4. La Chambre des délibérations

53 15 1
                                    


22 juin 2019 – 1500 mots

Aujourd'hui, les temps ont passé. Cent, mille, dix mille ans, plus encore, nous n'en savons rien ; mais nous sommes certains que les débats de la Chambre, les manigances des princes, les réflexions des nobles de la Cour, les notes impayées de la garde princière, tout cela a été avalé par le tout-puissant seigneur de l'Oubli, bras droit du Temps, qui dévore tout sitôt que nous avons le dos tourné. Et l'Histoire a bien tourné le dos à la Chambre des délibérations, aux princes, à leur Cour.

Le peuple de Méra donna son accord tacite à la dissolution de la Chambre, qui n'avait que trop abruti la sphère politique avec ses ratiocinations. Il fut très heureux de la mise en place du Triumvirat ; pas moins heureux que les trois princes qui, sans effort, avaient repris le contrôle du royaume.

Eux aussi se trompaient : ils ne voyaient pas la fin venir. Ni l'obscurité grandissante comme une malédiction, ni les rapports alarmants des Confins, ni les villages abandonnés, ni la famine et la peste ne pouvaient les sortir de leur certitude inconsciente que, même maintenant, il était toujours parfaitement raisonnable de jouer à des jeux politiques.

L'Histoire sait ce qui est arrivé par la suite.

Caelus


Sol Finis, Deux cent cinquante jours avant la transmigration


L'Histoire ne connaît pas le nom de ce solain qui, ce matin-là, boutonnait sa veste noire, devant le miroir de plain pied.

À quoi pensait-il donc, l'Arbitre des délibérations de la Chambre, le solain le plus puissant de Méra, donc du royaume, donc de Sol Finis tout entier ?

Sans doute avait-il l'esprit plein de problèmes importants, tandis qu'il vérifiait que la laque dorée de ses cornes ne s'était pas écaillée, qu'il limait ses dents pour qu'elles soient un peu plus blanches, et qu'il parcourait les ourlets de son costume d'un doigt expert, en cherchant les accrocs.

C'était sans doute un fin stratège ; il le faut pour accéder à un tel poste. L'instinct en politique est une qualité rare et précieuse, qui permet d'avoir toujours le coup d'avance. Mais contre un joueur rusé, cela ne permet pas de gagner la partie.

La lumière, ce matin, s'était comme figée dans le ciel ; ses puissants atermoiements rougeâtres continueraient jusqu'au soir. Il régnait une chaleur étouffante et, dans les rues bondées de la capitale, des prédicateurs jouaient des coudes, montaient sur des estrades improvisées et meuglaient à une assistance atone, à grand renforts de moulinets et de postillons, que le jugement dernier approchait. Que la déesse Hela, cadette des Sermanéens et mère de tous les solains, préparait les traits de feu qui carboniseraient Sol Finis et purifieraient ses péchés.

Son instinct lui disait que ce jour serait spécial.

Les délibérations de la Chambre étaient au point mort. Tous les jours, les deux groupements politiques de Méra jouaient le même spectacle. Le public s'en lassait ; mais les comédiens n'en démordaient pas, comme un humoriste qui persiste dans la même blague de mauvais goût. Vous ne m'avez pas bien compris, je vais vous répéter, vous allez voir...

Bien mis, bien coiffé, les cornes abondantes, c'est-à-dire finement dorées, comme le voulait la mode à Méra, l'arbitre sortit ce matin-là saluer personnellement le prince Tommus. Quelques centaines de mètres à peine séparaient le palais du prince de la Chambre des délibérations. Il fit le trajet à pied, encadré par sa garde personnelle, une dizaine de solains armurés, commandés par un maître d'Arcs de haut rang.

Sol FinisWhere stories live. Discover now