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Réveille-toi, Jeongguk.

J'ouvris les yeux si fort que je les sentis s'écarquiller. Tout était noir.
Je tentais de me tirer du sommeil depuis de longues minutes, en vain.

C'était encore un de ces cauchemars angoissants dont je ne parvenais pas à m'extraire. J'y demeurais coincé, piégé dans une boucle infernale.

Je tendis les doigts pour atteindre le câble de ma lampe de bureau, et l'interrupteur rectangulaire que je trouvais en remontant le fil. Ma main ne rencontra que du vide. Ce n'était pas ma chambre.

Ce n'était pas mon lit.

A cause de nos nombreux voyages, j'étais souvent désorienté. Je ne m'habituais pas à changer autant de lieu, et les décalages horaires n'arrangeaient rien. Ma main regagna la sécurité du matelas tiédi par mon corps au repos. Ce n'était pas non plus un lit d'hôtel, il était bien trop petit.

L'accumulation de détails me troublait. D'ordinaire, ce n'était pas si précis. Mes cauchemars se composaient d'émotions vives, mais pas de sensations physiques.

"Compte tes doigts", disait Namjoon-hyung. C'était une astuce qu'il avait trouvé à l'époque où nous partagions la même chambre. Inquiet de me voir régulièrement m'éveiller paniqué et couvert de sueur, notre leader s'était renseigné sur le sujet. Il avait lu des livres et visionné une conférence donnée par un spécialiste. Il m'avait même poussé à faire de la relaxation avant de m'endormir, ce qui avait eut des effets positifs incontestables.

"Dans les rêves, on n'a jamais le bon nombre de doigts."

L'obscurité était trop profonde pour que je puisse compter. Je ne voyais pas.

Je me sentais conscient, mais je ne pouvais pas bouger. Mon véritable corps devait être engourdi par le sommeil.

Il fallait que j'ouvre les yeux, mes vrais yeux, ceux de la réalité. Je pourrais aller dans la chambre de Taehyung pour lui demander de dormir avec moi. Penser à Taehyung me donnait du courage.

Allez, réveille-toi !

Je refermai les paupières pour sortir du rêve et réitérai le processus.

Il faisait toujours noir, ce qui était normal.

Mais l'air n'était pas celui de ma chambre. Il y avait une odeur que je ne connaissais pas.

Le lit était toujours aussi petit et inconfortable.

Je courbai mes orteils et serrai les poings. Je pouvais bouger. Ou du moins, j'en avais la sensation. Mon vrai corps, lui, était toujours endormi. Je plantai mes ongles dans ma paume de main avec rage. La douleur envoya un frisson le long de mon bras. Enfin !

D'autres sensations s'ajoutèrent. Ma tête me faisait mal, affreusement mal. Ma gorge était sèche. Elle me piquait.

Je voulus tester le contrôle dont je disposais sur mes mouvements. Je fis des ronds de cheville dans un sens, puis dans l'autre. Motricité parfaite. L'idée que j'étais finalement réveillé me traversa. J'essayai la parole.

"Hyung ?" chuchotai-je en espérant qu'une des six voix me réponde.

Ce simple son m'incendia littéralement l'œsophage. Je n'avais plus de salive, ma bouche était pâteuse au point que ma langue collait à mon palais comme le papier gluant pour attirer les mouches.

Personne ne répondit. Je m'en doutais. Je me redressai lentement, avec prudence, en portant une main à mon front qui semblait sur le point d'éclater. Le drap qui me recouvrait glissa alors que j'arrivais en position assise. Je portais des habits qui n'étaient pas les miens.

J'hasardai courageusement l'un de mes pieds par terre. Le sol était frais sans être froid, lisse, une sorte de lino. Mes yeux s'habituaient à la pénombre, je distinguais des formes dans la pièce.

Un rêve lucide. Le cerveau humain disposait vraiment de capacités incroyables. Namjoon-hyung allait vouloir tous les détails, ce genre d'expérience le passionnait. Je me levai, décidé à explorer ce rêve peu ordinaire. J'apposai les mains sur la surface la plus proche du lit.

