Eden

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(En média, Nathanaëlle )

Je le vois perché sur le toit qui me regarde d'en haut mais moi je reste en bas Enfin, le toit C'est plutôt du haut des marches du bateau que cette horrible bestiole au pelage sale et abîmé d'une couleur boue me nargue ! Un chat Vous allez me dire qu'un chat est très utile surtout au XIX siècle sur un bateau : il mange les rats Mais pour moi aucune conciliation n'est possible, : un chat est un animal du diable, une créature fourbe et cruelle qui attend son heure dans l'ombre avant de mettre son plan machiavélique à exécution. Et celui-ci semble en avoir particulièrement après moi, il a du deviner que j'ai découvert sa véritable nature.

Euh En fait vous voulez peut-être que je me présente? Je me nomme Nathanaëlle, jeune pirate de dix-neuf ans. J'ai fuit un père injuste et particulièrement sévère, ainsi qu'un mariage sans amour avec un vieux bonhomme bouffi et gâteux au caractère infect en m'embarquant comme marin en me faisant passer pour un garçon, à quinze ans avant d'être faite, prisonnière par des pirates que je croyais cruels, à dix-sept ans. Que je croyais parce que ce sont en fait des personnes blessées par la vie, qui se sont regroupés dans le seul but d'oublier leur malheur. Ils sont menés par une femme aussi belle que courageuse du nom d'Eden. C'est la pirate la moins cruelle et la plus douce que j'ai jamais vu. Cependant elle ne se laisse pas pour autant marcher sur les pieds et refuse de se soumettre à cette loi stupide qui incite les femmes à être de jolis objets. Elle fait la loi sur le bateau : « Le paradis d'azur » avec une main de fer dans un gant de velours. Elle est respectée de tous et de toutes. Car il y a des femmes sur le bateau, situation pourtant peu banale au XIX siècle.

Eden, en plus d'être magnifique, longues boucles brunes, corps de déesse, peau basanée et un il turquoise, un seul, l'autre étant caché par un bandeau noir, elle est aussi très ouverte et à su faire de son quotidien un havre de paix. On raconte que si elle a perdu un il, c'est qu'elle se l'ai crever comme signe de révolte quand on a voulu brûler son bateau. Moi seule connaît la vérité, Eden s'est fait embarquer comme mousse à huit ans, fuyant les Indes, en se faisant passer pour un garçon comme moi. Pendant quatre ans, elle a réussi à garder le secret sur son sexe mais quand elle a eu douze ans son corps s'est arrondi et de nouvelles courbes et formes sont apparues. La supercherie fut vite révélée et deux ignobles marins ont voulu abuser d'elle une nuit alors qu'elle dormait. Elle a réussi s'enfuir mais l'un d'eux a eu le temps de lui planter son crochet dans l'il. Voila d'où vient sa blessure. Vous vous demander sûrement comment je sais cela, son plus terrible secret... c'est que nous sommes très proche et même devrais-je pour ainsi dire... Amantes ! C'est elle qui m'a permis d'affirmer le fait que j'aime les filles, moi qui redoutais à chaque instant que mon père découvre la vérité et me fasse enfermer dans un couvent pour me remettre dans le «droit chemin». Ici, sur le bateau, je n'ai pas à la cacher, cette vérité, je peux goûter à l'amour d'Eden, ses paroles, ses gestes doux, ses accès de folie, sa peau, son parfum et chaque jour, me régaler de sa silhouette fine et élancée, de sa posture fière et son regard doux, sans crainte.

Mais revenons au bateau : son équipage est composé de personne comme Eden : fous de mer et de voyages mais dont leur enfance ou leur vie a été ébranlé par un grand choc. Elle leur a donné confiance en eux, la force de réaliser leurs projets. C'est pour cela qu'on trouve un colosse tout en muscle et en balafres capable de jouer des airs à tirer des larmes à un coeur de pierre les yeux fermés, une femme dont son âge n'empêche pas sa voix pure de l'accompagner à la perfection et quand elle chante un sourire lumineux éclaire son visage ridé, ses longs cheveux blancs flottent derrière elle, et ses yeux brillants reflètent une plaie qui peu à peu s'apaise et se ferme. Un jeune espagnol orphelin capable de vous coudre les robes les plus incroyable dans la toile rêche des voiles, une jeune fille de quinze ans, svelte et de très petite taille, déjà mère de deux enfants, qui peux vous mettre par terre en quelques prises, un géant blond dont la seule occupation est de nous mitonner les mets les plus délicieux avec les maigres ressources du bateau, et j'en passe. Chacun a trouvé sa place sur le bateau et les seuls navires que nous abordons, nous ne leur prenons que de quoi subsister quand le pain manque. En fait, la notion de pirate ne nous vient que de la liberté, non conforme aux lois écrites par la cour.

Moi, ce que je préfère c'est la poésie, je peux réciter Homère et Ésope sans jamais me lasser. Mais ce que j'aime le plus, c'est en écrire Oui, j'écris de longues proses aux rimes extravagantes. Le préféré d'Eden est celui que j'ai écrit sur la mer :

Vagues turquoises, viennent se briser

Sur la croupe d'un bateau, fidèle destrier

Au crin de bois, et perles d'eau salées

Elles dansent avec lui

Et l'encouragent de leur murmure

Leur doux chant, qui dans la nuit

Nous illumine et nous rassure

Soir de tempête, elles hurlent

Et font la guerre aux étoiles

Elles s'élancent vers le ciel, elles brûlent

De s'en aller, partir, mettre les voiles.

Eden, quand je lui est lu, a souri, de son magnifique sourire à fossettes et une larme, un petit diamant tout en finesse et en élégance aux milles facettes envoûtantes a brillé sur sa peau basanée. Elle m'a regardé tendrement, a remis à sa place une mèche capricieuse de mes cheveux noirs, a déposé ses lèvres sur une de mes pommettes hautes qui me donne un air rieur et m'a murmuré à l'oreille, doucement, comme une caresse, des mots. Je sentais son souffle chaud passer dans mes boucles ébènes et se mêler à la brise fraîche du soir :

« Tu sais Nath ton poème m'en rappelle un autre, un de mon île. Il a traversé les siècles et c'est ma grand-mère qui me l'a appris juste avant que je parte »

Et, sous le soleil qui s'éteignait sur la mer en de jolies teintes rosées, elle s'est mise à chanter dans une langue exotique que je ne connaissais pas mais que je comprenais parfaitement. Elle parlait d'un amour fort, puissant, dévastateur et nostalgique d'une jeune fille qui doit quitter son île, elle l'aime et rechigne à partir mais ne peux faire autrement. Elle décrit cet amour comme les vagues puissantes qui défient les bateaux, comme les volcans qui d'un coup s'allument en des flammes incandescentes mais aussi à la trace d'un oiseau dans la neige : parfaite mais tellement fragile, à une fleur coincée dans ses cheveux, une fleur au parfum envoûtant et sucré mais que le moindre coup de vent peut arracher. La voix d'Eden chantait des notes de toutes les couleurs, qui s'envolaient vers le ciel noir et rejoignaient les étoiles, une voix où s'accrochaient de doux accès mélancoliques, de puissantes folies et des milliers de souvenirs. Il me semblait qu'un morceau du soleil couchant s'était enroulé autour de sa chanson pour que ses notes continuent de briller comme de petites lucioles égarées dans les ténèbres.

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