3 - L'outsider

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An 734.
Il remetta son chapeau en place et essuya son front couvert de sueur. Quelle chaleur... ! Couvrant ses yeux, il regarda le ciel d'azur. Un soleil de plomb tapait ses bras et ses épaules. Il devrait remettre sa chemise, sans quoi sa peau finirait par brûler. Mais il devait finir ce qu'il avait commencé. D'un pas, il sema le reste des graines de sa panière dans la portion de champ. Il tapa du pied pour recouvrir de terre partiellement. La terre meuble et fertile avait été soigneusement humidifié par ses soins auparavant, aussi profita t'il du reste d'eau dans l'arrosoir pour s'asperger le bas du cou. Ah.... Ça faisait un bien fou. L'eau tiédit par la température se mélangea à sa sueur et dégoulina sur son torse. Il devait se concentrer, terminer ça, et il pourrait se reposer et se restaurer. Après il irait sûrement prêt du fleuve. Il en sourit.
Il tendit la main devant lui et ferma les yeux. Pour commencer, il devait sentir la terre sous ses pieds nus. Il la sentit remuer. La vie palpitait en dessous, des centaines d'insectes bourdonnants, rampants, creusant. La fourmis ramenait ses denrées tandis que le lombric se creusait un nouveau terrier. Il se concentra sur les germes. Il les voyait, endormit, encore attiédit par un sommeil simple et confortable. Elles avaient tout leur temps. D'ici plusieurs jours elles s'éveillleraient vers le soleil qui les nourriraient de ses rayons. Puis elles laisseraient s'échapper leur semence afin d'accomplir le cycle éternel de leur vie. Des fruits pousseraient, gros et murs, prêt à fertiliser la terre à nouveau. Tout serait à sa place.
Il rouvrit les yeux. Devant lui se tenait les magnifiques plans de tomates, tel qu'il les avait imaginés. Bien ! Parfait ! Il se sentait couvert de sueur et épuisait, mais il en avait fini pour la journée. D'un geste, il s'asperga à nouveau du fond d'eau restant dans le seau. Puis il se dirigea vers sa bâtisse, à l'autre bout du village.

Il passa devant la ferme juste à côté. Les poules se portaient bien de ce qu'il en entendait, et il devait sûrement être l'heure pour Eliz de traire les vaches. Les bruits animals se faisaient entendre dès qu'on approchait du bâtiment. Il laissa couler son regard et salua ses amis qui le virent. Les deux fils de la fermière étaient attelés à brosser des cheveux dans le pré non loin du champs. L'aîné le héla.
"Heh, Grégory, t'as déjà finis ?
- Je nous ai fais des belles tomates bien rouge ouais. T'as qu'à voir. Et le reste des récoltes aussi sont à point déjà.
- Et tu va faire quoi maintenant ? Y'a plein de choses à faire non ?
- J'arriverais plus à utiliser mon Arcana je pense. Je préfère pas prendre de risque. Je vais lire et peut-être me balader dans la forêt."
Son ami répondit d'un sourire entendu, qui se voulait complice. Grégory ne comprit pas vraiment mais y répondit d'un hochement de tête et s'en alla. Il passa devant le chasseur et le marchand qui discutaient bruyamment. Il se discutait d'une hausse de prix dans le village voisin, de profit et de fidélité. Il continua son chemin. Le village était en pleine effervescence aujourd'hui. La saison était au soleil et au beau temps, aux récoltes. Les enfants jouaient à se battre et se poursuivre, et il manque de se faire bousculer par l'un d'eux. Il leur rouspéta une gentille menace dont ils se moquèrent en riant. Il n'était pas capable de faire de mal à une mouche mais ça l'amusait de se voir craint des tout petits par ses manières et ses habitudes. C'était le seul qui préférait souvent la compagnie d'un livre et de solitude plutôt de participer aux fêtes proposées. Il avait un rêve, lui.
Il finit par traverser le village à petit pas tranquilles. Il finit par atteindre sa petite bicoque. L'odeur des oliviers plantés sur le sentier l'enivra de la sérénité de ceux qui sont chez eux. Même durant le court laps de temps, il avait sentit le besoin de retourner à son intimité. Il rentra et farfouilla ses placards. S'armant de pain, de fromage de chèvre, de baie et de reste de viande séchée, il alla se restaurer dans son champ de tulipes. C'était sa fierté de pouvoir entretenir chaques jours un véritable champs de fleurs qu'il pouvait faire pousser à volonté. Tant que la Source de son Arcana n'avait pas été découverte, de telles récoltes étaient parfaitement inimaginables. La principale difficulté étant l'irrigation de temps de plantes. Les seules rivières connues étaient les fleuves Hel et Tartare. Le fleuve Hel étaient loin et nourrissaient déjà une partie de la forêt. Quand au fleuve Tartare, son eau été considérée comme impropre à toute consommation. On disait beaucoup de chose de ce fleuve...
Depuis qu'il faisait mûrir les plantes à partir de quelques graines seulement, le village avait connu un véritable essor économique. C'est pour ça qu'il pouvait se permettre de vivre seul à seulement un trentaine d'année. Il était presque riche quand on y pensait. Toute cette argent qu'il gagnait de ses services, il la dépensait principalement dans l'achat de nombreux livres et se constituait une véritable bibliothèque depuis presque quinze ans maintenant. Et depuis qu'il lisait, il avait acquit un nombre de connaissance dépensant celle de tout les membre du village. Il avait comprit une chose. Il était différent. Car il avait un rêve lui, oui.
Il rêvait de vivre ailleurs. Il pourrait aller à Tour la capital tortueuse, à Dôme aux milles marchés, à Vilem la grandiose,à Mekeb la corrompue... Il rêvait d'intégrer le grand monde, l'unique ! Depuis trente ans qu'il connaissait le même village, les mêmes visages rattachés aux même personnes... Toutes cruellement incultes. Il les avait prit en pitié et les enviait, eux qui se contentaient de si peu. Il terminait de manger en observant, caché parmi les fleurs, la vie dans le village. C'était son rituel, et il lui apportait la sérénité dans les moments difficiles. Il inspira et ferma les yeux. Voilà Marie... elle se promenait avec sa fille dans ses bras et allait sans doute acheter du lait. Il n'avait pas envie de la voir. Chaque fois qu'il la voyait, elle et la famille qu'elle s'était constituée, c'était comme un coup de couteau dans son cœur. Marie était son premier amour, son seul amour. Ils avaient même âge et se connaissaient depuis l'enfance. Il était tombé très tôt amoureux d'elle, mais sa timidité l'avait empêché de se déclarer à elle. Et quand il avait enfin rassemblé son courage, elle lui avait offert un doux sourire et un refus des plus cruels. Maintenant, elle est marié, elle attend son deuxième enfant et sa vue lui était insupportable. Il ne s'était toujours pas remis, la cicatrice lui semblait encore fraîche. Il s'en voulait d'être si sensible, d'être aussi souvent tenté par des larmes lui piquant les yeux... Heureusement, la plupart du temps, il se contentait de trimer au travail pour ne plus y penser, puis de laisser son attention divaguer sur les merveilles de la nature. Son repas fini, il décida qu'il irait dessiner prêt de la rivière. Le Tartare s'écoulait bruyamment en cette saison, et le tumulte du flot était périlleux à représenter. Hélas aucun animal ne passait à côtés pour boire. A vrai dire, aucun être vivant autre que lui ne s'en approchait, car il était connu que le fleuve était maudit. S'y baigner était fatal, et on ne retrouvait jamais les corps.
Lorsqu'il était enfant, lui et de rares amis avaient tentés de s'en approcher malgré les interdits. La curiosité l'avait emporté sur la peur, comme souvent. Ils avaient parcouru la forêt à la recherche du fleuve défendu, avaient suivi le son de l'eau rugissante. Finalement ils l'avaient trouvés. L'eau avait comme couleur un étrange mélange mélange entre le rouge et le noir, comme si du charbon rencontrait du sang. Les flots attaquaient la terre en la creusant comme des griffes. Le bruit qu'ils émettaient n'avait rien d'harmonieux de prime abord. Tout était chaotique, puissant et une impression de mal-être s'étaient installés en eux. Ils avaient eu l'impression qu'une présence les observait. C'était effrayant, mais ce n'était encore rien... Alors qu'ils s'apprêtaient à partir, ils entendirent une hurlement. Inhumain, le cri semblait pourtant être produit par la voix grave d'un homme et celle plus aiguë d'une femme, mêlées dans un son affreux et inaudible. Il se souvient encore comment ses poils s'étaient hérissés de sa peau, le frisson qui l'avait parcouru... Ses amis n'étaient jamais retourné à cet endroit, naturellement. Et il aurait dû en faire de même sans doute.
Mais aujourd'hui encore il pêchait, sa tablette de dessin sous l'aisselle, ses pas foulant la terre sèche de la forêt. Qu'est-ce qui le poussait à se rendre dans cet endroit digne de nourrir ses pires cauchemars ? Il se demandait parfois lui aussi, mais il avait fini par comprendre. Son insatiable soif de savoir et de curiosité le menait. Il avait cette soif depuis qu'il lisait. Tous les textes, les savoirs écrits de mains d'érudits. Et pas un seul qui n'explique ni ne comprend ce fleuve. Seules de très anciennes archives le mentionnait, mais les textes étaient, au mieux, obscurs. Celui qui les avait écrits étaient un écrivain connu du monde entier, Lumkile, dont les écrits sont les seuls à avoir survécu au Cataclysme. C'est grâce à son témoignage et le nombre prolifique de manuscrit qu'il a rédigé que l'on a pu reconstituer une page de l'histoire passé. Avant les démon. Avant les anges. Et avant l'essor formidable de l'Arcana.
