Chapitre 5 - Sohen

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Je joue avec les céréales dans mon bol sans grande conviction alors que la voix de Jo accompagne le petit déjeuner. J'ai perdu l'appétit ces dernières années, encore plus après avoir vu Adaline avant le week-end. Elle me rappelle tout ce que j'ai perdu, et les battements de mon cœur en deviennent douloureux à force de trop ressasser ces souvenirs.... Et plus que tout, je me sens con de réagir de cette façon.

Pourquoi me laisser atteindre par un fantôme du passé ? C'est ridicule. J'ai fait une croix sur elle il y a des années en comprenant qu'elle ne sera plus jamais là pour moi, je ne dois pas l'oublier.

Pourtant je n'ai pas pu cacher ce qui me perturbe. Du haut de ses neuf ans, Jo a décrété que je faisais une dépression, appuyée par l'aval de mes parents. Si je n'aimais pas tant ma petite sœur, je lui aurais ri au nez. Une dépression ? Ils ne s'en rendent compte que maintenant ? Il aurait fallu être attentif avant, plutôt que d'attendre qu'une gamine s'en rende compte.

-          Dis-moi, Sohen, je ne suis pas sûr de moi, mais j'ai cru voir quelqu'un hier soir... commence mon père.

-          Oui. Adaline est revenue, lâché-je brusquement, sachant pertinemment où il veut en venir.

-          Et comment tu le prends ? s'inquiète ma mère.

Je relève doucement la tête pour croiser son regard inquiet alors qu'un frisson désagréable remonte le long de mon échine. Elle sait parfaitement à quel point j'ai souffert du départ d'Adaline même si elle ne m'en a jamais parlé, ce n'est un secret pour personne. Et plus que tout, elle a conscience du fait que je n'aime pas dire ce que je ressens à ce sujet. Le silence est ma manière de ne pas songer à tout ce qui me bouffe de l'intérieur. Mais à quoi bon me voiler la face ? Je le vis mal.

-          Aussi bien que si je voyais un fantôme.

Je gratifie ma famille d'un sourire que je veux rassurant mais qui ne fait que les inquiéter davantage. Voilà pourquoi je reste toujours planqué : pour éviter ce genre d'interrogatoir. J'avale rapidement le reste de mes céréales plongées dans le lait pour sortir de table au plus vite, puis je me lève pour débarrasser, suivi de près par ma mère. Je dépose la vaisselle dans l'évier, le cœur lourd et le regard vissé au sol. Je m'apprête à sortir au moment où elle me retient.

-          Margaret m'avait dit à l'époque que ses parents avaient légué leur appartement à Adaline. Si jamais tu veux lui parler, elle sera sûrement là.

-          Pourquoi je voudrais lui parler ? rétorqué-je.

-          Parce que même si tu refuses de le dire, je suis sûre que tu veux savoir ce qui est arrivé, comme je voudrais savoir ce qui a poussé nos amis à préférer une vie de criminels à une vie de parents. Et surtout, ça pourrait te permettre d'aller mieux... Je déteste te voir comme ça.

Je relève la tête, le visage fermé. Je refuse de lui montrer à quel point je vais mal, je veux dépasser tout cela seul, comme j'ai appris à le faire en grandissant. Elle pense que voir Adaline pourrait m'aider ? Je suis certain du contraire, elle n'a rien de bon à m'apporter. Je lui adresse un mince sourire, puis je quitte la cuisine pour rejoindre l'entrée de la maison et je sors dans l'air brûlant de cette matinée.

Je prends le chemin de la maison d'Abel, comme chaque matin, les mains dans les poches, observant les alentours avec une inquiétude qui me serre le ventre et fait pulser le sang dans mes veines. Quand j'ai commencé à aller mal, sortir était un vrai défi. Dès que je voyais du monde, je me sentais trop entouré... Une sensation d'écrasement naissait dans ma poitrine et me coupait la respiration. Je ne pouvais simplement pas aller hors de chez moi sans Abel, j'avais peur de tout ce qui m'entourait.

Flirt, Desire, Love - SOUS CONTRAT D'ÉDITIONWhere stories live. Discover now