que ce sera vous qu'il voudra voir. Nous allons nous séparer, Wiggins, Madame Hudson, Doyle et moi. J'irais vérifier les prisons, et passerais le mot au policier qui font leur ronde.

-J'irais dans les hôpitaux, embraya Madame Hudson.

-Je vais à son club, ajouta Doyle.

-Et moi j'met en place le réseau, finit Wiggins.

Ils regardèrent tous Holmes, habitué à lui laisser le fin mot de la fin.

Mais ils n'eurent droit qu'à un regard déchiré avant de quitter la pièce.

La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)Where stories live. Discover now