Chapitre 3: Le pont

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Ma gorge se noua douloureusement. Que voulait-elle dire par là... Je craignais la réponse. Et comme chaque fois que quelque chose m'effrayais, je serrais au creux de ma main ma fidèle pochette en cuir. Par chance, elle n'y prêta pas attention, sinon elle m'en aurait très certainement demandé le contenu et je n'y tenais absolument pas.

Elle lâcha mon bras empourpré avant de m'ordonner de la suivre, d'un ton un peu trop impérieux à mon goût mais je ne bronchais pas et obtempérais. Ce n'était pourtant pas l'envie qui me manquait de m'enfuir. Et cette envie ne fit que croitre quand je compris l'endroit où cette dernière comptait m'emmener. Le pont principal. Sans doute aucun l'endroit le plus dangereux de ce navire, infesté de gardes et autres personnes tout aussi peu dignes de confiance qu'eux mais également armés jusqu'aux dents. Elle me demandait de ne pas les faire repérer mais c'est elle finalement qui nous mettait dans le situation la plus compromettante. Savait-elle seulment ce qu'elle faisait ?

Acha s'accroupit derrière une caisse en bois, assez large et haute pour nous dissimuler toutes les deux, mais remplie à ras bord de cerises bien rouges et mûres à point qui arrachèrent un gargouillis bruyant à mon pauvre estomac.

Enervée, du moins c'est l'impression qu'elle donnait, elle tira mon bras sans aucune délicatesse jusqu'à elle.

-Tu veux nous faire repérer ?! chuchota-t-elle d'une voix non moins menaçante

Je secouais la tête énergiquement, craignant de me faire arracher les tripes afin que plus jamais elles ne gargouillent, les maudissant moi même au passage pour cette trahison personnelle. Malheureusement, je n'avais rien avalé depuis plusieurs jours et le délicat fumet sucré de ces fruits si appétissants qui jouaient cruellement avec ma faim. Je me recroquevillais sur moi même pour tenter de la taire mais c'était peine perdue. Acha m'inspecta un instant de la tête aux pieds avant de lever les yeux au ciel en soufflant, exaspérée. Et puis, à ma grande surprise, elle piocha généreusement dans la caisse avant de déposer le contenu de sa poigne sur mes genoux.

-Bouffe et ferme la.

J'admirais d'un oeil ému cet acte de gentillesse qui était le premier que l'on m'adressait de toute mon existence.

-Merci... soufflais-je alors qu'une larme traçait une ligne droite entre mes cils et la commissure de mes lèvres.

Je m'étais peut-être trompée finalement. Elle n'était pas aussi dure et froide que je l'avais cru.

Sa mâchoire sembla presque se décrocher et elle eut un petit rire, très léger, presque insoupçonnable.

-Eh bah... T'es pas banale toi... Allez mange et écoute.

La première sphère couleur sang roula sur ma langue avant d'exploser sous la pression de mes molaires. Une vague de plaisir assailli mes papilles ainsi que tout mon esprit. C'était la meilleure chose que je n'avais jamais gouté de ma vie. Bien loin des pommes sablonneuses que père me ramenait à la maison quelques rares fois et que je considérais déjà comme de véritables friandises.

Une armée de larmes assaillirent en un unique assaut mon visage dévasté. J'étais si heureuse et pourtant si honteuse que je ne pus m'empêcher de cacher mon visage derrière mes mains.

-Eh... P'tite... Sérieux calme toi c'est qu'des cerises... C'est pas la première fois que t'en...

Mais un nouveau de mes sanglots vint l'interrompre, plus bruyant que les autres.

-Si...? A ce point...?

Je hochais la tête. Elle soupira d'un air étonnement désolé et compatissant avant de me frotter doucement le dos.

-Je comprends tu sais... La vie est dure pour les pauvres comme toi... J'en ai conscience... Et c'est pour ça que nous sommes ici. Avec mes frères. On récupère tout ce qui a de la valeur et qui est transportable. On le revend. Et on donne le fric à des familles comme toi. Tu saisis mieux ?

Tout à coup, je ressentais une immense fierté à l'égard de cette femme qui vouait sa vie à aider les autres. J'aurais aimé avoir sa force et son courage. Mais faute de mieux, je ne pouvais lui offrir que mon aide.

-Je t'écoute. Je suis prête à t'aider. Dis moi juste ce qu'il faut que je fasse et je le ferais.

Elle esquissa un sourire et ébouriffa mes cheveux.

-Ecoute bien p'tite. Je le dirais qu'une fois. Sur le pont principal, y'a une caisse. Petite caisse. Très légère. Facile à transporter. Seulement elle est sur la proue. Gardée par deux hommes armés. Son contenu est d'une importance capitale. On doit l'avoir. Peu importe le prix à payer. Mes hommes se ferraient repérer s'ils y allaient. Moi même je suis trop repérable.

Je sentais venir sa demande. Je la redoutais. J'en avais peur. Pour sa demande il fallait du courage, de la discrétion, de la volonté. Et je ne possédais rien de tout ça. J'étais une froussarde, maladroite et lâche. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle poursuivit.

-Tu es fine, fluette, la discrétion et l'agilité requises pour cette mission. Si tu es parvenue jusqu'ici, c'est que tu as toutes les qualités requises pour réussir.

Je fermais les yeux, une boule d'angoisse naissant dans ma gorge. Elle acheva.

-C'est toi qui va aller chercher la caisse.


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