Ou Alors...

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En cette fin d'après-midi, une douce torpeur avait envahie la tranquille maison de ma grand-mère. Quelques rayons de soleil sinfiltraient par lentrebâillement des rideaux rouges à fleurs jaunes de la fenêtre et repeignaient l'escalier avec une luminosité bienvenue. Les portraits vieillots accrochés aux murs semblaient bailler et somnoler. Même les fleurs donnaient l'impression de vouloir dormir sur leur vase.

Assise dans le sofa, je m'ennuyais ferme. J'avais déjà lu tous les livres que contenait la maigre bibliothèque de mamie et me replonger dans « Les petites filles modèles » qui dépeignait la vie de deux petites bourgeoises à la sagesse désolante ne m'enchantait guère. Je leur avais préféré TéléSéjour où chaque photo de célébrités avaient été minutieusement recouvertes de gribouillis par mes soins. J'avais ajouté favoris, moustaches, barbes, piercings et boucles d'oreille à tour de bras, défigurant au possible les célèbres visages.

Mamie ronflôtait dans son vieux fauteuil en cuir moisi et lâchait de temps à autre un pet sonore qui résonnait dans le calme du salon et envahissait la pièce d'une odeur nauséabonde. Parfois, elle marmonnait des gargouillis inintelligibles, se redressait vivement l'air hagard, et se rendormait aussi sec, de la bave coulant sur son menton fripé.

Ainsi, rien n'avait pu m'empêcher de faire des bêtises. Mais après avoir mis du sel sur la brosse à dent de mamie, de la colle sur ses bigoudis, placé du cellophane sur la cuvette des toilettes, échangé la farine avec le plâtre qui se trouvait dans le garage, mis du poivre dans ses pâtisseries, éclaté un ou deux ufs contre sa vieille Coccinelle, et découper sa chemise de nuit au niveau des fesses, l'ennui m'avait de nouveau rattrapée.

Soudain, la réponse à cet ennui tenace me sauta aux yeux. L'accès du grenier m'était défendu. Mais quoi de plus grisant que d'enfreindre les règles ? En deux enjambées, j'avais monté les marches où jouaient encore les rayons du soleil et j'avais atteint la porte de l'endroit interdit.

Qu'allais-je trouver derrière ? Je sentis un frisson me caresser l'échine en songeant à une rangée de macchabées aux gorges tranchées, aux orbites vides de yeux qui se trouveraient dans un bocal à côté et que mamie attraperait entre ses longs doigts aux griffes pointues et croquerais en souriant méchamment et en faisant autant de bruit que moi quand je mange des nouilles chinoises. Les capillaires et les veines exploseraient dans sa bouche et elle baverait du sang toujours en souriant cyniquement...

Ou alors se trouvait enfermer là, la formule de la bombe atomique, écrite par un soldat allemand avec lequel mamie aurait eu une aventure dans sa jeunesse – car je ne doutais pas qu'elle avait vécue la deuxième guerre mondiale – quand elle était encore belle. Un soldat qui aurait eu d'elle un enfant : mon père.

Ou encore, la recette pour transformer le plomb en or !!! Ma grand-mère était peut-être alchimiste à ses heures perdues ? Elle serait en fait, la descendante cachée que Léonard de Vinci aurait eu avec François Ier parce que celui-ci était un travesti. Les collants qu'il aimait porter sur les peintures le prouvaient !

Ou bien, c'était le repère secret où se cachait l'immense et riche butin de dangereux pirates dont mamie serait la cheffe au terrible nom de « Bigoudis blancs la courageuse » ! Je pouffais en l'imaginant un bandeau noir sur lil, son il de verre qui m'avait toujours fait peur, et un sabre à la main... Elle n'aurait pas fait un fabuleux corsaire, c'était tout juste si elle pouvait écraser une mouche sans pleurer !

Ou peut-être que la pièce menait directement à un monde parallèle qui regorgeait de fées malicieuses et sexy, de lutins farceurs, de géants à l'allure revêche, de minuscules gnomes pas plus gros qu'une limace, de princes embrasseurs de princesses endormies et niaises à souhaits, et de crapauds aux yeux globuleux qui coassaient tranquillement jusqu'à ce que des parfaites inconnues viennent les embrasser goulûment.

Ou j'allais sans doute trouver une couronne toute resplendissante de diamants, de rubis et d'autres joyaux étincelants, et découvrir que j'étais la princesse – pas trop niaise- d'un royaume perdu qu'il me fallait à tout prix retrouver pour sauver mon peuple d'un immonde tyran. Une fois le royaume retrouvé, je tomberai amoureuse d'un fils de paysan extrêmement intelligent et musclé, et après avoir déjouer tous les plans du méchant dictateur avec une ruse incroyable, remonter sur le trône et avoir eu trois enfants avec le fils de paysan, mes parents seraient retrouvés et je découvrirai que le père de mes enfants était mon frère. Extrêmement morbide... L'histoire me plaisait !

Ou bien, j'allais peut-être tomber sur un prisonnier famélique que Mamie torturait depuix trente ans. Et peut-être que l'homme couvert de bleus, d'ecchymoses et de coupures mortelles serait à l'agonie et que j'allais le sauver et dénoncerais ma grand-mère, devenant ainsi célèbre dans le monde entier ! J'imaginais déjà les journeaux :

« Une courageuse et splendide adolescente : sauveuse de vie !!! »

« Elle n'avait pas que la beauté, elle avait aussi le courage ! »

« Plus héroïque, on ne fait plus !!! »

Et après :

« Drame : notre sauveuse nationale s'est cassée l'ongle. On appelle à votre générosité pour la consoler... »

« Remise du prix Nobel à l'adolescente la plus intelligente de notre époque !!! »

Ou alors, l'homme mourrait dans d'atroces souffrances et me révélait dans un dernier souffle pendanr que je pleurais toutes les larmes de mon corps, qu'il m'aimait comme il n'avait jamais aimé, et que ma fabuleuse personne l'avait fait tombé amoureux au premier regard, que ça avait été le coup de foudre !!! Alors j'écrirais une autobiographie pour faire mon deuil de l'homme qui avait enchanté ma vie pendant quelques secondes de bonheur intense et deviendrais autant, si ce n'est plus célèbre que J-K Rowling, Stephen King, Virginie Despentes et autres écrivains insignifiants...

Tout cela promettait d'être captivant, alors c'est avec impatience que je poussais la porte du grenier pour tomber sur un coffre. Et quand je dis tomber, c'est littéralement ! Dans ma chute, le coffre s'ouvrit et son contenu s'étala sur moi. Ma déception fut intense.

Il y avait là, le trousseau de toilette pour le mariage de mamie.

Rien de plus palpitant.

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