C'est écrivain, érudit du nom de Lumkile, l'avait beaucoup inspiré. Selon ce qui avait pu être retracé de sa vie, il était aussi un homme de science et un influent politicien de son époque. La partie politique était la seule qui n'intéressait pas Grégory. Il avait envie de continuer le travail que Lumkile avait commencé. Traiter du fleuve Tartare, une source de mystère et de mythe en faisait partie. Peut-être qu'un jour il en percera les secrets. S'il parvenait à se faire connaître du monde grâce à ça, ce serait sa porte de sortie de ce village. Il pourrait aller à la capitale en étant considéré comme un savant, un scientifique. Il rencontrerait plus de gens comme lui, se lierait d'amitié et partirait en quête d'autre mystères... D'où provenait l'Arcana ? Quelle est la part de vérité dans les mythes et religions qui constitue son univers ? Que se trouvait-il en dehors du Continent Émergé ? Quel était la nature exacte des anges et démons avant leur arrivée ici ? Tant de questions auquel il espérait pouvoir répondre un jour. Il s'était assit devant le fleuve maudit comme il en avait l'habitude maintenant. Il prit ses pigments et les mit en place sur sa palette, son tuteur devant lui. Que représenterait-il aujourd'hui ?
Là, les traits n'étaient pas trop mal. Par contre, il avait exagéré cet arbre ici. Il passa un rapide coup de gomme. Hm... Ça ferait l'affaire. Le Tartare avait été étrangement calme finalement, tout du long de son tableau. L'eau pourpre et noire n'avait pas manifestée d'événement surnaturelle aujourd'hui. Son courant semblait accélérer car le bruit reprenait de plus belle. Il regarda la provenance de ce bruit. Il lâcha ses précieux outils de peinture. L'eau n'était pas censé faire ce bruit !? Il se précipita vers le tumulte. Il sentit l'eau traverser ses vêtement d'un froid glaciale. Le contact était poisseux, liquoreux même. C'était étrange mais il avait plus urgent à penser. Il percevait une forme, humaine, dans l'eau ! De mémoire d'homme, personne n'était ressorti du fleuve après y être entré. Un effroi plus glaciale encore que l'eau trempant sa chemise broya sa volonté. S'était-il condamné à l'instant ? Il attendrait de vivre pour réfléchir. Il tenta d'attraper des bras - ou des jambes, mais ses doigts glissèrent dans la panique. Il était vivant, il bougeait, se débattait. Grégory entendait les bruit court de respiration entre les flots. Pourquoi avait-il fallu que le fleuve reprenne son activité à cet instant précis ? Il savait ce qu'on dirait quand on le retrouverait mort... C'était écrit. Il ne le permettrait pas ! La main de l'inconnu frappa le seul et il parvint à se soulever du fleuve. Ils manquaient de se faire emporter plus bas encore à chaque instant. Grégory passa tout on bras sous son aisselle et agrippa son poignet. Avec une force méconnaissable, il souleva. Elle - c'était une femme, ne pesait pas lourd, mais même lui se surprit. Il fit un pas, trébucha et roula à travers l'eau. Ses poumons se remplirent d'eau et il toussa. Où était-elle passée ? Il l'avait lâchée ? Il n'arrivait plus à respirer, il fallait qu'il ressorte, mais il ne trouvait aucune prise. Il sentit une forte prise sur son bras, douloureuse, et sa tête sortie de l'eau. Il inspira, cracha. Elle retomba sur lui. Il passa son bras sous les siens et avança. Un pas après l'autre. Il s'effondra dos sur le sol.
Il était en vie. Il finissait de régurgiter l'eau ingérée. Et sa mystérieuse inconnue, où était-elle ? Il vit ses fesses en premier alors qu'il se redressait. S'en serait presque drôle s'ils ne venaient pas de traverser ça. Elle était de dos et regardait le fleuve dont ils s'étaient extirpés. Puis elle se retourna vers lui. Ses cheveux mouillés cachèrent à peine la plupart de ses formes si bien qu'il détourna pudiquement le regard. Elle semblait ne pas se rendre compte de la gêne qu'elle provoquait pour lui. Il croisa alors son regard. Un regard doré comme de l'ambre éclatante. Il n'avait jamais vu pareilles pupilles. C'était un spectacle sublime après être passé si proche de la mort. Soudain il se rendit compte qu'il l'observait depuis déjà longtemps. Il est vrai qu'elle était belle - très belle ! Il tenta un sourire et se leva.
