Au bonheur des dames - Zola

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Exubérant, le chiot jappait. Des arpèges de couinements, sans interruption, avaient certainement rythmé la journée des quatre étages de l'immeuble ; la soirée allait être jazzy, et dans le salon, récemment moquetté, il ne restait que des objets brisés, à qui le chiot avait témoigné la rage de sa solitude. De la bibliothèque, ne demeuraient plus que les pages arrachées des derniers Gallimards, au milieu des photos éparpillées de Venise, une digestion rapide d'amateur, recrachant les savoirs et les souvenirs, les nouvelles plumes et les derniers amants, qu'on lui imposait depuis trois mois. Sur les murs, sous l'éclairage jaunâtre des halogènes, qui, pâlissant d'impuissance, avaient assisté au scherzo suprême de la crise, c'était comme un Picasso encore chaud des tâches d'excréments. Le chiot, harassé de fatigue, campait parmi la débâcle de son antre et de mon appartement, que paraissait avoir décorés l'inspiration furieuse d'un taxidermiste. On longeait avec peine le couloir de l'habitation, obstrué par la cacophonie des livres ; il fallait enjamber, dans la cuisine, une monticule de poêles, agglutinées autour du frigo ; dans la chambre, on ne passait plus du tout, Billy le mouton gisait au-dessus d'une mer de pull-overs, dont les manches restées intactes, arrachées du corps, semblaient des membres disloqués dont un ogre affamé rogne les os ; et, à la fenêtre, le rouge avait coulé à flots, on pataugeait dans des flaques de peinture, on s'imprégnait des couleurs fauves de ma palette. Mêmes ravages au Nord, dans la salle de bain : les shampoings jonchaient le carrelage, les capotes s'amoncelaient comme des trophées de playboys mis hors de combat, les eye-liners et les mascaras, ouverts, mâchouillés, jetés au hasard, faisaient songer à un clavier Yamaha qui se serait désintégré là, dans l'extase d'un coup de Rachmaninov ; tandis que, au Sud, au fond de l'appartement, les cabinets, miraculeusement épargnés, dégorgeait toujours de la fuite dont ils souffraient depuis deux jours et qu'absorbait la moquette, dernier martyre de l'Inquisition canine. Mais, dans le garde-manger surtout, le chiot s'était surpassé avec maestria ; là, il avait fait place nette ; on y passait librement, les étagères restaient nues, tout mon colossal approvisionnement de chez Fauchon venait d'être avalé, englouti, comme par la vague d'un tsunami sud-asiatique. Et, au milieu de ce vide, je faisais le bilan du carnage, calculait le coût des réparations, ébaubi de la somme. La bibliothèque comptait pour mille euros, la garde-robe arrivait bien à trois mille, gonflée ce jour-là par un tailleur Max Mara. Mes yeux s'allumaient de la colère du ruiné, tout l'appartement autour de moi clignotait également de chiffres à trois zéros et me présentait l'addition d'une même fièvre, sur fond des jappements de joie du chiot qui me retrouvait.


Texte original de Zola

Lentement, la foule diminuait. Des volées de cloche, à une heure d'intervalle, avaient déjà sonné les deux premières tables du soir ; la troisième allait être servie, et dans les rayons, peu à peu déserts, il ne restait que des clientes attardées, à qui leur rage de dépense faisait oublier l'heure. Du dehors, ne venaient plus que les roulements des derniers fiacres, au milieu de la voix empâtée de Paris, un ronflement d'ogre repu, digérant les toiles et les draps, les soies et les dentelles, dont on le gavait depuis le matin. À l'intérieur, sous le flamboiement des becs de gaz, qui, brûlant dans le crépuscule, avaient éclairé les secousses suprêmes de la vente, c'était comme un champ de bataille encore chaud du massacre des tissus. Les vendeurs, harassés de fatigue, campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs comptoirs, que paraissait avoir saccagés le souffle furieux d'un ouragan. 

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