Car j'ai rendez-vous avec vous

3.5K 219 68
                                    

Tous Public. Amour. Relation non-établie. Angst. 1044 mots.

Notes: Un très court OS (one shot), signifiant nouvelle ou récit court dans la langue d'internet, encore une fois attendant sur mon ordinateur, depuis un moment d'être publié. Dites moi ce que vous en pensez, vos retours m'aident beaucoup, merci encore d'être là, vous me motivez !  Le titre est une référence à une chanson de Brassens, en effet il existe dans le texte une référence au Mistral Gagnant de Renaud. Je crois être la seule personne à effectuer des références pareilles quand j'écris des nouvelles se déroulant au XIX siècle ou dans le domaine de la fanfiction..

Au fait je le publie pour ce mois d'avril, sans que ce ne soit en rapport avec un certains poisson ou des œufs -quoique- mais je vous souhaite de bonne fête de Pacques !  

-------


Il avait tenté de se persuader, en vain, qu'au fond le docteur était comme les autres.

Mais ce serait-il blessé autant pour lui ? Aurait-il été si dramatique ? Aurait-il tant redouté la tombée de rideau ?

Non. Aucunes phrases toutes faites ne le préparaient au cliché tout fait, qu'est l'amour.

Toute sa vie, il avait été mélancolique, toute la vie il le resterait pourtant depuis qu'il était à ses côtés une autre douleur avait surgi dans son cœur, une douleur, dont il ne désirait se séparer. Son pauvre cœur ayant subi plus d'un virement qui aurait pu lui être fatal subissait une musique infernale.

Lorsqu'il le vit apparaître, avec sa silhouette si familière se dessiner dans ce Londres gris, il dû se maîtriser.

Après tout ses sentiments ne siéraient peu à la situation. Il avait rendez-vous avec lui, il avait arrangé plusieurs fois son masque, un beau masque créé pour l'occasion. Puis il le laisserait au fur et à mesure de la conversation se retirer.

« J'ai rendez-vous avec vous John. H. Watson » se répétait-il, avec délice.

Il en était si heureux que c'en était indécent, à une autre époque, il en aurait été différemment. Pourtant, il se sermonna, il n'en avait pas le droit. Pas le droit d'atteindre le bonheur.

Il songeait à mille choses futiles, à mille choses qu'il attribuait au beau sexe, mais se déclarant bien pouvoir céder à son habituelle coquetterie, il s'observa dans le reflet de la vitre de la librairie « Ah quelle mine affreuse ! » songea-t-il.

Comme il lui en voudrait, ça c'est certain, de ne pas l'avoir prévenu de ce rendez-vous, de cette entrevue dans son cabinet, mais ce qu'il lui dira vaudra bien le déplacement. Et les lecteurs du Strand en auront pour leur argent.

La silhouette silencieuse, au milieu de la foule bruyante, se mut avec un automatisme de la routine. Un automatisme que le détective s'était tant plu à observer. Il le suivit avec quelques difficultés, son dos lui faisait mal, ainsi que ses nouvelles chaussures.

Et le flot continuel de passants ne cessait de désenfler, Holmes se moquait bien du charpentier l'ayant bousculé ou du regard en biais méchant de la maquerelle sous des dehors de poissonnière, car il avait rendez-vous !

Comme il rira de ces anecdotes ! Comme il sera surpris de les apprendre !

Oh, il ne put s'empêcher de sourire, pour se reprendre il ne fallait penser de la sorte, son cœur battait à tout rompre. Allait-il l'accepter ? Allait-il l'abandonner ?

C'était sa première déclaration, il fallait que cela fonctionne, sinon une fidèle seringue l'attendait sagement rangée dans son écrin. Il avait tant attendu, tant préparé son discours, il l'avait tant performé. Or après tout c'était idiot, de tout gâcher de nouveau, de ruiner leur amitié pour cela, pensait-il, pour aussitôt se dire que la vérité n'avait jamais tué, pas même le plus grand comédien de ce siècle !

De le suivre il ne cessa, il se cacha même à certains instants, se calmant, devenant intransigeant avec lui-même : « Cette fois-ci ce sera aujourd'hui, je ne le quitterais pas tant que mon entreprise n'est pas menée à bien. »

Plus rien ne le retenait à se taire, plus rien à mettre fin au supplice de l'amour en l'acceptant pleinement, il tritura nerveusement sa veste. Mais il en était effrayé de cette fin, si simple est la solution de la fuite. Qu'allait-il dire ? Qu'allait-il en lui disant lui faire subir ? Comment allait-il réagir ?

Et s'il l'abandonnait après lui avoir offert le bonheur ?

S'il se moquait, ne considérait pas la chose sérieusement, que pourrait-il faire ?

Ses questions dont il avait travaillé les réponses ne l'abandonnèrent jamais, lorsque le docteur entra dans le cabinet, il sut que la décision devait être prise. Il pouvait très bien rester sur le banc à regarder les pigeons imbéciles, ainsi que le monde passant n'en étant pas si éloigné ou décidé de traverser la route, remonter l'avenue et ouvrir la porte.

Pour se donner confiance, il se récita mentalement des bribes du passé et du présent à venir.

Mais à trop penser au temps à venir, il ne put pleinement le saisir. Les minutes passèrent, les heures défilèrent, jusqu'à ce qu'il soit forcé de se rendre à l'évidence. Décidément ce n'était pas aujourd'hui qu'il le lui avouerait. Le soleil allait bientôt effectuer sa ronde nocturne.

Triste, il se releva, rempli de haine contre les pensées l'agitant, ses émotions l'ayant conduit une fois de plus à l'inaction. Il avait tout préparé cela devait être grandiose, phénoménal et au final il était resté là, pathétique, les yeux dans le vague à y songer.

Comme il rêvait d'être véritablement une machine, comme il rêvait de ne plus posséder ce corps, comme il rêvait de ne plus aimer à ce point jour après jour, car le supplice sans fin se poursuivait. Les artifices de la drogue durant ses années ne l'avaient pas aidé.

Or comment se distraire, comment se supporter quand on se hait d'appartenir à l'humanité ? Quand on sent le temps s'écouler et vous achever à petit feu. Cette humanité infecte, cette vie stérile, seul Watson s'en détachait. Mais comment pouvait-il l'aimer ?

Comment prétendre exister lorsqu'on se condamne à l'inaction ? Comment survivre à soi même sans garantie que la personne que vous aimiez, si bonne avec vous, puisse vous aimer en retour d'une façon similaire ?

Les lampadaires bientôt seront allumés, il ne désirait pas retourner de là où il venait, il ne désirait pas se retrouver encore seul avec ses idées noires. Il voulait penser aux aventures à venir, aux mystères et à l'avenir. Même s'il ne venait pas, même si tout cela n'était que conjectures, il voulait tant s'y envelopper, car pour sortir du linceul il faut une bonne raison.

Comment pourrait-il l'aimer encore ?

Car après tout même le costume, les discours, la surprise, les anecdotes croustillantes ne rattraperaient le temps perdu, ni n'amènerait son ami à le serrer dans ses bras.

Il se sentit si coupable, si cruel, il était dans cette tourmente depuis si longtemps.

Car il avait rendez-vous avec lui depuis trois ans mais plus que jamais, maintenant, il lui fallait revenir.

Revenir d'entre les morts.


-FIN-


Les Délices IllicitesWhere stories live. Discover now