Charlie

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Chaque matin, Mia la voyait passer devant sa fenêtre d'une démarche un peu chaloupée qui faisait danser ses hanches. Chaque matin, sa voisine allait vérifier sa boite aux lettres, et Mia, elle la regardait se déhancher avec envie. Elle se donnait un peu l'impression d'être une voyeuse à épier son passage comme ça, tout les matins mais elle n'avait pas le courage d'aller lui parler, d'aller la trouver. Mia ne se voyait pas porter ses un mètre soixante dix et quatre vingt kilos de fille un peu trop enrobée jusqu'à elle. Mia n'aimait pas son corps. Dans cette société de minceur presque maladive, ses rondeurs pourtant gracieuses faisaient tache. Elle en avait hérité un certain mal être et un énorme manque de confiance en elle. Alors, non, elle ne se voyait pas entamer la conversation l'air de rien avec cette brindille menue à la peau brune. Trop de danger, Mia préférait rester dans son petit confort et s'enivrer chaque jour de cette vue, sans plus.

Et puis elle n'avait que dix-sept ans et sa voisine semblait en avoir au moins vingt. Comment aurait-elle pu ? Comment aurait elle fait ? Elle allait la trouver ridicule. Et puis, Mia allait forcément rougir, balbutier, loucher sur sa bouche, la dévisager ou pire : regarder ses seins ! Elle n'avait pas de culture, peu de passions, pas de désirs, de projets ou d'avenir... C'était une gamine !Bien sûr, elle se savait quelque atouts quand même ; ses yeux bleus tellement foncés qu'ils tiraient parfois sur le violet et sa poitrine, plutôt avantageuse ainsi qu'une passion ardente pour les livres et un sarcasme acide qui faisait souvent rire. Mais à quoi bon ? Si ça se trouve sa voisine n'était même pas lesbienne ? Non, non, non, non ! Mia n'allait pas gâcher le plaisir que lui procurait cette vision quotidienne pour juste lui taper la causette, échanger deux trois mots sur la pluie et le beau temps en balbutiant et rougir en regardant ses pieds...

Les mois passèrent, sans que jamais Mia ne change rien à ce rituel. L'envie d'aller lui parler grandissait parfois en elle, mais elle la refrénait en écrivant de longues lettres qui commençaient toutes par « Belle inconnue... » Ces lettres, elle avait pensé les brûler et puis elle les avait oublier au fond d'un tiroir. Après tout, ce n'était rien de vraiment compromettant, se disait-elle. Manque de chance, elle se trompait !

Le drame arriva un samedi. Il faisait beau, Mia se prélassait sur sa terrasse tandis que sa mère, Josiane - une dame très respectable - s'affairait dans la maison à faire un grand nettoyage de printemps. En maugréant dans sa barbe, elle poussa la porte de la chambre de sa fille. Que des livres, que des livres et là, quoi ? Encore des livres ! Mais diable, quel plaisir prenait sa seule descendance à s'encombrer la tête avec tout ses mots compliqués au lieu de tricoter et de développer son don pour la cuisine comme toute bonne épouse qui se respectait ? Elle ne croyait tout de même pas pouvoir accéder à un métier d'homme ? Quelle honte pour la famille se serait !

En secouant la tête, sans cesser de marmonner, Josiane ouvrit avec brusquerie les fenêtres, fit claquer les volets. Ah ! Déjà, on y voyait un peu mieux ! Son regard fut attiré par le bureau de sa fille : encombré de bouquins et de feuilles volantes, il menaçait de s'écrouler à chaque instants. Elle ouvrit délicatement les tiroirs dans l'idée de faire un grand tri. Le premier ne contenait que des livres de cours, des manuels et des exercices. Le deuxième se révéla aussi peu intéressant : la seule chose qui l'habitait été dinnombrables coupures de journal sur différents auteurs et artistes.

Mais quand elle ouvrit le troisième, elle fut surprise du parfum vaporeux qui s'en échappait. C'était le plus petit et aussi le plus sombre. Elle ne distingua donc pas tout de suite le paquet de lettres blanches et pourpres étalées là, comme jetées par un démon malicieux. L'écriture ronde et au style un peu gothique de sa fille l'interpella. Prise de curiosité, un vilain défaut qu'elle avait toujours tenté de cacher, Josiane ne put résister à l'envie d'ouvrir une des lettres. Le parfum capiteux envahit toute la pièce quand elle déchira avec maladresse la papier épais. Son sourire onéreux disparut vite quand elle comprit quel était le sujet de la lettre. Sa fille, sa descendance ! Homo... Elle se mordit la lèvre pour s'empêcher de prononcer le mot fatidique. Mais quelle horreur, quelle abomination ! Qu'allait dire les voisins ? Comment pourrait-elle survivre à une telle honte, une pareille infamie ?

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