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Le détective consultant autoproclamé le plus génial de Londres – voire du monde – ne se sentait pas vraiment génial, à cet instant-là. Pas consultant, pas détective, rien du tout, rien qu'un petit homme perdu dans les affres de la vie. Rien qu'un humain, aussi vulnérable que le reste des mortels.

Il avait repris sa place près de la fenêtre, et scrutait la rue. Il s'amusait à prétendre que Watson allait apparaître, là, au coin de Baker Street, en sifflotant tranquillement, et lui révéler que ça n'avait été qu'une farce, une revanche de sa part, et ils se seraient disputés, et il ne lui en aurait pas voulu, et... et...

Et après quoi ?

Holmes frissonna. Il était glacé. Le feu était allumé, pourtant. Mais il se rendit compte, soudain, qu'il avait depuis longtemps cessé de se chauffer au feu de bois. Il utilisait la ferveur de Watson désormais, il la puisait directement dans ses yeux, dans son sourire, dans ses gestes, dans ses soupirs...

La vie, sans tout ça, ne s'apparentait qu'à un vaste couloir sans lumière ni chaleur. Sans Watson, la vie n'en vaut plus vraiment la peine, conclut-il.

Avant de réaliser l'énormité de ce qu'il venait de formuler.

Mais il aurait le temps plus tard d'examiner ces étranges pensées. À présent, son angoisse et sa culpabilité prenaient trop de place dans son esprit pour qu'il puisse y reconnaître autre chose.

Pour la première fois de toute son existence, Holmes comprit pourquoi les gens priaient. Lui aussi, il aurait bien voulu croire en un Dieu, quelque part, qu'il pourrait supplier assez longtemps pour qu'il lui rende son Watson, pour qu'il puisse soigner ses blessures, pour qu'il ne lui en veuille pas, pour que la vie reprenne le doux train de leur coexistence... Oh oui, s'il avait cru que ça changeait quelque chose, Sherlock Holmes, le grand Sherlock Holmes, se serait jeté à genoux sur le tapis.

Mais non. Le ciel était vide. Il était seul.

Et Watson, ou qu'il soit, était seul aussi.

Il referma ses bras autour de son corps. Il ne s'était jamais senti aussi impuissant de toute son existence.

~

Une rafale de vent plaqua contre lui son manteau trempé.

Watson s'appuya contre le garde-fou, et contempla, en contre-bas, les eaux furieuses de la Tamise, qui crépitaient sous la pluie battante.

Il resta un long instant immobile, l'esprit vacant, simplement hypnotisé par le mouvement des flots.

Et il se demanda, soudain, ce qu'il ressentirait à basculer.

La chute, sûrement... une sensation d'envol. L'impact de la surface. Ça, ça serait douloureux. Mais juste après, l'étreinte glaciale de l'eau, la fin de toutes les sensations. La lumière de la surface, de plus en plus lointaine. Quoique... Il y avait si peu de soleil. Le ventre de la Tamise devait être plein de ténèbres. Après, bien sûr, viendrait la brûlure. Le liquide qui pénètre dans les poumons. Encore la souffrance...

Et le vide.

Et si ça arrivait, songea-t-il, qu'est-ce que ça changerait au monde ? Le trou qu'il aurait creusé dans l'eau serait tout aussi vite refermé.

Madame Hudson serait peut-être un peu triste. Quoique... Ça dépendait, si sa nièce avait pu s'en sortir. Lestrade l'oublierait certainement, il ne faisait pas une très grande différence pendant les enquêtes. Doyle... Eh bien, de toute façon, il avait déjà coupé les ponts. Vu le ton de sa lettre, il l'oublierait tout aussi vite. Comme ses lecteurs. Et Holmes... Oh, c'était le plus douloureux de penser à Holmes... Il l'imaginait vivre sans lui, arpenter le salon de Baker Street vidé de ses possessions. Il l'imaginait – il n'avait jamais eu de mal à convoquer en esprit son visage et sa fine silhouette – résoudre des enquêtes, fumer, allez au restaurant, aux bains turcs... Avec quelqu'un ? Reprendrait-il un colocataire ? Il avait les moyens de s'en passer désormais. Dieu savait pourquoi il l'avait gardé si longtemps.

Il soupira et glissa une main le long de son visage, chassant l'eau qui continuait de s'y amonceler, dans un geste aussi vain que peu réconfortant.

Il n'avait plus vraiment mal à la jambe. En fait, il était si frigorifié qu'elle était devenue presque insensible. Il savait qu'il manquait de sommeil et de nourriture, et qu'il avait de la fièvre, mais il n'arrivait pas à s'en préoccuper. Il n'arrivait pas à se préoccuper de quoi que ce soit, en fait.

Les choses avaient dérapé si facilement.

Et le bruissement furieux de la rivière, en contrebas, semblait lui demander ce qui lui prenait autant de temps.

La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant