Alchimie et loups-garous

••• 6 •••

Quand l'air frais les accueillit, Say essuya la transpiration sur son front. Ses joues étaient rouges et ce n'était pas seulement à cause de la chaleur. Ils se trouvaient à une centaine de mètres des berges, là où les bateaux amarraient pour ravitailler les magasins de l'île. Le croissant de lune éclairait assez un chemin de terre battue pour qu'elle n'ait plus besoin d'utiliser la lampe.

— Et maintenant ? demanda Say.

— Maintenant, répondit Ash, on prend le bateau. Quelqu'un nous attend et nous conduira sur le continent.

— Maman, intervint Camilla, je n'ai pas envie de partir !

— Il le faut, chérie. On reviendra quand tout se sera terminé, d'accord ?

Tous ici savaient que c'était un mensonge. Say croisa le regard d'Ash. Il l'approcha et lui attrapa la main. Encore une fois, ce simple contacte résonna en elle comme un chant profond et rassurant. Savait-il pour l'Alchimie ? En tout cas, ce soir, elle avait plus peur de la meute Carter que de ce phénomène.

— Depuis quand préparez-vous ce départ, Ash ?

— Quelques semaines. C'est ta mère qui m'a contacté pour m'informer de l'intention de mon frère à te Revendiquer et à te marier de force. Je me doutais bien qu'il n'attendrait pas 3 ans. Qui pourrait ?

Elle fit abstraction de l'effet que possédait sur elle les derniers mots d'Ash et continua :

— Attends, c'est ta meute. Tu es prêt à te les mettre à dos pour moi ?

— Je serais prêt à traverser un monde en flammes, pour toi.

Elle se tut, trop émue et à la fois terrorisée par cette vérité inébranlable.

— Tu n'aurais jamais dû partir, Ash, souffla-t-elle.

— Je n'ai pas eu le choix.

— Pourquoi n'es-tu pas revenu lorsque tu as eu dix-huit ans ? C'était ton droit, tu étais majeur.

Alors qu'ils se remettaient en route, le regard d'Ash se perdit entre les arbres.

— Il fallait que je devienne plus fort avant de pouvoir revenir et combattre mon père.

— C'est le cas ? Tu es plus fort ?

— Oui et je ne suis plus seul, surtout.

Le grondement menaçant d'un moteur coupa court à leur conversation. Tous s'arrêtèrent, les muscles tendus à l'extrême. Dans la tête de Say, sa louve tentait de sortir, prête à bondit sur quiconque se mettrait sur son chemin. Une voiture, semblable à celles de l'armée, se gara en trombe au milieu de la route. Il se restait qu'une vingtaine de mètres pour rejoindre la plage et le ponton d'embarcation sur lequel un petit bateau les attendait.

— Halte ! hurla une voix masculine bourrue. On ne bouge plus !

Trois silhouettes humaines armées et deux loups bondirent de la Jeep. Les loups-garous sous forme animale étaient bien plus terrifiants et plus grands que n'importe lequel de leur congénère. Leurs gueules pouvaient couper en deux un humain d'un claquement de mâchoires. Say laissa peu à peu sa louve prendre possession de ses sens et de son corps. Les sanglots terrifiés de sa sœur balayaient sa peur au profit d'une rage meurtrière. Personne ne toucherait Camilla. Un grognement sortit de sa bouche, reprit en écho par celui de sa mère.

— Ici Oméga, on les a trouvés. À quatre kilomètres à l'ouest du point M, lança le conducteur dans un talkie-walkie.

Les loups entouraient le groupe, tout comme les deux types armés. Ash évaluait la situation. Il savait qu'abattre ces mecs ne lui posaient aucun problème. En revanche ces foutus clébards, c'était une autre histoire.

— Transforme-toi, Say.

Si elle détestait recevoir des ordres en dehors de ceux de sa mère, elle obtempéra quand même. Ses os commencèrent à bouger, ses muscles à s'étirer, ses dents à se transformèrent en crocs.

— Stop ou je tire ! hurla l'un des gars en pointant son arme sur elle.

Il n'eut pas le temps de réagir, un monstrueux coup de pied percuta son estomac. Alors que le craquement caractéristique de côtes en train de se briser résonnait, il percuta un arbre. Son corps retomba comme celui d'une poupée de chiffon. L'autre voulut tirer sur Ash. Déjà ce dernier lui bondissait dessus. Les loups s'apprêtèrent à attaquer à leur tour, quand Say termina sa transformation et se planta devant l'un d'eux, tout croc dehors. Sa mère, qui s'était également transformée, sauta sur le second animal. Commença alors un combat acharné. Chants d'insectes nocturnes et bruissements de feuilles se mêlèrent aux bruits atroces de dents perforants la chair, jappements de douleurs, de mâchoires choquant à quelques centimètres d'une gorge.

Say essayait de prendre l'avantage sur le loup gris. S'il était plus fort et plus grand, elle pouvait compter sur sa rapidité pour contrer ses attaques. Elle lui attrapa la patte et la broya dans sa gueule, pendant qu'il lui lacerait le flanc gauche. Qu'importe la douleur, elle voulait le tuer. La bête perdit l'équilibre, s'écroula par terre, incapable de tenir sur sa patte blessée. Elle en profita pour lui arracher la jugulaire. La base d'un combat de loups-garous si on voulait survivre. Ses dents s'enfoncèrent dans la chair tendre, le goût du sang emplit sa gorge, accentua sa rage. Sa proie parvint à se dégager de sa prise, bien trop puissante pour la laisser gagner. Bien qu'il perde une quantité de sang astronomique, il lui bondit dessus. Du moins, le voulut. Un coup de feu résonna et le loup s'abattit sur le sol, inerte.

Say se redressa sur ses pattes, essoufflé. Elle lança un bref coup d'œil à Ash qui tenait un monstrueux flingue d'assaut, puis à sa mère. La louve venait de tuer son adversaire avec une facilité déconcertante. Deborah Warren n'avait jamais été faible, à l'image de son défunt mari. En retrait, les yeux écarquillés par l'effroi, Camilla observait la scène. Say s'approcha d'elle, jappa, puis enfouit son museau dans sa main.

— Tu saignes, Say.

L'intéressée se contenta d'attraper son tee-shirt et de la tirer en direction de la plage. Ils reprirent leur route, Ash en retrait. Ils parvinrent sans mal à rejoindre le ponton d'embarcation. Say essayait d'ignorer la douleur dans ses cotes et l'odeur de son propre sang, mais ça lui devenait difficile. Un homme se dressa entre un petit bateau et eux. Elle gronda, mais il leva les mains en signe de paix.

— Tout va bien, je suis Kenny, le lieutenant d'Ash. Montez, je vais vous conduire en sécurité.

— Occupe-toi de Say, Kenny, ordonna le fils Carter, il faut que je règle un truc.

Tous suivirent son regard pour découvrir que deux autres loups venaient d'apparaître sur la plage. L'un d'eux n'était autre qu'Adrien. La souffrance balayé par la colère, Say voulut le rejoindre pour lui faire mordre la poussière.

— Non, la retint Ash en passant un bras autour de son encolure.

Puis, il regarda ses mains couvertes de liquide poisseux rouge. Une force surnaturelle, venue des profondeurs de son âme, monta en lui. Il était temps d'en finir.

— Je m'occupe d'eux. Va dans le bateau, laisse Kenny s'occuper de ta blessure. Je vous rejoins, c'est promis.

Elle hésita à suivre son conseil, mais choisit finalement de le faire lorsque sa mère, redevenue humaine la poussa à grimper sur la passerelle.