1 - Le guerrier borgne

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Soleil ouvert, le pas prudent, Vendate avançait à travers le chemin forestier. Les bouleaux blancs et noirs donnaient son nom à la forêt Poudraite. La terre était meuble, voir boueuse, et il craignait qu'un animal se torde la patte dedans. Il observait les bois tout en restant aux aguets, l'œil attentif, les tresses à sa barbe secouées par l'orage qui s'annonçait. Un regard derrière lui lui permit de constater que les carrioles marchandes suivaient le rythme. Il ne fallait pas traîner dans ces bois. Des nuages gris gorgés de pluie s'amoncelaient au dessus d'eux, comme un mauvais présage. Il se persuadait qu'en l'état, rien ne pouvait le surprendre, tout en sachant que c'était faux. La marche pour lui avait été longue, car il n'avait pas le droit de se reposer contrairement au soldat. Il était parfois envoyé en avance en qualité d'éclaireur. Depuis qu'ils étaient entrés, sa main était restée crispée sur son épée. Ses nerfs étaient à bout, et la fatigue étaient comme des poids à ses jambes. Pourtant, malgré sa méfiance, il ne pouvait contenir une certaine excitation. Celle là même qui le pousser à accepter ce genre de mission. L'Élu lui en soit témoin, il aurait donné son seul œil pour avoir l'occasion de dégainer son arme. Il sortit de ses pensés en sentant quelqu'un approcher dans son dos.

« Tu t'ennuies ? » Kerighan l'avait rattrapé pour se placer à ses côtés. Le jeune soldat ressemblait trop à une caricature de preux chevalier pour que Vendate le prenne au sérieux : les cheveux ras, bien rasé et le visage angélique, le tout engoncé dans une armure rutilante qui lui couvrait la majeure partie du corps.
« Tu sais, je n'ai pas vraiment le temps de m'ennuyer avec l'excès de prudence dont j'ai tendance à faire preuve. Avec vos armures, allez pas vous étonner si on nous repère de loin.
- Bah ! Les bandits, on n'en fera qu'une bouchée, toi et nous autres. Les Aïma sont-ils pas censés valoir dix hommes, une fois le combat engagé ? T'as plus qu'intérêt à valoir ce pourquoi je te paye !» Kerighan sourit de sa boutade, un sourire que Vendate pouvait presque voir briller. Le guerrier était habitué aux moqueries du jeune homme. Mais il savait que si le moment venait, ils pourraient combattre tout les deux sans se gêner. Le chevalier avait récemment obtenu une promotion bien méritée, et c'est avec l'argent de cette dernière qu'il s'était payé une aide supplémentaire. Ces bois avaient la réputation d'être remplie de hors la lois, après tout. Kerighan brisa le silence à nouveau
« Dis-moi, ton œil gauche là, on le crève vraiment à tout les membre du Clan Aïma ? » Vendate soupira. La question pouvait paraître légitime, la réponse restait trop intime pour qu'il la donne à son jeune employeur. Les Aîma, leur rituel... Le "cadeau" qu'on lui avait fait resterait jusqu'à la fin de ces jours. A cause de ça, on le regardait de travers dans les rues, on se retournait en le voyant et le montrait du doigt. On le jugeait comme un guerrier né, un marchand de mort. Tel était le destin de ceux qui rejoignait le Clan Aïma. Il leva sa main et toucha du bout des doigts le bout de sa paupière. Les minuscules anneaux de métal qui scellaient sa paupière tintèrent harmonieusement. Il soupira à nouveau.
« Tes mentors ne t'ont rien dit à ce propos ?
- En partie. Et par des rumeurs aussi. Mais entre ce qu'on dit et la vérité, il y'a un abîme de différence. Donc je te demande.» 

Il grogna. Certains secrets ne se révélaient pas à la légère et celui là en faisait partit. Le jeune homme devrait le savoir, mais on ne lui a rien enseigné à ce sujet. C'était déplorable.
« Je ne peux rien te dire de plus alors. Maintenant silence, restons concentrés sur la mission. »
Le jeune homme secoua la tête d'un air résigné. Ils restaient côtes à côtes dans la marche, mais Kerighan finit par reculer légèrement pour donner des consignes à ses hommes, entre deux railleries. Vendate le suivit du regard et vérifia l'avancée des charrettes. Prêt d'une dizaine de caravanes marchandes se suivaient en procession. Les caravanes étaient tirés par des chevaux ou des bœufs et Kerighan s'était assuré que toutes soient escorté d'au moins un de ses hommes. Tous se dirigeait la capitale commerciale Dome, une véritable ville-marché. Tout bon marchand rêvaient de se rendre à Dome afin de se créer un nom et d'y devenir quelqu'un. Tout le monde y avait ses chances, après tout... Il finit par laisser dériver son regard aux alentours. Les arbres ne laissaient pas beaucoup de lumière pénétrer et le jour commençait aussi à décliner. Ils devraient arriver à destination d'ici une heure à peine.

Il s'interrompit et leva la main en signe d'arrêt. Le groupe ralentit doucement. Il prit les devant et avança au pas. D'un geste fluide il dégaina sa claymore et déposa la lame sur son épaule. En face de lui, un homme, le début de leurs ennuis. Vendate en avait vu suffisamment pour les reconnaître. Un bandit. Vêtu d'une armure de cuir et une épée au clair, il se tenait devant lui. A lui seul il avait arrêté le convois. Et, le guerrier le remarqua trop tard, dans un endroit parfait pour se faire déborder en cas d'attaque. Son regard virevolta d'un arbre à l'autre, des cimes aux rochers... tout ce qui pouvait cacher de potentiels ennemis. Le bandit brandit son épée devant lui et en pointa Vendate.
« He ! Je vous arrête. Désormais, ce qui vous appartiens m'appartiens ! Ne me prenez pas à la légère !» Son sourire était rempli d'orgueil et de présomption. "Encore un de ce qui se croit invincible" se dit Vendate. Mais lui aussi souriait, non pas d'orgueil, mais comme de façon carnassière. Il était le chasseur et le bandit la proie.
« A toi tout seul hein ? Dis-nous plutôt. Combien êtes-vous à vous cacher comme des lâches dans ces bois ? A atteindre vos prochaines victimes. Pas de chance pour vous, nous sommes nombreux et préparés.
- Ah ! Il pouffa. Tu crois me faire peur, le borgne ?"
Derrière toute cette bravade, les mouvements du bandit étaient fébriles de peur. Et peut-être aussi d'excitation. Sa mains vint caresser le manche de son épée. Vendate était inquiet de ne pas pouvoir se retourner vérifier les positions des hommes de Kerighan. Il accueilli avec soulagement le tintement distinct d'armes dégainées. Ils étaient prêt, aucun d'entre eux ne feraient surprendre. Son interlocuteur semblait ne plus parvenir à articuler ces sons, le souffle court. Vendate s'avança vers lui.
Un pas.
Deux pas
Trois pas.
Voilà. Il était désormais à portée pour pouvoir le tuer. Au moindre mouvement, sa vie pouvait prendre fin. Mais ça, il l'ignorait. Le bandit finit par reprendre un semblant de contenance et son sourire prit un air morbide.

« A dire vrai, guerrier, ton œil ne regarde pas vraiment la bonne cible.»
Vendate sentit ses poils se hérisser. Merde.... Et s'il avait marché dans le jeu de cet homme en ayant détourné son attention.A peine eut-il le temps de se retourner qu'il entendit un bruit sourd métallique. Il fit immédiatement un bon en arrière et esquiva le deuxième projectile qui lui était adressé. Il le vit se planter devant ses pieds avec une telle force qu'il manqua de projeter de la terre à son visage. Il avait suffit d'une fraction seconde, pourtant, le premier projectile avait lui rempli son funèbre rôle. Il vit Kerighan tomber au sol à ses côtés dans un flot de sang. Sa tête était défigurée par une hache la traversant presque de part en part. Se reprenant du choc, Vendate cria.
« En formation ! On nous attaque ! »
Au même moment, une secousse ébranla une des charrettes. Il regarda la masse qui venait d'y tomber et de s'y réceptionner aussi souple qu'un félin. Une hache de guerre dans chaque mains, la jeune femme qui venait d'apparaître souriait. Le sang de Vendate ne fit qu'un tour. Il connaissait ce sourire. Au milieu du chaos naquit une urgence. Pas d'armure, des armes puissantes, une odeur de sang et surtout, l'œil gauche clot. Ce ne pouvait être que le Destin qui le testait face à une Aïma. 

Il était au comble de la béatitude. Voilà bien longtemps qu'il ne s'était pas tenu face à un des siens. Et voilà bien longtemps qu'il n'avait pas connu cette sensation lorsque l'on mettait sa vie en jeu.
L'extase de la mort.

Les voies écarlatesWhere stories live. Discover now