Prologue

140 19 46
                                    

Assis sur ses coussins de brocart de soie rouge et or, le monarque regardait d'un oeil distrait l'assemblée de conseillers face à lui. Sa tunique vermeille finement brodée de dragons au fils d'or retombait lourdement autour de son corps.

Une main sur le visage il soupira, las de tout ces protocoles. Las de tous ces décrets et de ces hommes qui débattaient sur des futilités.

L'Empereur Wanyan Wuqinai, dit Taizong, venait d'être nommé au pouvoir. En cette année 1123, son père venait de le quitter juste après avoir déclaré l'avènement de la Dynastie Jin dans la partie Septentrionale de la Chine.

Suite à moult batailles et une alliance avec le royaume des Song, ils parvinrent à repousser le clan Liao aux portes des steppes de l'Asie Centrale. Mais le pacte militaire avec les Song fût rompus, l'Empereur dénonçait un manque d'efficacité dans la défense des terres de la part des Song. Les pertes humaines furent considérables et le mécontentement du peuple se faisait ressentir chaques jours un peu plus. Toujours les même problèmes, défendre son territoire et ses habitants en calmant leurs colères, montrer sa puissance aux autres royaumes et étouffer les différents conflits à l'intérieur même de la cour. Tout cela venait tourmenter son esprit. Et face à lui ses fonctionnaires, dans leur excès de zèle se pavanaient comme des paons pour attirer son attention. Il leva la tête et porta son regard sur une calligraphie qui décorait le mur de la salle du trône. Les coups de pinceau tantôt fins, puis plus épais, se mélangeaient en courbes gracieuses sur la toile de papier de riz. Taizong avait toujours aimé cet art ancestral que lui même pratiquait durant les précieuses heures qu'il pouvait avoir pour lui. Il pouvait s'évader à travers l'art et oublier l'espace d'un instant les responsabilités dues à son rang.

L'Empereur sortit de sa rêverie lorsqu'un membre du conseil l'interpella :

— Est-ce que votre Excellence se sent bien?

Il abaissa son regard et fixa l'individu qui venait de l'interpeller et déclara d'une voix calme au ton condescendant :

— Tout va très bien. Prenant appui sur ses genoux il se leva et ajouta: la séance est levée.

Le pas long et dynamique, Taizong traversa la salle d'audience. D'un signe de la main, il ordonna aux gardes d'ouvrir les portes. De chaque côté du monarque, ses conseillers, face contre terre, attendirent que ce dernier ait quitté la salle pour se relever. Le protocole exigeait que quiconque regardait l'Empereur dans les yeux se verrait exécuter publiquement pour affront à ce dernier.

Taizong traversa les allées pavés de la cité impériale. Véritable petit ville au sein de Yanjing, la cité administrative des Jins jouissait de tout le confort nécessaire pour subvenir aux besoins de l'Empereur et sa cour. Les allées étroites menant d'un bâtiment à l'autre, offraient des sculptures taillées dans la pierre. Jasmins et pruniers laissaient échapper leurs effluves enivrantes et ombragaient le chemin du monarque durant les chaudes journées d'été. Pour l'heure, il ne profita pas des charmes que lui proposaient le site. Derrière lui, les courtisanes guettaient ses moindres faits et gestes tout en discutant et, jetant de temps à autre un regard furtif au-dessus de leurs éventails.

Il était épuisé de ces femmes superficielles qui paradaient à la moindre parole qu'il pouvait dire. Fatigué de les voir se déhancher, cacher leurs visages sous des quantitées de maquillage et tout autre artifices dans le but de le charmer. Il se retourna, leur décocha un sourire poli, puis repris sa route. Il poussa un long et profond soupir faisant fi de cette mascarade autour de lui.

S'accordant quelques minutes pour admirer les parcs du palais, il savoura le froid bien que mordant de cette fin d'hiver lui fouetter le visage.

Chaque matin, à l'aurore, l'Empereur aimait se lever pour déambuler dans les jardins de la cité. Jour après jour, la nature enchanteresse était recouverte de son manteau de cristal dont elle s'était vêtue la nuit durant. Et, aux premières lueurs de l'aube, il admirait les rayons du soleil embrassant la glace sur la végétation environnante laissant une myriade de couleurs se graver sur sa rétine. C'était pour lui un moment de calme et de paix où il pouvait se ressourcer en toute quiétude. Il éveillait son esprit à mesure que la nature reprenait vie. Ce moment de bien-être, ce plaisir solitaire apaisa toutes les angoisses cumulées.

Les éclats de rire des courtisanes l'arrachèrent brusquement à sa rêverie. Contrarié, il accéléra le pas qu'il en courut presque pour rejoindre au plus vite ses appartements.

Postés devant l'entrée, les gardes virent l'Empereur qui, d'un mouvement du bras leur ordonna d'ouvrir les portes de sa chambre. Sans un mot ils écartèrent les lourds battants de bois. Sans se retourner, Taizong congédia l'ensemble de sa cour et pénétra dans ses appartements. Les gardes du corps refermèrent les panneaux de bois sous la protestation des femmes déçues de n'avoir pu obtenir quelques faveurs.

Le dirigeant de la dynastie Jin se précipita dans le vestibule de sa suite. L'odeur de l'encens qui embaumait la pièce remonta jusque dans ses narines lui provoquant un certain réconfort. Enfin, il ôta ses chaussures et put savourer la douceur de la laine des tapis lui réchauffer les pieds. Il ferma les yeux et sourit avant de se laisser choir sur une chaise finement sculptée dans le tronc d'un châtaignier.

Sa respiration bruyante et lente exprimait une fatigue intense. Dans un léger regain d'énergie il appela un de ses domestiques :

— Apportez-moi du thé pour deux personnes et faites convoquer Yona immédiatement. J'ai à lui parler.

Sans un regard, dans un silence solennel le personnel de chambre s'inclina devant l'Empereur et s'éclipsa en reculant le dos courbé.

Taizong profita de ce moment pour se rafraîchir le visage. De longues minutes passèrent avant que les gardes viennent annoncer l'arrivée de Yona.

D'un pas souple et silencieux, une jeune femme entra dans les appartements de l'Empereur. Dotée d'un grâce naturelle et d'une beauté lunaire, la jeune femme s'inclina respectueusement devant le monarque.

— Bonsoir Père, que puis-je faire pour vous ?

Taizong se retourna vers sa fille. Il songea en l'observant qu'elle avait bien grandi et était devenu une magnifique jeune femme. Telle une fleur récemment éclose, elle avait une fraîcheur et une douceur en elle qui fait qu'elle pouvait gagner la confiance de n'importe quelle personne. La blancheur de sa peau rappelait le clair de lune, ses yeux noir en amande respiraient intelligence et malice. Sa longue chevelure aussi noire qu'une nuit sans astre était savamment coiffée et surmontée d'un peigne d'or. Mais sous cet air angélique, le mystère demeurait quant aux activités de la jeune femme.

Elle sortait très peu du palais et se montrait particulièrement douée dans l'art de la discrétion.

— Yona, est-ce que tout est prêt ?

— Oui, Père. Et tout commencera dans trois jours lors de la prochaine pleine lune.

Taizong afficha un sourire radieux et l'invita à partager une coupelle de thé avec lui.

Seiðkona ( En Réécriture et publication lente)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant