Chapitre 5 - Sirius & Alhéna

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Sirius

Le dîner du mercredi soir est une tradition dans nos deux familles. Nous nous retrouvons une fois chez Alhéna, l'autre fois chez moi, et nous dînons tous ensemble. Moi, Alhéna, nos parents, ainsi qu'Orion (c'est lui le malchanceux dans l'histoire des prénoms), le grand frère d'Alhéna, lorsqu'il est de passage à Brighton (il étudie à Harvard, aux Etats-Unis !). Ce soir-là, nous avons rendez-vous chez les Joyce. Dès que je passe la porte d'entrée, je me fais attaquer par Mercury. Le berger australien me tourne autour en bondissant et en aboyant, réclamant des caresses, que je m'exécute de faire. Le chien me suit partout, jusqu'à la salle à manger. Finalement, il me délaisse lorsque nous passons à table.
Ce soir-là, Brian a cuisiné un Sunday Roast, alors que nous sommes mercredi. Je passe quelques minutes à ranger mon assiette (le rôti dans un coin, les pommes de terre dans l'autre, les légumes et le pudding, tout semble parfait) avant de commencer à manger. Le tout n'en reste pas moins délicieux (rien d'étonnant puisque Brian est chef cuisinier dans un grand restaurant de Main Street), le rôti est tendre et le pudding fond sur la langue, le mélange parfait (enfin en théorie puisque je ne mélange jamais mes aliments, sauf quand ils sont mixés comme dans un milkshake).

A table, la conversation tourne autour de notre dernière année au lycée, et surtout de ce que nous allons faire après. Ce qui est une question à laquelle ni moi, ni Alhéna n'avons de réponse.

« Alors, Sirius, as-tu réfléchi à ce que tu allais faire l'année prochaine ? », me demande Sybil.

« Pas vraiment.

– Je suis sûre que tu trouveras facilement. Tu es un garçon brillant. Tu n'auras aucun mal à trouver une université qui te correspond. »

J'acquiesce sans rien dire de plus. Je n'aime pas parler du futur parce que le futur me fait flipper. Je n'ai aucune idée sur ce que je veux faire. Je suis perdu et surtout incertain. Qu'est-ce que je veux faire pour le restant de ma vie ? C'est un choix très important et je ne veux pas faire le mauvais.

Je joue avec ma gelée du bout de ma cuillère tout en réfléchissant à la question quand mon père décide qu'Alhéna doit, elle aussi, avoir le droit un interrogatoire.

« Et toi, Alhéna ?

– Je ne sais pas vraiment non plus.

– Penses-tu suivre l'exemple d'Orion ? »

Elle hausse les épaules et me lance un regard en coin l'air de dire " on est vraiment dans la même merde ".

« Je ne sais pas si j'en ai le niveau. », répond-elle.

« Bien sûr que si, ma chérie. », rétorque son père. « Tu en es capable, mais seulement si c'est que tu veux.

– Je crois que j'aimerais étudier les étoiles. »

Elle me regarde de nouveau et esquisse un sourire. Les étoiles. Notre passion. Nous avons depuis toujours été intrigués par ces astres, non seulement à cause de nos prénoms, mais également parce que nos mères en sont également fascinées et nous ont transmis leur amour pour l'astronomie. Quand nous étions petits, Alhéna et moi avons décidé que nous serions astronomes. Mais plus nous grandissions, plus nous réalisions que c'est un projet impossible, comme de marcher sur la lune, ou devenir président. Seule une minorité de chanceux atteigne vraiment cet objectif. Nous savons pertinemment que c'est impossible qu'Alhéna et moi devenions un jour astronomes.

« C'est un beau projet, Alhéna. », commente mon père.

Elle hoche la tête. La conversation semble close.

Trois heures et 10 kilos en plus plus tard, nous quittons les Joyce. La soirée a été bonne, comme chaque fois que nos deux familles sont réunis. C'est un avantage que nos mères soient meilleures amies et que nous soyons voisins (ce qui résulte bien sûr du premier avantage), nos familles s'entendront toujours bien et nous ne serons donc jamais séparés avec Alhéna.

Ce soir-là, je passe quinze bonnes minutes à me nettoyer les mains et les bras. C'est toujours plus long le soir, avant que je ne me couche, dû à l'accumulation de bactéries et de saletés dans la journée.

Après cela, je rejoins ma chambre où je suis surpris d'y trouver Alhéna, couchée sur mon lit, ma lecture en cours devant elle.

« Je ne comprendrais jamais ton amour pour Stephen King. », commence-t-elle comme si la situation était tout à fait normale. « Je serais toujours étonnée que tu lises de l'horreur, toi qui as peur de tout.

– Qu'est-ce que tu fais là ? Et comment est-ce que tu es arrivée là, déjà ?

– Tu devrais apprendre à fermer correctement ta fenêtre, Sir. C'est beaucoup trop facile de rentrer dans ta chambre quand tu ne fermes pas le loquet.

– Tu sais que je pourrais te dénoncer aux flics pour violation de domicile. », je décrète en croisant les bras sur ma poitrine.

« Oh ! tu n'oserais pas. », déclare-t-elle en se levant et en se plantant devant moi, un air de défi dans le regard.

« Peut-être bien. »

Nous nous regardons pendant un moment, les yeux plissés, dans une sorte d'impasse mexicaine (mais à deux), en attendant que le premier dégaine. Ou dans ce cas-là, rigole. Et c'est Alhéna qui perd la bataille.

« Crétin ! », me gratifie-t-elle en me donnant un coup dans l'épaule. « Ça te dit qu'on fugue pour aller regarder les étoiles ? »

Ce n'est pas une question, car elle sait très bien ce que j'en pense.

« Evidemment ! », je réponds quand même.



Alhéna

Lorsque nous étions enfants, ça nous amusait de sortir en douce la nuit sans que nos parents le sachent. Nous nous retrouvions chez l'un ou chez l'autre, nous allongions sur l'herbe et observions les étoiles. Encore aujourd'hui, nous sortons la nuit, mais à présent nos parents sont au courant de nos escapades nocturnes. Mes parents m'ont prise en flagrant délit lorsque nous avions douze ans et l'avaient immédiatement dit à Jenny et Louis. Seulement, ça, Sirius l'ignore. Ses parents ne lui ont jamais dit qu'ils sont au courant, et je n'ai jamais osé le lui révéler. Encore aujourd'hui, il joue les ninjas pour sortir en douce de sa chambre. Je pourrais lui dire la vérité, mais ça me plait de le voir jouer les rebelles pour une fois. Et puis, c'est plutôt drôle de le voir escalader le portail de mon jardin lorsque c'est lui qui vient me retrouver, – « Tu sais que tu pourrais simplement l'ouvrir. », me suis-je moqué de lui il y a quelques années. « Non, il grince trop ! Je ne voudrais pas risquer de réveiller tes parents » –. On avait finalement réglé ce problème de grincement quelques semaines plus tard, mais Sirius a pour autant continuer à passer par-dessus.

Ce soir-là, nous nous échappons donc par la fenêtre de sa chambre (heureusement qu'elle se trouve au rez-de-chaussée) et nous courrons au fond de son jardin, là où l'on voit le mieux le ciel. Nous nous allongeons l'un à côté de l'autre et observons les étoiles. Je repère tout de suite Orion, qui est facile à voir (et parce qu'à cause de mon frère, j'ai dû apprendre très tôt à la repérer). Sirius, lui, trouve toujours Cassiopée. Je ne sais pas comment il fait, car Cassiopée n'est pas très grande et pas très visible, d'après moi, alors qu'Orion est bien plus complexe et donc plus facile à observer.

« Tu crois vraiment qu'on pourra devenir astronomes un jour ? », me demande-t-il soudainement.

Je me tourne vers lui, l'air perplexe.

« Tu ne crois plus en notre rêve ?

– Si, bien sûr, mais ça reste quand même un rêve.

– Pour l'instant. », j'insiste. « Promets-moi qu'on essaiera. »

Il se tourne à son tour vers moi, un grand sourire sur le visage.

« Je te promets qu'un jour on atteindra le ciel... »

Je souris en retour et complète :

« Et on peindra les étoiles. »

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