5- Entendre et voir

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Un jour vint un de ces mercenaires Arcaniste détestable. Il apprit plus tard sa venue et la façon dont le village le fit fuir à coup de pierre et en brandissant fourches et houes. Le chef du village envoya une délégation dans la ville la plus proche, Emeria, afin de demander aux hommes de la Garnison d'assurer la défense du village, quitte à payer. A l'époque, seuls deux soldats gardaient le village, dont les lames étaient émoussées et le ventre tellement rond qu'ils n'auraient pu se défendre eux-mêmes. Le village n'avait, de mémoire d'homme, jamais connu le semblant d'une attaque.
Cinq jours plus tard, la délégation revint, sans renfort et avec un homme blessé à la jambe. Présent ce jour-là, il dût utiliser toute ses connaissances érudites afin d'aider le jeune homme à moins souffrir et, si possible, à ne pas perdre sa jambe. Le blessé, presque 'un enfant du haut de ses seize ans vigoureux, pleurait sa mère dans ses délires. L'épée qui l'avait attaqué lui avait traversé la chair du mollet jusqu'à ricochet sur l'os pour ressortir. C'est qu'il déduisit du moins, entre les balbutiements incohérents de son patient et les rapports essoufflés des revenants. Ils étaient partis au Nord-Est comme prévu mais aurait trouvait sur le passage un campement gardé par seulement trois hommes. Prit de courage dirent-t-ils, ils attaquèrent à hauteur de cinq contre trois. Plutôt de la témérité selon lui. Ils avouèrent moins promptement - mais avouèrent malgré-tout - qu'ils n'avaient pas pensé trouver plus d'hommes endormis dans les tentes. L'un d'eux, selon eux toujours, les attaqua en faisant léviter des pierres pour les envoyer sur nos braves. Les mercenaires sont pourtant connus pour leur utilisation de l'Arcana. Il rinça la plaie à l'eau pure et la banda en administrant les herbes que lui conseillait un de ses nombreux manuels. Ce dernier s'en retrouva taché, à sa grande honte, mais les acclamations qui suivirent l'annonce que la jambe du jeune homme était sauvé valurent ce maigre sacrifice. Il se sentait un héros ce jour-là.
Une semaine après seulement, ce fut tout une délégation de ce groupe qui arriva au village, armes en mains et l'Arcana prêt à imploser s'il le fallait. Encore secoués de leur dernière mésaventure, aucun des villageois n'avait eu le courage d'allait de nouveau chercher des renforts de la Garnison. Un supérieur de cette armée de pouilleux s'avança devant les villageois médusés et instaura des consignes très claires. Nous étions désormais l'otage et l'hôte de la compagnie de Jinn, leur chef. Sous les ordres du grand bandit, le supérieur dicta que toute tentative de rébellion serait punie de mort, qu'il n'était pas la peine d'espérer de l'aide de l'armée royale et qu'un village adjacent hébergeait actuellement la moitié de leurs troupes. Tout, d'après ses dires, s'étaient bien déroulé. Il rajouta que plusieurs jeunes et vigoureux hommes, ainsi que des farouches jeunes femmes, s'étaient joints à eux à mesure de leur descente dans la région. Sujets qu'il aborda fréquemment, dans l'espoir de recruter de nouveaux guerriers sans aucun doute. Il termina en présentant les termes de « l'échange ». Nous lui devions toits et couvert en compensation de la protection de Jinn contre démons et anges, voir contre l'armée et ses débordements. Frederik, le supérieur, s'installa non loin de chez lui et côtoya plusieurs fois sa bibliothèque, et par la même occasion sa convive Jaïs.
Peu à peu, sur un délai d'un mois, des troupes massives d'hommes s'installèrent dans tout le village, s'installant dans les maisons vides, habitées voir dans des tentes lorsque la place manquait. Fréderik insistait souvent sur le venu très proche de ce Jinn, qui était décrit par le supérieur comme une quasi-divinité. Il discuta de nombreuses fois avec Jaïs et cette dernière finit par le convaincre d'aller s'excuser au jeune homme à la jambe blessé en promettant qu'un Arcaniste du groupe spécialisé en soin améliorerait le travail entamé.
Ce jour-là, Gregory revenait de la ferme en grattant ses bras rougis, alors que le soir tombait. Eliz terminait de mener les animaux dans leurs enclos respectifs qu'il salua, ainsi que ses fils avec lesquels il travaillait. Alors qu'il avancé vers l'extérieur du village pour rejoindre sa demeure escarpée, il entendit un groupe converser. Il s'approcha à pas feutrés et tendis l'oreille, accolé à un mur.
« ... Trois. On en a retrouvé trois morceaux à différents endroits. On aurait dit que son corps avait était déchiqueté par un ours. Murmura la première voix, un homme à l'accent grelotant.
- Un ours ? Ils étaient une dizaine à ce campement, avec tous de l'Arcana ? Il se serait fait avoir par un putain d'ours ?! Ragea la voix d'une femme.
Nan, on est sur sa piste, voilà pourquoi. C'est sa signature.
- C'était nous qui les chassions pourtant... »
De quoi parlait-ils ? Gregory tourna très légèrement et lorgna d'un œil. Ils étaient trois, l'un restait silencieux les bras croisés, tandis qu'une jeune femme aux cheveux rêche et un homme d'une cinquantaine discutait à l'écart, à voix haute. La femme faisait les cents pas autour d'un point imaginaire. Il fit un brusque pas de côté alors qu'il crut qu'elle allait le repérer. Les deux autres étaient de dos et leurs voix lui parvenait moins. Ils avaient les cuirs bouillis et les armes singulière au groupe de mercenaires que le village était forcé à loger.
« ...Pas que Jinn l'apprenne... Plus de temps pour se préparer...
- Peu importe ! On a sa trace maintenant. Vu le massacre, il a forcément laissé une piste. On peut le pister, lui et son disciple. On finira bien par l'avoir.
- Tu es sûre que c'est bien lui ? demanda le troisième homme
- Sûre. Un démembrement, ça peut être que le chasseur de Aïma. »
Le chasseur de Aïma ? Où avait-il entendu ces mots ? Une personne avec suffisamment de puissance pour tuer une dizaine d'hommes à lui seul, avec le titre de chasseur du Clan le plus combatif. Il voulut en entendre plus, mais le groupe s'écarta et il ne voulait pas risquer de se faire voir en s'approchant trop. Il retourna discrètement chez lui en s'interrogeant sur ce fameux « chasseur de Aïma ». De tous les Clan Aïma était celui qui s'ordonnait le mieux pour se battre, considéré par beaucoup comme étant plus efficace que le clan Camor, l'autre grand Clan priorisant les compétences martiales. Ces derniers forment d'ailleurs la majeure partie de la Garnison, et il espérait en voir pour la première fois lors de l'expédition pour des renforts. Il n'était néanmoins pas mécontent, car pour la première fois, il avait pu discuter avec de nombreuse personne, qui, comme lui, maîtrisait l'Arcana. A tel point qu'il s'était demandé, s'il n'avait pas la responsabilité de Jaïs, comment intégrer leur groupe. Mais l'idée de se battre lui donnait la nausée, et de toute manière il aimait trop lire. Il gratta ses plaques rouges sur ses bras. Son tors tout en tier lui démangeait déjà depuis les derniers mois et aucune crème, aucun guérisseur ne parvenait à apaiser ses démangeaisons.
Il atteignit sa maison, occupé par Jaïs et Frédérik discutant entre eux. Le jeune mercenaire – mais Gregory ne pouvait s'empêcher de penser bandit – semblait au milieu d'une conversation avec la jeune femme. Jaïs, avait changé depuis qu'il l'avait sauvé de la rivière. Ses yeux ambrés lui accordèrent un regard fugace alors qu'il déposait ses fourrures. Le foyer était déjà allumé et la table mise pour qu'ils déjeuner à trois. Le furet du supérieur, Whistle, tournoya entre ses jambes en manqua de le faire tomber. Il s'abaissa pour essayer de le caresser, mais la bête montra les crocs et se réfugia sur les épaules de son maître en l'espace d'un instant.
« Ah, vous êtes rentré. Dit-il en recevant l'animal. On parlait, Jaïs et moi, de nos Sources respectives.
- Les Sources ? Et pourquoi ça ? »
Il remarqua sur la table une étude de Lumkile au sujet de l'Arcana et des Sources. L'écrivain avait popularisé ses termes des centaines d'années auparavant, distinguant l'Arcana de la façon dont chacun interprète cette force. Gregory faisait pousser des plantes et pouvait les faire flétrir et pourrir. Il a situé sa Source comme étant en rapport avec la nature. Il s'avait que Frédérik aussi pouvait se servir de son Arcana, comme tous la plupart des mercenaires de ce groupe, mais il ne l'avait jamais vu l'utiliser. Il avait un certain plaisir coupable à tenter de deviner les Sources de chacun puis de les voir pour la première fois, le surprendre et l'émerveiller tout à la fois. A ces regards il appréciait la venue des mercenaires, mais les imaginer utiliser une force aussi noble que l'Arcana pour tuer lui donnait un sentiment profond de mal-être. Et à ce regard, il espérait que le groupe reprenne la route au plus vite, sans faire d'histoire.
« Jaïs m'a expliqué ce dont tu étais capable. Elle dit avoir un Arcana, elle aussi, mais ne pas connaître sa Source. Tu sais, toi ? »
Il se méfia aussitôt. Pourquoi le supérieur s'intéressait à ça, il l'ignora, mais il était presque certain qu'une idée sommeillait en lui. Jaïs le regarda et se leva, un sourire timide aux lèves. Elle prit dans ses mains un plateau, sortit des placards des gobelet de terre cuire et fit chauffer de l'eau. Il se mit à réfléchir à toute vitesse.
«Je ne connais que ma Source à vrai dire, la plupart des gens avec un Arcana dans le village l'ont tellement peu développé qu'elle doit être atrophié désormais. Il leur faudrait des semaines avant de pouvoir espérer l'utiliser plus d'une fois par jour.
- Mais toi tu l'utilise tous les jours, pourtant. De même que moi. Si Jaïs est ta fille et qu'elle a un Arcana, il n'y a pas de raison qu'elle ne sache pas l'utiliser ou qu'elle n'en connaisse pas la Source. »
Frédérik se tenait le menton, appuyant sur sa main. Gregory s'assit face à lui après s'être déchaussé. Jaïs, sa fille. C'était la décision qu'ils avaient tous les deux prisent à l'arrivé des mercenaires, avec l'accord du village. Elle avait, à vrai dire, grandement évolué. Il se souvient encore de la jeune femme nue qu'il avait secourue, puis de cette même femme intimidée par la découverte de toute nouveauté, à peine couverte. Il avait prévenu le village d'abord, en exigeant qu'il déciderait quand elle pourra sortir. Il avait estimé qu'elle ne serait pas prête avant des mois peut-être. Pourtant, une semaine après, alors qu'il l'avait laissé avec ses livres à lire, il l'a retrouvé en train de parler sans la moindre trace d'hésitation, lui posant mille questions auquel il s'efforça de répondre. Peu à peu, un caractère émergea, et la femme intimidé et fragile acquit de la confiance et du savoir. Elle avait aussi gagné son respect, exactement trois jours après. Trois jours durant, elle lui posa des questions jusqu'à ce que sa tête devienne lourde et douloureuse, sa langue pâteuse et ses yeux fatigués. Des questions sur sa venue au monde qu'il n'a su expliquer, sur l'Arcana, les anges et les démons. Tout cela lui semblait inconnu. Il n'eut pas besoin de lui expliquer l'argent ou le fonctionnement général du monde. Travailler pour vivre, gagner sa vie, fonder une famille, la façon dont les plantes poussent et meurent... Tout ça ne fut que des petits rappels pour elle. Lorsqu'il revint ce troisième jour, il l'avait laissé en pleine réflexion après qu'il lui expliqua le fonctionnement de la monarchie et de la royauté. Il entra dans sa maison et retrouva le sol couvert de cheveux. Il la trouva là, assise prête du foyer, les cheveux raccourcis, lisant un livre comme si de rien n'était. Ces cheveux, autrefois tombant, se dressait désormais au-dessus de sa tête, à la façon d'un garçon. Lorsque, éberlué, il demanda pourquoi, elle lui répondit avec simplicité.
« Je ne me sentais pas moi-même autrement. »
Il était si fière d'elle.
Le tintement de la théière le fit revenir à lui. Frédérik le regardait, se tenant la tête d'un air las en attendant sa réponse. Il se frottait parfois sa barbe blonde pour dissimuler un bâillement.
« Excuse-moi Frédérik, j'étais dans mes pensées. Elle n'a pas de pouvoir. » Il hésita et la regarda. Elle s'était rassise et leur tournait le dos. Il voulut changer de sujet.
« Tu as entendu parler du chasseur de Aïma ? » Il fit mouche. Le regard auparavant désintéressé se mua d'un coup. Sa main sortit de sa barbe et il s'avança dans son siège.
« Oui, en effet. Tu en as entendu parler ?
- J'ai surpris tes hommes en parler oui. Il fit une brève pause, sonda ses traits. J'imagine que tu n'étais pas au courant.
- Ouai, non, effectivement. Tu sais de quoi il s'agit ?
- Je peux que l'imaginer... Un bretteur qui se prend d'attaquer et de traquer les Aïmas en particuliers. Mais pourquoi ?
- C'est une mesure prise récemment j'crois. Quand quelqu'un commet des crimes, il est envoyé en prison par la Garnison. Pour les Aïmas c'est différent, à cause de leur coutume et de leur religion étrange. Du coup, un type suffisamment fort a été désigné par le Monarque dont l'objectif est de chasser les Aïma hors-la loi. J'ai connu des bandes de mercenaires qui comprenaient un voir deux Aïmas, et je peux t'assurer qu'elles en profitaient bien.
