De la froideur...

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« Domaine de l'émeraude »


Ces mots se détachent d'une petite pancarte à la lisière d'un chemin alors que je décélère progressivement l'allure, notre destination finale toute proche.

Je sens les petits doigts d'Amelia contre mon ventre se desserrer légèrement.
Sur la fin du trajet, je n'avais plus senti le contact constant de son corps derrière moi, comme si elle maintenait volontairement une certaine distance. Et elle se permettait à l'approche de notre arrivée de défaire un peu plus le seul contact qui nous liait encore par la pression de ses mains.
Nous avions roulé ainsi pendant plus de cinq heures avec une seule pause au milieu du parcours à mon initiative : elle n'avait pas réclamé directement qu'on s'arrête, toujours plongée dans sa bulle, peu réceptive à ma présence ou mes demandes.
Lors de cette pause, elle était restée muette, le regard fuyant : elle s'était contentée de signes de têtes aux quelques questions que je lui avais posées, arborant un visage aussi figé qu'une poupée de cire. J'appréhendais encore plus les jours à venir après cet intermède : je ne savais pas comment j'allais pouvoir gérer la situation si elle restait dans cette attitude, à la limite de l'autisme...
Son comportement lors de la cérémonie m'avait fait espérer qu'elle était prête à s'ouvrir, à se reposer sur moi dans cette épreuve. Mais ce n'était qu'un espoir de courte durée.
Il allait falloir que je redouble d'efforts et d'attentions pour tenter de la faire réagir et reprendre le dessus.
Et dans ce domaine, j'allais devoir improviser : j'avais appris à gérer des prises d'otages, à piloter un hélicoptère ou recoudre une blessure au milieu du désert...mais ma formation dans les forces spéciales ne m'avait pas enseigné comment redonner le goût à la vie à une femme qui a l'impression d'avoir tout perdu...


La lumière du jour commence à faiblir sur le paysage qui se dévoile sous nos yeux lorsque j'effectue un dernier virage...un paysage qui m'est bien familier mais que je n'avais pas revu depuis cinq longues années.

J'avance tout doucement sur les derniers mètres en reprenant la mesure de l'image qui s'offre devant moi : un chalet tout en bois avec des volets décorés d'étoiles au premier étage, s'élevant devant une étendue d'eau presque turquoise...un petit lac dont la couleur avait inspiré son nom au domaine.
Arrivé à quelques mètres du chalet, je gare la moto et actionne la béquille pour caler le véhicule. Amelia se détache doucement de moi et je la laisse descendre en premier. Je l'imite quelques secondes après, tout en l'observant quitter son casque et relâcher aussitôt ses cheveux. Je retire également l'accessoire de protection autour de ma tête et pose mon casque et le sien sur la moto. Je scrute Amelia brièvement alors qu'elle regarde le paysage qui nous entoure : mais à mon plus grand désespoir, elle balaye les alentours du regard sans la moindre marque de curiosité ou de plaisir...ou aurais-je manqué ce moment furtif pendant que je descendais de la moto ?


Des pas derrière nous me sortent de mon questionnement et je vois une silhouette s'avancer en quittant la maison. Une silhouette qui se dessine précisément au fil de ses pas jusqu'à me laisser percevoir un visage que je connais...qui avait vieilli mais qui dégageait toujours la même gentillesse et joie de vivre.

- Owen...quel plaisir de te voir...

- Bonsoir Rosie, réponds-je en la prenant dans mes bras.

Ce petit bout de femme d'une soixantaine d'années me serre fermement quelques secondes puis m'observe longuement, passant mon visage en revue puis ma tenue.

- Toujours aussi beau...tu restes le plus « beau des bébés » même à ton âge.

Je souris à sa remarque qui me ramène à certains souvenirs de mon passé.

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