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« Tristan, t'aurais pas une clope ? »

Tristan secoua négativement la tête. Non, Tristan n'avait jamais de clope. Ce n'était certainement pas à lui qu'il fallait demander un peu de tabac, ni quoi que ce soit qui put potentiellement diviser ses poumons de son corps. Tristan avait besoin de ses poumons.

« Merde, fais chier, jura l'autre. »

Mais il s'en doutait, car Tristan n'avait jamais eu de clope. Néanmoins, il était le seul qui, en cet instant précis, aurait pu le dépanner. Et Timmi n'avait pas envie de bouger pour aller jusqu'au bureau de tabac. Ils s'étaient écartés des habitations, juste Tristan et lui, attendant les autres camarades, et gisaient dans l'herbe depuis quelques minutes seulement, les mentons pointés vers le ciel, présentant leurs canines luisantes au soleil. Ils venaient d'arriver, Timmi allait quand même pas faire demi-tour maintenant. Pas déjà. Mais il lui fallait une clope. L'envie de nicotine n'était en soi pas si intenable que cela, mais c'était ce ciel, là... Ce fichu ciel, qui s'étendait en une mappe bleue au-dessus de son crâne. Bien trop limpide, sa surface lisse, unie, et aucun foutu nuage à l'horizon. Ouais, s'il l'avait pu, il l'aurait bien grillé ce ciel. C'est pour ça, surtout, qu'il voulait une clope. Pour couvrir l'étendue trop clair. Tacher le plafond, briser la vaisselle, ça avait toujours plu à Timmi. Et il était doué, pour ça. Il le savait, il le sentait. C'était peut-être même son seul talent.

« Mais les autres vont pas tarder à arriver, t'en fais pas. Y en aura bien un qui aura des cigarettes dans le troupeau. Mais pas moi, j'ai autre chose à foutre avec ma santé que de l'incendier à coup de cancer comme ça.

-Ouais mais bon. Faudra que tu m'y fasses penser la prochaine fois. Il vont encore trouver un moyen de râler que je les gratte.

-Mmh. Et puis maman me reproche déjà de puer la clope sans même que j'ai déjà posé les doigts dessus. (Pff... Fichu ciel bleu et irréprochable de mes deux. Un jour tu décevras l'humanité entière, j'te le jure.) »

Timmi était un jeune homme qu'on disait fainéant au village, âgé d'un an ou deux de plus que ses semblables, à la carrure frêle et au sourire aigre, qui aimait crâner devant les autres de sa vieillesse. Il avait le visage fin, les traits émincés, les oreilles légèrement décollées et des paupières longues et lourdes, ainsi qu'une pomme d'Adam comme taillée au couteau, frivole et perspicace, qui s'agitait au moindre bruissement de ses cordes vocales. Et puis, maman dit que papa fume comme pas un et que déjà rien qu'ça, bah ça suffit à faire de la famille entière un groupement de pompiers. Quant à Tristan, il s'agissait d'un jeune homme trop poussé sans pour autant avoir fini de grandir. Il ne cessait de s'inquiéter pour chacun des membres de son corps, évaluant les dégâts de chaque nouvelle nuit sur ses jambes qui, lui semblait-il, étaient si longues qu'elles finiraient par le quitter pour vivre une nouvelle vie indépendamment de la sienne, conduisant des auto sans lui, se baladant, et qui sait, (Bon sang et qu'est-ce qui foutent les autres ? Y en a un qu'à intérêt à ramener les binouzes.) épouseraient peut-être un jour une belle paire de gambette. Il avait des bas joues qui tombaient les soirs où il se goinfrait et une peau qui s'épaississait avec le temps, mais c'était un gaillard solide sans en faire trop, imposant dès qu'il se tenait dans une pièce et insignifiant dès qu'il ouvrait la bouche.

Le soucis de la bande, et des camarades, comme ils aimaient à s'appeler, c'était bien qu'aucun, sauf Augustin, ne possédait de montre. Et encore, celle de ce neveu n'était qu'un bibelot remporté un jour de grande foire, sans aucune valeur et incapable même de donner l'heure juste, ses rouages prenant toujours une accélération subite au tours des trois heures, et ses aiguilles perdant alors leurs rythmes dans une calomnie fausse. (Enfin, p'têtre bien qu'Os il en a une, de montre, après tout?)

Le sillon tracé dans la poussièreWhere stories live. Discover now