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Say s'arrêta à la lisière des bois, dissimulée derrière un tronc mort à la surface couverte de mousse. Elle leva le museau, s'imprégna des parfums autour d'elle et laissa échapper un jappement excité. Parmi toutes ces odeurs envoûtantes, l'une se détachait du lot, aphrodisiaque.

La rumeur disait vrai. Le fils Carter était revenu après cinq ans d'absence.

Leur première rencontre remontait à huit ans, à l'époque Say en avait dix et Ash douze. Traînés de force à une réunion de paix par leurs parents respectifs, ces deux enfants loups s'étaient demandé ce qu'ils faisaient là, parmi ces patriarches. Say n'avait pas écouté un mot de cette entrevue, trop obnubilée par ce garçon en retrait, qui semblait s'embêter comme un rat mort. Leurs regards s'étaient croisés. Carter avait plissé les yeux, comme s'il sondait son âme, s'était levé avec discrétion et, d'un mouvement de la tête, lui avait demandé de le rejoindre.

Les solitaires ne se mélangeaient pas aux meutes. C'était la règle. Sauf qu'à huit ans, qui se préoccupe des règles ? Certainement pas elle. Alors, elle l'avait suivi dehors, sous le couvert d'un ensemble d'arbres qui formaient une minuscule forêt dans le jardin. Say se souvenait de l'avoir appelé comme ça : une minuscule forêt.

— Comment tu t'appelles ? avait demandé le fils cadet des Carter d'une voix profondément assuré pour un enfant de son âge.

— Say. Say Warren.

-- Moi c'est Ash. Tu sais te transformer, Say Warren ?

Non, à l'époque, elle ne le savait pas. Ça ne les avait pas empêchés de parler et de jouer ensemble toute l'après-midi, jusqu'à ce que leurs parents les rappellent à l'ordre.

Say soupira, revenue dans le présent. Enfin, autant qu'un loup puisse soupirer. Ash, Ash, Ash. Elle avait hâte de le revoir. Avait-il changé ? Probablement, tout le monde évoluait.

Se souviendrait-il d'elle ? Après tout, ils avaient passé près d'un an à jouer ensemble en cachette, jusqu'à ce que l'Alpha Carter envoie son fils elle ne savait où.

Say rampa sur le sol poussiéreux, bien décidée à continuer son exploration. Un coup de feu la fit bondir sur ses quatre pattes et elle s'apprêta à repartir se cacher dans les bois.

Ce n'était pas la saison de la chasse. Et surtout, personne ne chassait sur le territoire d'une meute locale. Qui avait donc tiré ?

Un nouveau coup résonna et une myriade d'oiseaux quitta le confort de la jungle pour regagner les cieux. Say se glissa parmi la végétation luxuriante, les sens aux aguets. Les animaux fuyaient autour d'elle, les feuilles mortes craquaient, les branches se brisaient, un parfum de danger se mêlait à l'humidité des lieux. Consciente de ne pas être dans une position favorable dans sa peau de louve, elle décida de reprendre forme humaine. Elle ne voulait pas se prendre une balle par accident si des inconscients chassaient le gibier.

Ses os craquèrent, se déplacèrent, ses organes s'étirèrent, se rétractèrent et elle se retrouva allongée sur le sol meuble, haletante. Nom d'un chien ! Les transformations faisaient toujours aussi mal. Le prochain qui prétendait que la douleur passait après quelques années allait goûter à ses crocs !

Say se redressa et grimaça devant sa nudité. Peut-être que ça n'avait pas été une si bonne idée, après tout. Son corps un peu rond et sa taille marquée l'avaient toujours embarrassé. Se retrouver nez à nez avec des chasseurs éveilla soudain des complexes qu'elle parvenait difficilement à étouffer devant des humains. Devant les humains ou les garous, peu importait.