"On l'a échappé belle. Tu dois avoir froid. Tiens..."
Il lui déposa son manteau encore sec sur ses épaules sans qu'elle ne réagisse. Elle l'observait avec curiosité. Il comprit. La pauvre devait avoir subit un choc bouleversant. Il avait lu que lorsque le choc subi était trop grand, la victime pouvait rester diminuée pendant le restant de ses jours. S'il souvenait bien, on nommait ça un traumatisme... Il la prit en pitié. Il y'aurait de la place pour elle chez lui ou même dans le village. Il retenta de lui parler.
"Je m'appelle Grégory... On est sortit, c'est bon. Tu es en sécurité maintenant, tu n'as plus rien à craindre. Tu as un nom ?"
Les questions et les explications se bousculaient à ses lèvres et il se trouvait bafouillant. La jeune femme ne répondit pas mais serra un peu plus son manteau contre elle. Elle devait être frigorifiée.
"D'accord. On va rentrer, suis moi... On pourra faire un feu chez moi."
Il lui tendit la main mais là encore, elle ne réagit pas. Il n'avait pas envie de lui prendre le bras de force une fois encore. Il fit quelques pas et s'éloigna. Elle le suivit, la tête basse. Bien, au moins il pourrait la mettre à l'abris du froid. Ils marchèrent jusqu'à sa maison. Sans qu'il ne s'en rende compte, la nuit était déjà tombée et personne ne fut témoin de l'arrivée de la mystérieuse jeune femme. Il en fut rassuré : il n'aurait pas trouvé les mots pour expliquer. Et puis, il avait du mal à l'admettre, il n'avait pas envie qu'on lui enlève. Égoïstement, il était le sauveur de cette personne, et il tenait à terminer ce qu'il avait commencé. Sûrement, il existait des bâtisses avec plus de place, avec tout ce qu'il fallait pour aider l'inconnue. Mais peu importait.
Il la fit entrer et la laissa s'installer sur un fauteuil. Il s'approcha de la cheminée et commença à l'alimenter pour faire un feu. Remuant les cendres avec son tisonnier, il observa pendant un moment son invitée. Elle tirait ses cheveux humides sur ses épaules et, maintenant qu'elle était au sec, tenait moins le manteau qu'il lui avait prêté. Elle n'avait aucune pudeur, il détourna son regard et se reconcentra sur le feu. Il lui faudrait des habits, mais il n'en avait que pour lui initialement, des vêtements d'hommes. Une fois le feu démarré, il partit chercher ce qui pouvait convenir de mieux. Il trouva des bottes à lui et des chausses noirs assez neutre, ainsi qu'un chainsil gris. En lui apportant, il se rendit compte qui allait sûrement l'aider à s'en vêtir. Il se demanda si sa vie n'avait pas basculée à l'instant. S'occuperait-il de cette femme durant le restant de ses jours, comme l'on s'occupe d'une enfant ?
La pièce était maintenant chauffée, la femme était vêtu de vêtement qu'elle tirait parfois comme s'il la gênait. Il avait réussi à la faire manger avec plus de simplicité qu'il ne l'aurait espéré. Il avait remarqué à cet instant qu'elle semblait comprendre le langage manuel, et qu'elle apprenait relativement vite. Il réussit aussi à la pousser à s'allonger dans son lit. Il dormirait dans son fauteuil près de la cheminée. Il était exténué et ne demandait plus qu'à dormir. Il ne s'était pas rendu compte à quel point il s'était dépensé aujourd'hui, mais il sentit ses bras courbaturés l'élancer douloureusement. Qu'allait-il faire demain ? Après tout, la situation était exceptionnelle. Il se rendit compte alors d'où venait le sentiment de joie lui venait. Il ne savait pas de quoi demain serait fait, mais ça ne l'effrayait pas. Il prendrait les choses en main. D'ici peu, il serait vu autrement par le village, les autres. Et cette femme...
Il entendit le parquet craquer et tourna doucement le regards. Il la vit s'avancer près de sa bibliothèque. Que faisait-elle ? Elle prit entre ses doigts délicats un livre et regarda la couverture comme un regarde un nouveau né. Puis rapidement, elle retourna dans la chambre, le livre en main. Quel comportement étrange... Elle ne savait sûrement pas lire.
Il s'interrogerait sur elle demain. Il en aurait le temps. Et demain, il informerait ses proches de l'événement. Il en tirerait une certaine fierté.
Il ferma les yeux et pensa à demain.

Les voies écarlatesWhere stories live. Discover now