C'était solide et glacé. De forme circulaire mais pas tout à fait ronde, comme une vasque. Je donnai trois petits coups d'ongle pour tester le bruit et identifier la matière. De l'émail. L'émail d'un lavabo.

Je tâtonnai pour trouver le robinet surmonté d'un bouton rond et plat, similaire à ceux des toilettes publiques. Une légère pression avec la base de ma paume, et l'eau s'écoula aussitôt. Le jet mal réglé m'éclaboussa le cou quand je me penchai pour boire goulûment. Je m'en fichais. Il fallait que j'étanche ma soif. L'eau coulait dans ma gorge comme un torrent, apaisant le feu qui s'y était logé.

La douleur dans mon crâne, elle, demeura. J'essuyai mon menton et mes lèvres d'un revers de poignet et poursuivis mon investigation. Je ne tardais pas à heurter quelque chose, une seconde surface en émail. La taille et la forme différaient de la première. Celle-ci partait du sol et le haut était rectangulaire. Je m'accroupis pour toucher la partie la plus basse. Il y avait un trou large au milieu, dans lequel je n'osai pas mettre ma main.

Des toilettes.

Je clignai des yeux. Mes pupilles s'étaient accoutumées et c'était une évidence: je venais de toucher la surface complète d'un siège de WC. Mon nez se fronça de dégoût. Je retournai au lavabo et appuyai de nouveau sur le bouton pour frotter vigoureusement mes mains sous l'eau. Je palpai désespérément le rebord à la recherche d'un petit rectangle de savon. Rien.

En même temps, puisque c'était un rêve...

Je n'étais pas somnambule, il n'y avait aucune chance que je sois vraiment en train de mettre mes mains sur les toilettes de l'appartement. Tout ça provenait de mon imagination.

J'étais doué, en cauchemars.

La pièce n'avait pas de fenêtre. Instinctivement, je cherchai la porte. Elle n'était pas visible, alors je plaçai mes mains le long du mur et je longeai la chambre jusqu'à tomber sur une aspérité. Mes doigts montèrent, puis descendirent. Il y avait bien une ligne verticale. Je laissai la main droite dessus et tendis la gauche en espérant rencontrer un trait identique, parallèle. L'autre bord de la porte encastrée dans le mur. Il y en avait bien un. La largeur paraissait convenir. Mes mains s'abaissèrent à la recherche de la poignée. Il n'y en avait pas. Pourtant, au centre de la porte, il y avait un gros creux que je ne pouvais pas identifier, à hauteur de mon plexus.

Ce détail anormal m'effraya. Une porte sans poignée avec un trou ? Pourquoi ? Qu'est-ce que mon esprit voulait me faire ? J'avais la désagréable impression de ne plus maîtriser le rêve. Un monstre pouvait surgir n'importe où, n'importe quand.

Je regagnai le lit. J'entendais ma propre respiration, lourde, angoissée.

Je devais forcer mon cerveau à basculer dans la phase de sommeil suivante. Mon ventre s'était noué et une vive douleur me transperça le torse. Je me recouchai. Ce que j'avais pris pour un drap était en fait une couverture très mince. Elle grattait.

Je dus replier mes jambes car le matelas n'était pas assez long pour que je m'y étende, et je refusais de laisser pendre une de mes chevilles.

J'inspirais le plus calmement possible, comptant dans ma tête pour éviter de penser aux ombres gigantesques et aux longues pattes griffues qui n'allaient pas tarder à fondre sur moi.

Je me m'obligeai à visualiser des choses agréables. Ma chambre. Mes Hyungs. Mes parents. Le dernier G.C.F que j'étais en train de monter. Le fromage fondu sur les pizzas. Une bonne partie d'Overwatch. Les théories des ARMYs sur nos vidéos. La fin d'un concert réussi.

Demain, j'allais prendre mon petit-déjeuner avec Jimin et Taehyungie-hyung, Hoseok-hyung me redonnerait le sourire. Suga-hyung s'assurerait que je me sente bien. Namjoon-hyung et Jin-hyung écouteraient attentivement le récit de mon aventure nocturne.

Tout allait bien. D'ailleurs, il me sembla que ma tête roulait contre mon oreiller tandis que je retombais dans l'inconscience.

RoomWhere stories live. Discover now