Elle se redressa, regarda autour d'elle avec une boule dans la gorge, puis s'élança dans les profondeurs de la jungle. Elle connaissait cet endroit par cœur pour l'avoir sillonné toute sa vie. Et ce, même si ce territoire n'appartenait pas à sa famille. Elle continua de courir jusqu'à la rivière, à un kilomètre de la route, puis sauta dans l'eau. Son territoire se trouvait à cinq cents mètres après la berge.

— Oh mon Dieu ! hurla-t-elle en se prenant des décharges électriques à cause du froid. C'est glacé, c'est glacé, c'est glacé !

Elle s'accrocha à un rocher glissant afin de contrer la force du courant et s'apprêta à remonter sur la rive. Deux pieds se matérialisèrent devant elle. Surprise, Say recula, une main sur sa poitrine. Le courant rompit son équilibre déjà précaire et elle se retrouva la tête sous l'eau, ballottée dans tous les sens. Une main la saisit par sa crinière mi-brune mi-rousse et la souleva. Elle se retint aux bottes de moto de l'inconnu, le souffle coupé, le corps soulevé par une quinte de toux.

— Nom... d'un... ornithorynque !

C'était sa façon de jurer. Sa mère la forçait à mettre cinquante dollars dans un pot en verre à chaque fois qu'elle disait un gros mot. Il fallait bien compenser.

— Un ornithorynque ?

— C'est l'équivalent d'un vilain mot qui commence par « me » et finit par « rde ».

— Depuis quand ?

Elle leva les yeux sur son sauveur.

— Depuis que mon porte-monnaie me supplie de changer de langage. C'est une longue histoire.

Vêtu entièrement de noir, sa stature athlétique imposait le respect par des muscles finement dessinés. Sous le couvert des arbres, elle put détailler son visage caramel à la mâchoire brute, traversé en son milieu par une cicatrice blanchâtre. Elle le connaissait. Et même s'il avait changé, il semblait n'avoir jamais quitté son cœur et son esprit.

Ash Carter.

Son odeur ne la trompait pas. Et quelle odeur ! Un parfum enivrant, délicieux cocktail d'épices, de touches fruitées, de pétale de fleur sauvage et de cascades boisées. Aujourd'hui, elle décelait aussi une légère odeur de carburant, de déodorant pour homme et de savon. Une force incroyable émanait de lui.

Il existait sans doute des milliers de façons de commencer une conversation pour des retrouvailles pareilles. La première question qui lui vint à l'esprit fut :

— Où étais-tu, Ash ?

Un sourire triste, mais bref, étira ses lèvres.

— Dans un établissement où l'on mate les loups-garous rebelles.

Ses longs cheveux noirs soyeux tombaient sur ses épaules massives et formaient un rideau de chaque côté de ce visage singulier.

— C'est là-bas que tu as eu ça ? insista-t-elle en tendant les doigts pour frôler la cicatrice du jeune homme.

Il lui attrapa la main avant qu'elle puisse l'atteindre. Pas avec brutalité, mais fermeté.

— Tu devrais peut-être sortir, lui conseilla-t-il avec calme. Tu vas mourir d'hypothermie.

— Oh non, mentit-elle, ça va très bien, je me baignais. L'eau est bonne.

Qui pouvait-elle bien tromper ? Ses dents claquaient les unes contre les autres et ses lèvres devenaient bleues. Elle fit mine de sourire, même si ses membres menaçaient de se détacher.

— Allez, Say, ce n'est pas comme si je n'avais jamais vu de fille nue. Tu n'as plus dix ans.

Justement, c'était bien ça qui la mettait mal à l'aide. Dorénavant, ils étaient adultes l'un comme l'autre.


••• Je vous présente ma mini histoire sur des loups-garous (sans blague). Elle compte dix chapitres, j'en publierai deux par jours. Elle est aussi disponible sur Fyctia avec un chapitre d'avance, n'hésitez pas à aller voir. Bisouilles ♥


Alchimie et loups-garousOnde histórias criam vida. Descubra agora