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Sous sa forme animale, Adrien Carter était aussi impressionnant que sous forme humaine. Son pelage noir se mêlait à la nuit, mais sa taille semblable à celle d'un cerf adulte se découpait dans l'obscurité. Ses yeux jaunes et ses oreilles pointées en arrière hurlaient silencieusement des menaces de mort. Le loup à ses côtés, un de ses amis, sûrement, faisait peine à voir. Beaucoup plus petit et moins saisissant. Ash n'en ferait qu'une bouchée.

— Je dois t'avouer, Adrien, que j'attendais ce moment depuis une éternité.

Depuis longtemps, il n'était plus question de déshonneur. Juste de vengeance. Cette vengeance qui bouillait dans ses tripes et le poussait à se lever chaque matin depuis qu'on l'avait envoyé à Sainte Terreur. Il avait vécu l'enfer, là-bas, mais ce n'était rien comparé à ce qu'il avait ressenti quand on l'avait arraché à sa meute, à sa famille, à son âme sœur. Bien qu'à l'époque, il ignorait tout du véritable lien qui l'unissait à Say.

— Tu n'as donc pas compris ? continua-t-il. Elle est à moi. C'est d'ailleurs ça qui t'a poussé à vouloir la revendiquer. Tu voulais me blesser, me détruire.

Le loup noir émit un long grondement.

— Mais tu te goures. Je suis là, j'ai toujours été là et toi, tu t'es contenté de marcher dans mon ombre. Regarde ça, grand frère, même en restant huit ans loin de l'île, j'ai réussi à avoir un coup d'avance sur toi.

Adrien bondit, la gueule ouverte sur une rangée de crocs meurtriers. La vitesse de l'attaque faillit surprendre Ash, qui roula sur le sable à la dernière seconde. Alors que son frère se réceptionnait deux mètres plus loin, l'autre imbécile loup-garou attaqua. Cette fois, il s'y attendait. Si la douleur lui vola une grimace quand les crocs s'enfoncèrent dans son bras, il envoya son poing entre ses deux yeux. Un coup éclair, mais d'une violence inouïe. La pression sur sa veste en cuir se desserra et le jeune homme fut libre. Déjà il se redressait en envoyant la semelle de sa botte de moto dans la tête de la créature. Un affreux craquement fut dissimulé par le hurlement de rage d'Adrien, qui s'élança à nouveau. Ash fit volte-face, recula, attendait que son frère arrive à sa hauteur et l'attrapa par les pattes avant. En plein vol. Il fit un brusque demi-tour et plaqua l'animal par terre. C'était un peu comme vouloir maintenir un ours immobile. Les crocs qui luisaient à la lueur de la lune menaçaient de lui entailler la gorge.

— Tu n'es pas digne d'être le prochain Alpha ! gronda Ash. Cette place me revient de droit !

Le cadet Carter faillit relâcher la pression à plusieurs reprises, tant le loup sous lui se débattait.

— Être l'aîné ne suffit pas. Je suis... bien plus fort... que toi !

Comme pour souligner ses paroles, une énergie brûlante naquit de son corps et se répandit autour de lui telle une marée de goudron invisible. Adrien se figea, surpris par ce pouvoir. Il couvrait peu à peu son pelage, s'insinuait dans les pores de sa peau, se rependant dans ses veines, dans ses muscles.

— Tu vois, mon frère, jubila Ash dont les yeux luisaient d'un jaune vif, je suis celui qui mérite de diriger une meute. Je suis né pour ça !

Le loup noir essaya de bouger, n'y parvint pas. Ses membres semblaient brusquement couverts d'une nappe d'acier aussi lourde que destructrice. Il n'arrivait pas à y croire. Comment pouvait-il se faire avoir par son petit frère ? Par ce misérable gamin têtu et rebelle ? A son tour, il laissa ses ondes d'Alpha de répandre autour de lui. Un instant, il crut qu'elles briseraient celles d'Ash et qu'elles lui feraient reprendre le dessus. Au lieu de quoi, Ash sembla les aspirer, devenir plus puissant encore. Adrien carter n'avait jamais vu pareil phénomène.

— Ce que tu ne sais pas, c'est que soit Sainte Terreur te tut... soit elle te rend plus fort. Tu n'as pas idée des épreuves que j'ai dû traverser, des phénomènes qui se produisent là-bas. Déjà à l'époque, tu n'avais aucune chance contre moi, espèce de misérable enfoiré.

L'animal peinait à respirer. Si la partie humaine d'Adrien comprenait ce qui se passait, celle de son loup se noyait dans un océan de terreur profonde. De la lave en fusion coulait à l'intérieur de son corps. Il aurait aimé hurler de douleur, mais il n'y arrivait pas.

Ash se redressa. Comme figé dans le temps, son frère resta immobile, les quatre fers en l'air.

— Tu es d'un ridicule frangin.

Il lança un vague coup d'œil à l'autre loup, qui ne bougeait plus.

— Mais ne t'inquiète pas, Adrien, je ne compte pas te voler ton titre et te prendre cette meute. J'ai déjà ce qu'il faut. Je voulais juste revenir te montrer à quel point tu te trompes. Tu n'es pas puissant. Tu es juste né avant moi.

D'un coup de pied rageur, le jeune homme envoya Adrien valser à plusieurs mètres. D'un revers de manche, il essuya la transpiration sur son front, ne se rappelant plus que son bras saignait. Peu lui importait, de toute façon. Dans le silence de la nuit, une sirène éclata au-dessus des arbres. Et voilà, son père venait de comprendre ce qui se passait.

— Une dernière chose avant que je mette les voiles. Tu n'approcheras jamais Say, tu ne la toucheras sous aucun prétexte. En fait, à chaque fois que tu voudras prononcer son nom ou que tu auras l'intention de lui parler, si tu la retrouves un jour, tu t'étoufferas avec ta propre langue.

Il se baissa, attrapa la fourrure noire du loup et le souleva jusqu'à ce que leurs yeux se croisent. Adrien, comme vidé de toute son énergie, ne pouvait plus bouger. Pour la première fois de sa vie, il se sentait aussi terrifié qu'une brebis sur le point de se faire dévorer.

— Et c'est un ordre.

Les paroles claquèrent avec autant d'impact qu'un fouet. Le loup-garou sentit l'injonction briser les barrières mentales qu'il s'était forgées en tant que futur Alpha. Elles tombaient aussi facilement que des dominos. Elle se creusait un passage dans son cerveau, dans son âme, laissait une traînée indélébile sur son sillage. Peu à peu, elle se nicha dans un coin de son être, présent et destructeur. Adrien savait qu'à chaque fois qu'il essaierait de prononcer le prénom de Sayana, cette bête infâme et démoniaque lui détruirait la conscience à coup de griffes. C'était ainsi qu'agissaient les ordres des Alphas et de leurs descendants, ils prenaient vie et hantaient pour toujours les victimes.

— Au revoir. Je ne doute pas qu'un jour, tu veuilles me retrouver pour me liquider. J'ai hâte d'y être.


Alchimie et loups-garousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant