4.

1 0 0
                                    

Joshua savait que la crypte n'était plus très loin. Il s'était encore perdu en s'y rendant, tâtonnant au travers des fins tronçons d'arbres sombres et serrés de la forêt qu'il traversait, se heurtant aux racines qui ondulaient à la surface de la terre, mais désormais, il savait qu'il n'était plus très loin. La crypte n'était une crypte que de nom. Il s'agissait en fait d'une grotte, creusée dans le nord de la forêt, qui fut exploitée à la même époque que les mines de la vallée, vidée du peu de minerai qu'elle possédait. Elle n'était pas droite, pas belle, et sentait le champignon. Mais Joshua aimait s'y rendre, au moins une fois à chaque été, comme une sorte de pèlerinage. Il avait découvert l'endroit lorsqu'il était gamin, et ignorait si quelqu'un d'autre que lui avait conscience de la présence funeste de cette grotte perdue dans les bois. Il n'en avait parlé à personne, et se doutait que, si les parents des mômes l'apprenaient, la crypte serait bouclée, et même lui ne pourrait plus y poser les pieds. Lorsqu'il s'exilait vers sa cachette, il prenait donc soin de dissimuler aux regards curieux les lampes et ampoules qu'il entortillait sur son torse et camouflait au-dessous de son épaisse veste d'alpiniste. Il n'était inconnu d'aucun de ses voisins que Joshua était un homme constamment glacé. Et cela, disaient les langues faucheuses, collait si bien au personnage. Il était froid, après tout. Ne parlait pas à grand monde, n'avait aucun ami de reconnu, et était excentrique à point. Joshua était un homme immense, fin et étriqué, ce qui ne le rendait que plus étrange. Il avait un dos solide, qui présentait des muscles puissants à chaque courbure que prenait son buste. Des épaules trapues, un corps en V, des yeux tranchants, qui remontaient légèrement en amande. Un menton bombé, un front plat, un nez aquilin. Il démarrait une petite trentaine qui ne lui sied guère, imberbe qu'il était, on ne lui donnait pas plus de quinze ans. Jamais personne ne l'avait vu sans une cigarette pendant entre ses deux lèvres fines et serrées craquelée sur la droite suite à une période de trop grand gèle. Mais lorsqu'on jetait un œil, même distrait sur le gaillard, ce qui surprenait, bien plus que son mètre quatre-vingt-dix-sept, c'était surtout ses mains. Ses doigts s'étalaient immensément, les phalanges chacune séparées par plusieurs longs centimètres. Le vieux Louis, dès qu'il avait vu Joshua pour la première fois, et qu'il n'était encore pourtant que marmot, avait plaqué la paume du petit à la sienne, toute fripée et meurtrie, avant de s'exclamer, avec la vigueur de l'alcool qui lui coulait dans les veines :

« He ! Voilà un kiddo qu'a des paluches p'us grande qu'les miennes ! T'es sûr que c'est bien tes mains, au moins, gamin ? »

Alors le môme, sans montrer qu'il était terrifié par cette étreinte, avait hissé son regard scié au vieillard, avant de ne laisser ses sombres pupilles glisser doucement vers la gauche. Et, tout en se mordant frénétiquement et anxieusement l'intérieur des joues, il se dit qu'il n'en avait lui-même pas la moindre idée. De plus, en vieillissant, les ongles de Joshua avaient petit à petit cessé de pousser, et ils trônaient désormais au ras de ses doigts, noircissant au fur et à mesure que les années s'écoulaient. Ses articulations étaient épaisses, noueuses, et ses métacarpes traçaient de solides tranchées sous sa fine peau. Et si le reste de son corps était parsemé de grains de beauté divers et tordus, et son visage quasiment recouvert dans son intégralité par de claires tâches de rousseurs, eh bien ce n'était pas le cas de ses mains, qui étaient presque lisses, à tel point que ses empreintes digitales disparaissaient quasiment du bout de ses phalanges. C'était de belles et puissantes mains, qui étaient parallèles à son possesseur, bien qu'elles ne semblaient pas originellement prévues pour lui.

Joshua finit par atteindre sa crypte-qui-était-en-fait-une-mine, penché au sol, s'appuyant de toute sa masse sur ses avant-bras, ses incroyables mains enfoncées dans les aiguilles de pins cassantes qui tapissaient la butte qui abritait la petite grotte. Les branches des conifères se tordaient vers le sol en des angles improbables, brisés par le vent, et se cabraient juste assez pour protéger l'entrée mal taillée de la mine des visiteurs incongrus. Lorsque Joshua l'avait découverte, il y avait des années de cela, la crypte était bien plus visible, et c'était une époque où l'herbe, en jeunes pousses verdoyantes, était encore visible et douce au sol. Désormais, tout s'effondrait à moitié, en gravillons et calcaire qui se posaient, menaçant, par bloc entiers sous les pieds des sapins. Le long nez aquilin de l'homme émit un soufflement de mépris, alors qu'il l'avait pensé comme un soupir de soulagement. Il était apaisé, heureux à l'idée de constater que son endroit était toujours bien ancré dans la terre, au cœur de la forêt, et qu'aucuns barbelés ni panneaux et simagrées ne l'entouraient, comme c'était le cas depuis bien longtemps pour les mines qui s'étalaient et se creusaient plus loin dans la vallée. Joshua s'arrêta un instant devant le gouffre vertical, à flan, qui implosait la bute dans sa hauteur, l'ouvrant à la fois dans sa profondeur tout comme dans sa largeur. Latéralement, elle formait comme une crevasse, une cicatrice à même le sol, profonde et bien tailladée. Il soupira d'aise, fit glisser son épaisse veste de ses épaules, découvrant ainsi les dizaines d'ampoules qui s'entortillaient autour de son torse et libérant les lampes torches qui se comptaient par dizaines au fond de ses lourdes poches. Il en retira une du lot, la rouge qui était vernie, sa préférée, et enclencha l'interrupteur, tout en l'orientant vers le centre de la crypte. Un rayon circulaire de lumière se dessina dans la crevasse, qui semblait sourire à l'homme de toutes ses pierres. Illuminant les gravillons et les quartz impurs qui surgissaient çà et là, Joshua se dit que cette fois encore, l'aspect de la grotte était différent. Il s'en expirait une odeur âcre et rance, qui saisissait les narines par son manque de naturel. Joshua savait d'où cela provenait, à quoi c'était lié et où ça allait le mener. Appuyant avec force et conviction sur un interrupteur qui tombait le long de sa hanche, il pénétra dans la grotte, les ampoules grésillant autour de son torse dans un son de filaments morbides.

Le sillon tracé dans la poussièreWhere stories live. Discover now