6 - Quotidiens à Mekeb

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C'était sa mère qui lui peignait les cheveux cette fois-ci. De ses doigts fins, elle ordonnait les cheveux et les positionnaient avant de les lisser d'une main experte. Cette fois-ci, Quadesh n'était pas face à un miroir, mais bien face à Mardru, son benjamin, cachant son visage fatigué dans ses mains, assit sur le lit. Derrière elle devait se tenir Vern et Jurem, son père et son ainé. Elle entendait le dernier boire doucement, et sentait le regard du premier peser sur elle. Une mélodie planait dans l'air, au piano, joué par Almatek, son aïeul. Aucun des domestiques n'étaient là aujourd'hui. Comme le voulait leur petit rituel, il s'agissait d'une réunion dans la famille de sang pur, constitué uniquement des démons Originels. Et, bien qu'elle trouvât cette exclusion stupide, Quadesh n'avait pas son mot à dire.

« Taqua et moi partons demain à la capitale, comme vous le savez déjà. Nous y resterons un certain temps, indéfini. Taqua, tu y reste au moins un an, si je ne m'abuse ? » commença son père. Elle tourna un instant la tête, pour le regarder, mais fût grondé gentiment par Filia qui lui prit la joue et la remit bien à sa place. Elle avait eu le temps de vérifier : Père a toujours cette habitude idiote de prendre une apparence bien plus jeune que son fils. C'était le quotidien étrange des Originels. Si la plupart, comme elle, préférait prendre un âge similaire au vécu, ce n'était pas le cas de Vern. Sa mère lui avait avoué préférer suivre, à contre-cœur, son mari dans cette mode, plutôt que de donner l'impression de former un couple désunit. Là où Taqua semblait approcher la quarantaine avec des cheveux grisâtres, Vern avait toujours ces cheveux longs et noirs, proche de la trentaine. Quadesh, elle, à son âge, peinait à maîtriser la poussée de ses ongles...
« Ouaip. J'aimerai revoir Katia. Et pis, on va pas se cacher que moins je reste ici, mieux je m'porte.
- Quant à moi, je me dois d'entretenir les relations excellentes que j'ai avec le Monarque. En priant Aergoth de tout mon cœur pour espérer que notre prodigieuse fille n'ai pas tout éclaté avec ses déclarations... »
Elle baissa le regard à ces mots. Elle savait combien il en avait coûté à son père. Avant son entretient avec Ambrun, elle connaissait tout ou presque sur cet ange. Elle savait qu'il allait lui rappeler une histoire qu'elle connaissait déjà. Chacun de ses mots secs lui éclataient déjà au visage.
« Dois-je te rappeler comment, malgré tous nos différents, j'ai réussi à lier un pacte d'une importance capitale ! Ambrun, l'un des hommes les plus riches de continents, et Byron le Monarque, l'un des plus puissant. Face à moi, seul, avec seulement notre famille comme appuis. Le marché n'était pas simple, loin de là. Non, non, non, non, non... »
Ça avait commencé. Chacune de ses phrases avait la régularité d'une horlogerie. Chacun de ses mots s'abattaient sur elle, impuissante, accablée. Elle se sentait rougir de honte, la chaleur lui montant au front, suivie d'une nausée. Elle devait supporter ça. Il l'avait tous fait, ils s'étaient tous sacrifiés dans l'intérêt plus grand de la famille. Ce n'était qu'une étape, ce n'était pas contre elle, se jurait-elle. Les mains protectrices de sa mère lui caressaient les cheveux comme elles le ferait pour une petite fille. Elle ne voulait plus rester adulte tout à coup.
« Tu le sais très bien pourtant... Ton neveu, voilà ce que ça nous a coûté. Offert à l'autel du sacrifice du Monarque. Obligé de servir dans leur maudits Clans, à devenir l'un des leurs ! »
Son neveu... Jurem. Elle n'avait pas encore pu enquêter. Et son frère qui comptait sur elle... Comme elle s'en voulait maintenant.
« Mais toi tu ... !
- Il suffit maintenant. »
C'est Almatek qui parla, et un profond soulagement la délivra. Il avait suffi de quelques mots, et pourtant tout le monde se tourna vers lui. Elle jeta un coup d'œil vers Mardru, mais rien. Pas de signes, aucun soutien. Il était sans doute trop terrorisé, comme elle. Eux qui s'étaient toujours soutenu, jumeaux de sang et de cœur. Mais là, ils devaient chacun trouver leur place dans la famille désormais, en tant qu'adulte. Elle avait eu de la chance, elle qui avait été si privilégiée de vivre dans un tel confort, un tel luxe, de n'avoir jamais eu à travailler auparavant, de pouvoir voir tous ses caprices se réaliser à la moindre demande... Elle savait qu'on n'avait pas eu tant de douceur envers Taqua et Mardru, que ce dernier travaillait d'arrache-pied désormais et qu'il ne parvenait jamais complètement à effacer les cernes se creusant sous ses yeux. Elle ferma les yeux et pria. Peut-être la déesse Aergoth aura une réponse à lui donner.

Les voies écarlatesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant