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Trois jours plus tard, elle pouvait marcher et se déplacer sans boiter, même si les remous constants de la mer la rendaient malade chaque fois qu'elle posait le regard sur l'horizon bleu. Alors qu'elle se tenait appuyée au bastingage, observant les hélices de l'appareil, elle entendit Camilla éclater de rire. Il y avait peu de personnes sur cet engin, quelques membres du personnel qu'avait dégoté Ash et qui restait en retrait, sa famille et Kenny. Cet homme lui rappelait tellement son père : sourire facile, silhouette massive, assurance, tendresse. Il s'amusait à soulever sa sœur dans les airs et à la faire tourner. Elle adorait ça. Au point où elle ne le quittait plus d'une semelle.

Say repéra sa mère installée dans une chaise longue, détendue. Elle lui avait avoué, la veille, qu'ils possédaient assez d'argent pour pouvoir survivre quelques mois, le temps de retrouver un équilibre. Depuis un moment, la meneuse des solitaires préparait ce départ. Say déglutit, à la fois heureuse et coupable. Heureuse d'avoir sa mère et Camille près d'elle, coupable de devoir leur infliger cette épreuve.

— Un petit plongeon ? J'ai cru comprendre que tu adorais l'eau.

Ash venait d'apparaître à ses côtés. Il portait encore ses bottes de moto un jean délavé qui moulait les parties les plus intéressantes de son anatomie et un tee-shirt qui laissait apparaître ses muscles saillants.

— Très drôle, Carter. Je te ferais dire que si Kenny n'avait pas tiré de coups de feu, la dernière fois, tu ne m'aurais pas retrouvé dans la rivière.

— Dois-je comprendre que tu as la trouille, Warren ?

Déjà il ôtait ses chaussures et son pantalon.

— Attends, tu es sérieux ?

En guise de réponse, il se débarrassa de son haut. Incapable de ne pas le dévorer des yeux, Say tourna la tête de l'autre côté.

— Dommage, ricana-t-il, dire que selon les rumeurs, les loups solitaires n'ont peur de rien.

Ash passa par-dessus de bastingage sans hésitation. Say tentait d'ignorer le défi qu'il venait de lui lancer. Elle jeta un bref coup d'œil au ciel bleu, puis à nouveau sur le jeune homme. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Sa louve mourrait d'envie de le rejoindre entre les vagues. Sans réfléchir davantage, elle retira sa paire de Converses, puis poussa un hurlement en plongeant tête la première dans l'océan.

Ce qu'aimait Say quand elle nageait, c'était le silence presque physique qui l'englobait quand elle mettait la tête sous l'eau. Un univers entier la séparait du monde réel dans ces moments-là. Quelques secondes de répits.

Elle remonta à la surface. L'eau froide rendait déjà ses lèvres bleues et tétanisait ses muscles.

— Ce n'était pas une bonne idée, lança-t-elle.

— Oh que si.

Ash disparut. Sentant le coup fourré, l'adolescente observa les alentours, essayant de savoir dans quelle direction il allait surgir. Au lieu de quoi, il lui agrippa les chevilles et l'entraîna sous la surface. Elle eut juste le temps de prendre une grande goulée d'air, déjà le bleu l'entourait de partout. Le visage d'Ash se matérialisa à quelques centimètres du sien, flou, mais toujours aussi craquant. Avant qu'elle puisse comprendre, il entoura sa taille et l'attira à lui.

Jamais elle n'avait eu l'occasion d'embrasser un garçon sous l'eau. D'embrasser un garçon tout court, en fait. Contrairement à ce que prétendaient les films romantiques, ça n'avait rien d'agréable. Comme s'il voulait simplement se moquer d'elle, il s'écarta brusquement. Quand elle remonta à l'air libre, il éclatait de rire.

— Tu trouves ça marrant ? N'importe quoi, j'ai failli m'étouffer !

— Si tu avais vu ta tête, Say.

Il continuait de rire. Malgré ses joues rouges et sa honte, elle finit par l'imiter.

— Ne me refait plus jamais ça, Ash.

— Compte là-dessus.

Il lui envoya une gerbe d'eau à la figure. Commença une bataille sans pitié pour savoir qui des deux dominerait l'autre. Ils finirent épuisés, au point où Kenny dut envoyer une bouée pour les aider à remonter.

En début de soirée, Say retourna dans la chambre pour prendre une douche et se changer. Elle avait attrapé des coups de soleil, mais le souvenir de cet après-midi la rendait profondément heureuse.

— Tu vas faire quoi après ? demanda Camilla en entrant dans la pièce.

— Me mettre de la crème sur tout le corps.

— Je ne parle pas de tes coups de soleil, mais du futur... quand on arrivera sur le continent. Kenny dit qu'on y sera demain matin très tôt.

Partir. Elle allait partir, c'était évident.

— Peu importe ma décision, je que tu saches que je t'aime, Camilla, d'accord ?

Elle prit la petite dans ses bras pour la serrer très fort.

— Moi aussi, Say. Tu crois qu'Ash va faire quoi ?

— Je n'en ai aucune idée...

Say réfléchit à cette question une partie de la nuit. Elle ne songeait même plus à son mal de mer, concentrée sur le fil de l'horizon qui se mêlait au ciel sombre. Sa mère vint la rejoindre et posa une main sur son épaule.

— A quoi tu penses ?

— A demain. À ce qui va se passer ensuite. Tu sais que Josh et Adrien ne lâcheront pas l'affaire, n'est-ce pas ?

— Les loups élevés dans une meute sont plutôt têtus, oui, admit sa mère.

Say poussa un long soupir.

— Je vais partir, maman.

Ce qui différenciait les solitaires des autres loups, c'était la liberté. Aucune accroche, chacun partait quand il le décidait, faisant ce qu'il désirait de sa vie dès sa majorité.

— Je n'ai pas envie de vous mettre en danger. Et puis...

Say jeta un coup d'œil à Ash occupé à discuter avec Kenny. Sous la lueur argentée de la lune, elle le trouvait incroyablement beau. Quand il tourna la tête dans sa direction, comme s'il avait senti le poids de ses pensées, il lui sourit. Le sourire le plus magnifique qui soit, le plus sincère qu'on lui ait donné.

— Et puis, il y a Ash, continua sa mère à sa place. Ça ne m'a pas échappé ce qu'il y a entre vous. Ça ne m'a jamais échappé, en fait.

— Je ne connais rien de lui, pourtant j'ai la sensation profonde qu'il ne me décevra jamais. Tu te rends compte qu'il a bravé sa propre famille pour moi ? Qu'il s'est mis sa meute à dos pour me sauver d'Adrien ? Je suis morte d'angoisse, mais j'ai ce besoin profond de le suivre. Ironique pour un loup solitaire, non ?

Sa mère posa une main dans son dos.

— On se fiche de ce qui est ironique ou non. Fais ce que bon te semble. Tu es une solitaire, tu es la liberté incarnée dans un monde structuré par une hiérarchie. Je ne choisirais pas à ta place. D'ailleurs, ne laisse personne choisir à ta place.

Alchimie et loups-garousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant