La Parure - Maupassant

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Lundi 29 janvier

Hier, je suis allée sur les Champs avec Gustave pour faire un peu de shopping. Je l'avais bien mérité, cette semaine, je n'ai pas a-rrê-tée ! Entre les cours d'ikebana, la piscine au cercle Interallié et la rénovation de la villa du Pila, je suis dé-bor-dée. Le petit a été mignon, il a patienté sans rien dire pendant que je faisais les magasins, donc pour lui faire plaisir, on s'est arrêté au Disney Store. Il a choisi une peluche hideuse de voiture de course. Je n'ai pas fait de remarque, mais je n'en pense pas moins. J'en toucherai un mot à sa mère. Bref, on sortait de la boutique et là, je me fais aborder par une mégère habillée en survêtement. J'ai serré la main de Gustave et je l'ai tiré pour presser le pas. Les Champs sont de plus en plus mal fréquentés. Mais la bonne femme nous suivait et elle m'a même appelée par mon prénom ! Du coup, je me suis arrêtée, on devait forcément se connaitre, mais je n'arrivais pas à la situer. Où donc aurais-je bien pu fréquenter cette personne ? Poliment, je lui ai fait comprendre que ce devait être une erreur. Et là, elle m'a dit son nom. Madame Loisel ! Alors là, je tombais des nues. La concierge de l'avenue Henri-Martin. J'ai fait semblant d'être contente de la voir, j'espérais m'en débarrasser rapidement, il se faisait tard et Jean-Marc allait certainement s'impatienter à la maison. Elle n'avait pas bonne mine la pauvre. J'ai compté et je crois que ça fait bien 10 ans que je ne l'avais pas vue. Ça nous rajeunit pas. Elle était maquillée comme un pot de peinture et son jogging la grossissait terriblement. Evidemment, je ne lui ai pas dit et je me suis juste contentée de lui faire remarquer qu'elle était un peu pâlotte. Quelle erreur ! Elle s'est mise alors à me déballer tous ses malheurs ! La perte de sa loge, son divorce, la mort de son frère, ... tout y est passé ! Mais le pompon, c'est qu'elle a conclu en me disant que c'était de ma faute ! Elle est bien bonne, celle-là. Bref, je n'ai rien compris à ses jérémiades mais soi-disant je lui aurais prêté il y a 10 ans un sac Chanel pour la réception de fiançailles de son fils – il a trouvé un beau parti celui-là, elle aurait plutôt dû me remercier pour ça -, elle s'est fait voler le sac, et du coup elle s'était endettée pour le remplacer à l'identique, au lieu de me le dire, cette idiote. Et depuis, elle enchainait les petits boulots de nuit pour le rembourser. Complètement absurde cette histoire. Je n'ai jamais eu de sac Chanel. Je trouve ça d'un mauvais goût. J'avais dû lui refourguer un faux que j'avais ramené de Casa pour faire les cadeaux de Noël. C'est la seule explication. Je suis gentille, je ne lui ai pas dit, ça lui aurait fait de la peine la pauvre. Et puis, surtout j'étais pressée. J'ai fini par me débarrasser d'elle, mais le mal était fait, j'étais en retard dans mon planning. Résultat, le rôti n'a pas cuit assez longtemps et Jean-Marc m'a fait la remarque. Depuis, je ne pense qu'à ça. Je m'en veux terriblement. Je ferai une lasagne ce soir pour me rattraper.


Texte original de Maupassant

Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant. C'était Mme Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante.

Mme Loisel se sentit émue. Allait-elle lui parler ? Oui, certes. Et maintenant qu'elle avait payé, elle lui dirait tout. Pourquoi pas?
Elle s'approcha.
— Bonjour, Jeanne.
L'autre ne la reconnaissait point, s'étonnant d'être appelée ainsi familièrement par cette bourgeoise.
Elle balbutia :
— Mais... madame !... Je ne sais... Vous devez vous tromper.
- Non. Je suis Mathilde Loisel.
Son amie poussa un cri :
— Oh!... ma pauvre Mathilde, comme tu es changée !...
- Oui, j'ai eu des jours bien durs, depuis que je ne t'ai vue; et bien des misères... et cela à cause de toi !...
— De moi . . . Comment ça ?
— Tu te rappelles bien cette rivière de diamants que tu m'as prêtée pour aller à la fête du Ministère.
— Oui. Eh bien ?
— Eh bien, je l'ai perdue.
— Comment ! puisque tu me l'as rapportée.
— Je t'en ai rapporté une autre toute pareille. Et voilà dix ans que nous la payons. Tu comprends que ça n'était pas aisé pour nous, qui n'avions rien... Enfin c'est fini, et je suis rudement contente.
Mme Forestier s'était arrêtée.
— Tu dis que tu as acheté une rivière de diamants pour remplacer la mienne ?
— Oui. Tu ne t'en étais pas aperçue, hein! Elles étaient bien pareilles.
Et elle souriait d'une joie orgueilleuse et naïve.
Mme Forestier, fort émue, lui prit les deux mains.
— Oh! ma pauvre Mathilde! Mais la mienne était fausse. Elle valait au plus cinq cents francs!...

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