- Mais vous n'en avez pas, pourtant, donc en quoi ça vous concerne ?
- Le chef veut tuer ce gars pour prouver sa valeur. S'il y parvient, il sera craint et respecté dans tout le continent, son nom sera conté par les ménestrels et il intégrera la légende... Il a tout prévu. Il veut lui proposer un duel à la régulière, avec des bardes pour retenir ce qui se verra. »
Gregory resta interdit. Ces gens qu'il avait surpris cachait quelque chose à leur chef et il l'avait découvert. Il voulait que ces gens s'en aille de son village. Il pouvait indiquer que l'on avait trouvé les traces du chasseur, et ils s'en iraient à sa recherche. L'un des deux mourraient, de préférence le chef mercenaire, mais ça ne le concernerait plus. Il regarda sa fille. Elle comprenait son dilemme, il pouvait le voir. Allait-elle intervenir ?
« Les trois mercenaires que j'ai vus, ils parlaient d'un camp décimé par le chasseur. Dit-il, hésitant. Ils comptaient vous cacher ça, je ne sais pas pour quelle raison. Mais je peux t'assurer qu'ils ne désiraient pas voir Jinn avant un moment. »
Frédérik prit un long moment pour réfléchir. Sur ses temps battaient ses veines comme si la colère le submergeait peu à peu. Il frappa du poing sur la table, faisant trembler toute la pauvre bâtisse. C'était comme un tremblement de terre. Grégory comprit : il relâchait son Arcana dans la fureur. Des livres tombèrent, Jaïs dû même s'accrocher au canapé pour ne pas chuter. C'était impressionnant. De sa vie, il avait déjà entendu parler, lu dans les livres, l'ampleur de certains Arcana. Mais jamais il n'aurait cru voir une telle démonstration de puissance sur le simple coup de la colère. Il ne fait aucun doute que le mercenaire aurait pu détruire la maison dès sa première entrée dans le village.
« Qui ? Qui trahis notre chef ?
- Je peux te donner des noms mais je veux que tu me promettes quelque chose. »
Où avait-il eu le courage, il l'ignorait. Mais c'était risqué, et le risque éclata. La main de Frédérik fondit vers lui pour lui prendre le cou. Son cœur manqua un battement. En un clignement d'œil, la main de Jaïs avait agrippé le poignet du mercenaire, le retenant de se jeter sur lui. Gregory recula dans sa chaise, haletant. Il venait d'avoir la peur de sa vie, il en sentait encore les goutes lui tomber sur le front. Les deux jeunes se regardaient avec un regard assassin, mais c'est Jaïs qui parla en premier.
« Ecoute ce qu'il a à te demander. C'est ce que tu peux faire de mieux pour ton chef. »
Il ne sut comment, mais les mots portèrent. Le mercenaire reprit contenance et plaque ses mains sur la table, attendant. Gregory essuya la sueur du dos de la main, bégayant quelques mots.
« J'aimerais que tu laisses, toi et tes hommes, le village tranquille. Que vous partiez d'ici et qu'on ne vous revoit plus. »
Il y'eut un silence
« Je ne peux pas prendre cette décision. Il faut attendre que notre chef revienne pour qu'on décide ça avec les supérieurs présents.
- Dans ce cas, dès qu'il reviendra, tu lui diras pour le chasseur et les traitres. Mais rappelle-toi que plus tu perds ton temps ici, moins tu en as pour le retrouver. Et je veux que tu arrête de chercher à recruter parmi nous. Si tu acceptes, je te donnerais les noms. C'est un jeu de confiance que je te propose. Si l'un de nous mens, ça ne profite pas à l'autre. »
Le Mercenaire fit un mouvement brusque et défit sa main de la poigne de Jaïs. Cette dernière, toujours alerte, croisa les bras ; et Grégory se demanda où elle avait acquis une telle célérité. Elle le regarda lui et ses bras, et il se rendit compte qu'il n'avait pas arrêté de se gratter à s'en arracher l'épiderme. Des lambeaux transparents de peau s'éparpillait sur sa chaise et par terre, montrant des plaques de plus en plus rouges en dessous. Il s'arrêta, se promettant de faire plus attention.
« Ça me va. Je te promets que je demanderais à J... »
Il le coupa
« Promet le sur Atropos. Seulement à ce moment je saurais que tu ne mens pas.
- ...Bien. Je promets sur le nom d'Atropos qu'aussitôt que Jinn, dit Le Roux, vient dans ce village, j'insisterais pour qu'on s'en aille. De même, je promets de ne pas demander à des villageois de nous rejoindre dans nos troupes.
- Je promets sur le nom d'Atropos que je décrirais exactement les trois traitres que j'ai vu. L'un était immense, silencieux et le crane raser. L'autre était un homme âgé à la voix chevrotante et avec un fort accent. Enfin, la dernière était une jeune femme aux cheveux rêches et brun, que je n'ai pas bien vu.
- Je vois...
- Tu sais de qui ils s'agit ?
- J'en ai une idée nette, oui. Merci Gregory. »
Il regarda le mercenaire avec interrogation. Pourquoi ces remerciements ? Mais le mercenaire se leva et sortit. Ses lèvres bougèrent à ce moment et il fut certain d'être le seul à comprendre la signification de ces mots. Une menace de mort.
Il était partit et Jaïs me regardait toujours. Grégory se sentait un peu gêné par ce regard, avant de se rendre compte qu'il se grattait à nouveau le bras.
« Merde. C'est plus fort que moi.
- Laisse-moi t'appliquer de la crème. »
Sans attendre son approbation, elle partit déjà à son tour, aller chercher la crème. Elle l'étala sur tout le long de ses bras et commença à les masser afin de les en imprégner. Tout se fit d'abord dans un grand silence méditatif. Cela m'amena à me poser la question suivante : pourquoi ? Pourquoi des mercenaires comme ce Jinn existait. Car mercenaire n'était que le terme officiel, mais bandit serait plus adéquat. Si la Garnison les repérait, il ne fait aucun doute qu'ils se feraient traquer jusqu'au dernier. Qu'est-ce qui, à leurs yeux, vaut la peine de prendre ce risque ? La fougue de l'illégalité, peut-être, mais ça ne suffisait pas... Tout ça l'amenait à s'interroger sur la popularité croissante de ces groupes de hors-la-loi coopératif, leur but et les mesures que prendra la royauté. Quoi qu'il se passe, leur village risquait d'en subir les conséquences, peut-être qu'en prévoyant à l'avance il pourrait mieux s'adapter, pensait-il.
« Notre avenir est menacé par ces gens... Dit-il tout haut.
- Il est vrai. Et tu as confronté directement leur supérieur pour assurer la sécurité des tiens. C'était courageux.
- Merci... Que cherche ces bandits, à ton avis ? Que leur apporte de vivre dans la peur constante de la mort, de perdre leur proche et leur liberté, pour une vie de misère ?
- Tu ne comprends pas parce que tu n'es pas un combattant, Grégory. Ce que je vois, c'est l'adrénaline, c'est le sentiment de liberté, c'est se surpasser pour survivre. C'est exprimer son mécontentement, son envie de vivre... Je ne sais pas d'où vient ce mécontentement, ni d'où vient cette sensation d'enfermement qu'ils doivent avoir lorsqu'ils sont obligés par des lois. Toi comme moi, on ne ressent pas cette nécessité, mais ce n'est pas pour autant que nous devons rester aveugle à leur ressentit. Connait ton ennemi... »
Il ria et échappa son bras encore luisant de graisse. Il alla chercher le thé et s'installa devant la cheminé. Elle le suivit et prit la tasse qu'il lui tendit. Le calme.
« Tu as beaucoup murit on dirait.
- C'est grâce aux livres que vous me faite lire. Frédérik aussi lit parfois, plus que beaucoup des membres du village.
- C'est une personne intelligente. Beaucoup ne lisent plus jamais une fois l'enfance passé, et leur seule occasion aura été pendant les séances d'éducation proposés par l'érudit du village ou de la ville voisine.
- A ce propos... Pourquoi ce ne serait pas toi qui t'en chargerait, ici ? »
Il la regarda, secoué. Lui, un érudit qui apprendrait à lire et à écrire aux enfants du village ? normalement, il passait quelques années à Emeria pour ça. Enseignant était un métier respecté et remarquablement bien payé, puisqu'une partie de l'argent servait à s'assurer que tous les enfants aient eu le minimum de connaissance, à savoir lire et écrire. Argent qui pouvait convaincre les parents de laisser ce qui, autrement, aurait été un gagne-pain. La carrière était si respectée qu'il existait un badge à valeur symbolique, prouvant les compétences et la confiance que la royauté accordait. C'était trop lui demander...
« Personne ne voudrait de moi, tu ne crois pas ? Je suis trop seul, souvent. Et je ne sais pas enseigner.
- Tu m'as appris pourtant. Tu te sous-estime... Je sais que tu en es capable. Quand les mercenaires partiront, je compte sur toi pour faire ta demande auprès des membres du village.
- Attend, qu'est-ce que tu veux dire par là ?
- Ce que je veux dire, c'est que je compte les suivre. Je vais leur parler, et partir à leur côté. J'ai compris quelque chose à leur propos, et si j'ai juste, lorsque nous rencontreront le Chasseur, j'en profiterais pour instaurer un dialogue. Dans le but de joindre la capitale.
- Mais, et...
- C'est pour cette raison qu'avant mon départ je souhaite que tu ais ta place dans le village. Pour ne pas laisser ce que nous avons entrepris inachevé. »
Ainsi elle désirait partir. Voler de ses propres ailes, sans doute, et accomplir ce qu'il n'avait jamais osé : voyager librement. Et il devait la laisser, car sa propre place était ici, n'est-ce pas ? Il regarda les flammes danser devant lui, brulant son visage. Ses bras couverts de graisse le démangeaient à nouveau, mais il l'ignorait. Il avait besoin de réfléchir, seul et en silence. Elle le comprit, lui sourit avec la tendresse d'une enfant vers son père, puis s'écarta. Trop de choses s'étaient passés en peu de temps. En fin de compte, sa fille ne lui appartiendrait bientôt plus. Il se maudit aussitôt de s'être dit ça. Elle ne lui avait jamais appartenu, mais il sentait un vide en lui se créer à nouveau, un vide qu'il avait déjà sentit auparavant alors qu'il vivait seul. Pourra t'il se réhabituer à la solitude désormais ? Il l'ignorait. N'existait-il pas un Arcana pour oublier sa peine ?
Il ne savait pas combien de temps s'était écoulé, ni s'ils s'étaient endormis ou s'il était plongé dans ses pensées. Du feu ne restait que des braises rougeoyantes et la nuit était tombée. C'est alors qu'il l'entrevit. Au fond des braises, se frayait un passage. Il approcha son visage. Plus prêt, encore un petit peu plus prêt. Le feu réémergea doucement par flammèche évanescente. Il apercevait un chemin. Il sut ce qu'il dû faire.
Il plongea.
L'obscurité et le vide, une chute dans le lointain et aucune sensation. Plus de repère, tombe-t-il, vole-t-il ? Il ne sait. Il ouvre les yeux, des myriades d'éclats ardents s'offrent à lui, tel un ciel nocturne aux étoiles safranées. Son odyssée lucide s'échappa tandis qu'il revoyait ce feu. Mais ce dernier avait changé, il était vermillon, et un être tout de noir vêtu, encapuché, se tenait non loin. Des ténèbres d'où s'échappait deux yeux partageant la couleur de ce feu étoilé. Ces fentes, il le savait, lui promettait sa destinée. Il allait devoir prendre une décision importante.
L'être encapuché écarta ses mains sans mot, et de ces mains Grégory vit deux chemins s'ouvrir à lui. Le premier chemin était vague, mais il en voyait le bout de façon floue. IL était chez lui, il était face à des enfants. Il apprenait, enseignait, il était respecté. Il était à sa place, et sa place et le reste de sa vie semblait claire et sûre. Dans l'autre main, un chemin complexe et tortueux, escarpé. Rien ne semblait simple dans ce chemin, les embûches étaient innombrables et indistinguable. Mais au bout... au bout. Une lumière, une puissance insondable et colossale s'émanait du bout du chemin. Un puit sans fond de connaissance, de pouvoir, de l'ordre du divin. Quelque chose qu'il pouvait atteindre. La solution.
L'être s'adressa à lui, et à ce moment le nom que les siens lui donnait lui revint.
« Voici deux voies que tu pourras emprunter. Vois. Et entend mes mots. Car demain, la décision que tu prendras pourra être la plus importante de ton existence. Si tu doutes, souviens-toi ces trois questions. Elles te guideront.
Qui es-tu ?
Où vas-tu ?
Que veux-tu ? »
Ainsi s'adressa à lui le Maître du Destin.
Il se réveilla à la soudaine intensité des flammes. Son cerveau réagit vite. Il se redressa du fauteuil duquel il s'était avachi en dormant, et regarda dehors. La lumière était tellement importante qu'elle lui provoqua des larmes. Sa main le protégeant, il regarda à l'extérieur alors qu'il entendait Jaïs descendre, sur le qui-vive. Dehors, toutes les flammes de la ville s'était éveillé d'un coup comme pour un jour de fête. Elle dansait d'une façon entièrement artificielle, contrôlé par quelque chose. Ou plutôt quelqu'un, pensa t'il. Ça ne pouvait être l'œuvre que d'un Arcaniste, et pas n'importe lequel. Il ignorait combien de torche le village comprenait, mais si l'homme qui avait provoqué ça les avait toute allumés, alors c'était quelqu'un avec un talent arcanique largement supérieur à Frédérik – et à lui-même, d'ailleurs. Comme attendu, les mercenaires se rassemblèrent dans un bouquant qui ne tarda pas à ramener le reste du village. Pour cette seule personne, l'entièreté du village s'était rassemblait. Et cette personne, c'était Jinn le Roux, chef de cette troupe de mercenaire anonyme. Grégory pouvait reconnaître une personne charismatique quand il en voyait une. Récemment, il avait entouré de ce genre : Jaïs et Frédérik était tout deux de ce genre, à leur manière. Mais Jinn était d'un tout autre niveau, d'une façon différente lui aussi. Ses cheveux mi-long flamboyait telle un feu doré dans son dos, et sa barbe elle semblait carrément bruler son visage. Des taches de rousseurs clairsemés sa peau comme autant de goute de feu qui l'aurait béni. Plutôt jeune et beau, il était torse nuit malgré la fraicheur matinale et l'humidité, qui ne semblait d'ailleurs même pas attendre sa peau. De lui se dégageait littéralement une aura qui inspirait la confiance et l'autorité. Nous étions bien sous sa protection, ainsi. Il portait à sa hanche une épée des plus simples et se yeux bruns était la seule banalité visible sur son visage. Pour sa défense, Grégory savait qu'il était excessivement rare, et de fait mal vu, d'avoir les yeux d'une autre couleur. Il ne connaissait qu'une personne qui n'avait pas le regard marron était Jaïs et ses yeux d'ambres. Ce qui avait fait craindre Grégory, car la superstition veut que ce genre de couleur fût synonyme de désordre.
Jinn claqua des doigts du quels apparu une mince flammèche comme artifice de ses capacités. Le silence se fut. Grégory comprit deux choses : la plus évidente, c'est que sa Source était sans doute le feu. La seconde, c'est qu'il semblait très fier de cette force. Lorsqu'il le jugea bon, il adressa la parole au grand groupe.
« Me revoici, mes frères. J'ai longuement voyagé pour arriver jusqu'ici. C'était un voyage pénible, fatiguant et pas très intéressant... Lorsque je suis arrivé, l'on m'a informé de choses importantes. L'une était que nous avions trouvés traîtres. Des traîtres, oui. Ne vous enfaite pas, pour deux d'entre eux, ils ne font désormais plus partie des nôtres. L'un a réussie à s'enfuir, mais ce n'est qu'une simple question de temps avant qu'on ne la retrouve. Mais j'ai été très déçu, et d'autant plus dépité quand j'ai appris que nous n'allions pas rester... On peut même dit que j'étais un peu sur les nerfs. »
Grégory déglutit. Et s'il décidait de tout réduire en cendre, sur un coup de tête ? Si le chef mercenaire semblait bien s'exprimer, il semblait parfaitement capable de prendre la vie sans sourciller. Sa tête se mit à tourner alors qu'il réalisait peu à peu qu'il avait provoqué ça, la mort de deux hommes. Et il devait repenser au rêve qu'il venait d'avoir. Tout c'était enchaîné en trop peu de temps, il avait perdu le fil. C'était bien l'effet du Maître du Destin, lui faire prendre une décision ici et maintenant. Mais il devait écouter ce que dirait Jinn avant.
« Villageois. L'un d'entre vous nous as sauvés d'une trahison. C'est cette même personne qui a marchandé pour que nous ne restions pas, hélas. »
Il y'eut des soupirs de mécontentement et de déception. Il ne comprenait pas et regardait autour de lui. Son peuple semblait attaché à cette figure protectrice et presque omniprésente, avant même qu'on ne le voit. Et il avait pris la décision, seul, de les faire sans aller sans proposer d'adieux. Pour qui s'était-il prit ?! Il savait quelle était la suite, elle se dessinait droit devant lui comme un kaléidoscope bigarré.
« Mais je respecte la décision de cette personne. Et je tiens même à la récompenser. C'est ma condition à moi, d'ailleurs. Je ne peux me permettre de partir sans remercier cette personne comme il se doit. »
La voilà, sa sentence. Il chercha dans les yeux, le sourire de Jinn, mais nulle trace de malice. Alors que dans ses mots... Il était obligé de se dévoiler à tous, de montrer qu'il était le coupable. Ceci fait d'une manière si exacte que les siens ne voyaient nullement que cette soi-disant récompense, qu'elle quelle soit, n'était rien en comparaison. Il serait vilipendé, haï... On se souviendrait toujours de lui comme le mauvais homme de l'histoire, alors qu'il n'avait souhaité que le bien des siens. Il regarda ses mains, et rassembla la force et le courage pour la lever et...
La foule s'écarta. C'était un phénomène qu'il n'avait jamais vu avec une telle intensité. Une haie d'honneur, respectueuse et méfiante, se construisait pour la laisser passer. Jaïs.
