Chapitre 9

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-C'est quoi ce cirque !? déboula-t-il dans la chambre.

Marie releva les yeux, effrayée par son ton brusque et ses yeux qui semblaient lancer des éclairs. Puis elle retourna à son activité, l'ignorant superbement. Joris devenait fou. Cette femme avait du cran ! Mais il se calma immédiatement lorsqu'il vit le livre posé ouvert devant elle. Un manuel pour apprendre la langue des signes. 

-Bon, qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il plus doucement. Pourquoi vous refusez de venir ? Regardez-vous, vous êtes aussi mince qu'une brindille.

Elle leva enfin ses yeux clairs sur lui. Impossible de savoir précisément à quoi elle pensait. Douleur ou colère ? Peut-être les deux. Mais pourquoi la colère ? Qu'avait-il fait ?

"J'ai promis de rester ici. Au risque de vous détromper, je ne suis pas comme mon ex-mari qui vous a dupé en vous empruntant une grosse somme d'argent et en ne vous la rendant pas."

-C'est ça qui vous met en colère ? 

"Vous l'avez insinué."

Il soupira, forcé d'admettre qu'il avait fait une erreur. Mais elle en avait assez d'être toujours comparée à son ex-mari.

-Vous n'êtes pas comme votre ex-mari et je ne l'ai jamais cru. Comme si un mariage pouvait déterminer la personnalité d'un des deux parti. C'est tout ce qui vous perturbait ?

Elle hocha timidement la tête. Joris tendit la main et elle l'agrippa. Il la mena à travers la villa pour rejoindre une grande salle au milieu de laquelle trônait une table pleine de mets plus sophistiqués et luxueux les uns que les autres. Du homard !? Combien d'argent possède-t-il donc !? 

Il l'invita à s'asseoir. Marie n'avait jamais mangé des mets semblant aussi savoureux. En fait, elle n'avait même jamais eu l'occasion d'en voir. Ses parents lui avaient toujours défendu de manger à sa faim. Ses repas se composaient surtout de pain avec parfois une pomme. "Une enfant n'a pas besoin de manger autant qu'un adulte. C'est largement suffisant pour toi", disaient-ils. Yahn était pire. Selon lui, la nourriture n'était que des frais supplémentaires et inutiles. Surtout lorsqu'il s'agissait elle. Alors elle sautait des repas pour ne pas accroître les dettes et par peur de ce qui arriverait s'il apprenait qu'elle lui avait désobéi. Hantée pas ces souvenirs, elle se rabattit sur un morceau de pain sans agrément. 

Joris ne fit aucun commentaire. Il avait en réalité demandé un repas sophistiqué pour elle, dans l'espoir de lui faire plaisir. Mais la jeune femme semblait perdue dans ses pensées et il lui semblait déplacé de se fâcher pour ça. En fait, Marie semblait se restreindre au péril de sa santé. Sentant le regard perçant de Joris sur elle, la jeune femme chercha à détourner son attention de son alimentation. 

"Comment avez-vous réussi à faire fortune ? Vous êtes jeune, ça n'a pas dû être simple de se faire accepter par les autres grands chefs d'entreprise."

Cependant, avec les expressions dures qu'il affichait, elle n'avait pas trop de doutes concernant la façon dont il s'était hissé au sommet. 

-A vingt ans, j'étais déjà le patron d'une importante chaîne de production. Puis de fil en aiguille, d'années en années, j'ai acheté d'autres entreprises, des actions... expliqua-t-il en rivant son regard noir sur elle. Tous les hommes cèdent lorsqu'on leur dit ce qu'ils veulent entendre.

"Et... Pourquoi avoir fait ça ?"

-Je n'ai jamais connu mes parents. Pas la peine d'avoir pitié de ma situation, j'ai adopté et aimé par une famille formidable, leva-t-il les yeux pour sonder ses réactions. J'ai créé cet empire parce que... J'ignore un peu pourquoi. Peut-être parce que je me suis toujours un peu senti à l'écart dans ma famille. Ma sœur est la fille biologique de mes parents adoptifs.

Marie était captivée. Pour une fois, elle voyait autre chose que de la haine, de la moquerie ou de la supériorité dans son regard. Elle voyait de la douleur et de la nostalgie. Un mélange paradoxal. Il lui semblait qu'il lui offrait le moyen d'apprendre à le connaître. Mais il ne perdait malheureusement pas le nord. 

-Maintenant que je vous ai donné des réponses, mangez un peu plus, reprit-il un ton sec.

"Je n'ai plus faim."

-Ne racontez pas n'importe quoi. Vous avez mangé trois bouchées et vous êtes maigre comme un clou. A ce rythme-là, vous allez vous ruiner la santé.

Marie détourna le regard vers le contenu de son assiette, désarçonnée et mal-à-l'aise. Il est vrai qu'en Bretagne, son grand-père ne s'apercevait pas qu'elle ne cessait de sauter des repas. Elle n'avait connu que la faim toute sa vie. Maintenant qu'elle avait quantité de met devant elle, Marie était incapable. 

Par habitude. 

Pour se punir.

Joris le savait et il n'allait pas le laisser passer.

-Marie, mangez maintenant. Vous n'avez pas le choix.

Il remplit son assiette de toutes sortes d'aliments consistants. Depuis combien de temps n'avait-elle pas mangé ? Elle porta un morceau de pomme de terre à sa bouche mais n'alla pas jusqu'à la fin de son geste. Elle quitta brusquement la table, ne cherchant même plus à cacher la blessure de sa cheville. De toute façon, elle était persuadée qu'avec sa perspicacité il l'avait déjà deviné mais n'avait rien dit. Et elle désirait seulement sortir d'ici aussi vite que possible. Fuir la nourriture. Le fuir. Fuir les problèmes.

Joris la suivit à travers les étages, ne sachant quoi dire, quoi faire. Il savait juste qu'il ne devait pas la laisser seule. Et son mutisme n'allait pas lui faciliter la tâche. Au moins, il avait pu voir clairement qu'elle boitait. Il ne pouvait lui faire de remarque avant d'être sûr de ce qu'il avait vu. Il pénétra dans la chambre à sa suite. 

Plongée dans l'obscurité, il ne vit pas tout de suite son corps frêle recroquevillé dans un coin de la chambre. Il n'entendait rien, il distinguait seulement quelques soubresauts. L'homme s'accroupit devant elle, comme il l'avait fait dans l'avion. Lentement, avec des gestes aussi doux que précis, il remonta le bas de son pantalon et lui ôta sa chaussure. Il alluma la lumière pour y voir plus clair et elle enfouit sa tête dans ses bras, comme si la lumière était trop forte pour elle. La jeune femme sanglotait, suffoquait. Il se pinça les lèvres en voyant que sa cheville avait doublé de volume et était devenue bleue. 

-Bon sang, pourquoi tu n'as rien dit !? D'abord ton alimentation puis ta cheville, à quoi tu joues !?

Elle le fusilla du regard et l'ignora lorsqu'il lui tendit son carnet. C'est seulement alors qu'il remarqua la zébrures qui marbraient ses jambes. Des cicatrices profondes, certaines blanches, d'autres encore rougeâtres. Elle se crispa lorsqu'il remonta encore son pantalon jusqu'à la cuisse pour constater qu'y étaient présentes encore plus de cicatrices et les effleura du bout des doigts.

-Mon dieu... murmura-t-il.

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