« C'est moi, très cher Jinn, qui ai lancé ces accusations et qui ai exigé ce marché. Et je connais déjà ma récompense. »
Elle s'était exposée, dos à tous ces gens qui, s'ils l'appréciés auparavant, ne la voyait plus que comme ce qu'elle était autrefois. Une étrangère, une envahisseuse aux yeux mauvais. Et pourtant, pourtant, elle, face à ce grand homme qu'était Jinn, imposant d'une grâce féline, elle détourna un court instant le regard et pivota sa tête. Et le regard qu'elle lança lui était adressé, il le sentit jusqu'au tréfond de son âme. Il tenta de trouver Frédérik du regard, essayant qu'il puisse avoir une explication à cette scène. Mais lorsqu'il le trouva, ce dernier ne fit que froncer les sourcils d'un air interrogatif face son regard insistant. Il devrait au moins contester, dire qu'il ne s'agit pas d'elle, pensa t'il.
Jinn la dévorait du regard. Ça se comprenait, bien sûr, car Jaïs était peut-être la plus belle créature qu'il puisse être donné à une personne de voir. Et par créature, Grégory pensait à ce regard que seul aigle devrait avoir, à cette démarche chaloupée et réactive. Elle avait définitivement quelque chose de plus qu'humain, mais il était sûr qu'elle ni une ange, ni un démon. Elle était unique, Jaïs, et il l'aimait comme une fille. Mais que désirait elle ainsi ?
« J'écoute, finit par dire le mercenaire.
- Si vous partez, comme je l'ai demandé, alors je viens avec vous. J'en ai plus qu'assez de ce village d'ignares xénophobe. Je préfère vivre une vie d'aventure, à vos côtés. »
Elle passa une main dans ses cheveux en se rapprochant, le dominant du regard. C'était comme voir un rituel de séduction, en plus dangereux. Jinn réfléchit, mais ses pensées autrefois sages et réfléchies, semblaient plus difficiles à concevoir. Le grand nombre de personnes, ajouté à Jaïs et le peu de temps qu'il a dû dormir l'obligèrent à une réponse rapide.
« C'est très bien. Tu nous suivras, et tu feras partie notre petite troupe. Il te faudra une arme, cependant. »
Jaïs regarda autour d'elle, et proche de ses mains se tenaient une hache de bûcherons qu'elle prit aussitôt. Jinn pencha la tête, amusé.
« Tu es sûre ? Tu as l'embarra du choix, chez nous. Car une fois qu'on commencera à t'apprendre à te servir d'une hache, tu ne pourras pas changer d'avis.
- Ne t'en fais pas, mercenaire. Quand est-ce qu'on part ? J'étouffe ici. »
Ilse mit à rire. Grégory n'en revenait pas. Il comprenait très bien : elle jouait la comédie pour le tirer de la situation embarrassante, tout en faisant profiter ses propres intérêts. Mais en se mettant à dos le village entier. Ce qui voudra dire que plus jamais il ne la reverra... Ses plaques le démangèrent à nouveau alors qu'il réfléchissait à toute vitesse. Il trouvait absurde qu'une telle conversation vienne d'avoir lieu devant tout le reste du village. C'était... comme si ces deux-là étaient simplement au-dessus de tout le reste. Comme s'il décidait eux-mêmes de leur propre destinée.
Il comprit alors le choix qu'il devait faire. Ça lui apparut comme une évidence, une véritable révélation. Lui aussi. Lui aussi pouvait choisir son destin. Mais pour ça, il devait se démarquer, comme ces deux-là. S'il restait ici, il deviendrait comme tout les autres, asservit à leur quotidien. Mais lui avait la possibilité de suivre Jaïs. Il était sûr que, ce faisant, il en saurait plus sur son destin, car c'était sa venue au monde qui avait déclenché les changements. S'il la suivait, il irait peut-être au bout de ce second chemin qui était le sien. Peut-être qu'il accorderait au monde cette puissante lumière qui la tant fasciné. Il décolla ses ongles de ses bras et leva sa main sans hésitant, coupant le couple.
« Je désire venir ici. Je l'ai aidé, et j'ai de nombreuses connaissances qui pourront vous être d'une toute aussi grande utilité. »
Était-ce courageux ou stupide... ? Encore une fois, Jinn ria joyeusement, hilares des deux désaxés qu'il avait devant lui. Grégory jeta un coup d'œil à Jaïs, et elle souriait. Mais ce sourire-là avait quelque chose de froid et distant, du moins pendant un cours instant. Ça n'avait durait qu'un battement d'ailes de papillon, mais il était certain de ce qu'il avait vu. Peut-être était-ce la surprise, cependant.
Il avait cette impression croissante d'être entre deux prédateurs et qu'il était une proie qui devrait être très petite et très sage. Et ça, il s'efforcerait de l'être.

Les voies écarlatesWhere stories live. Discover now