12. Ô, étoiles...

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Il cherche tellement à devenir capitaine qu'il ignore volontairement que le navire prend l'eau.

Celui-là est le plus dangereux de tous ; il causera la ruine du vaisseau et de tous ceux qui tentent de le sauver.

Kaldor, Principes


Sol Finis, Deux cent quarante jours avant la transmigration


Ô, étoiles...

Ainsi songeait le prince Derring, accoudé au balcon qui donnait sur ses jardins personnels.

La nuit venait tout juste de tomber lorsque cette certitude puissante, de celles qui étreignent les véritables poètes, avait fait jour dans son esprit. Un renversement de perspective. Il avait échangé le ciel et la terre. À ses pieds, dix mètres en contrebas, se trouvait un petit parterre d'arbres presque morts, encerclant un bassin sans poissons, comme une veillée funèbre. Au-dessus de lui, mille millions d'années-lumière plus loin, résonnait le Cercle de Lumière.

En artiste véritable, le prince se passionnait sans raison pour certaines choses, et regrettait toujours que nul ne l'écoute réellement, ne voie le monde comme lui et ne prenne conscience de ce dont il avait pris conscience. Mais ce soir, l'approbation de ses courtisans ne lui était plus nécessaire.

Il se sentait en mesure d'accéder à la vérité des étoiles, de transcrire par le verbe, le geste et le symbole, le rôle si particulier qu'elles jouaient déjà pour les solains. Refuge rêvé, inatteignable peut-être, situé au-delà de l'espace.

Ô, étoiles, ce serait le titre de son poème et ses tous premiers mots.

Une porte claqua derrière lui, grande ouverte dans un éclat de lumière.

« Je me demandais quand le prince Eil finirait par envoyer ses séides, dit-il sur un ton amer. Mon oncle me prend pour un imbécile, sans doute parce que nous n'avons pas les mêmes préoccupations. Mais je voyais clair dans son jeu. Simplement, il ne me restait plus qu'à attendre. »

Par cette annonce, il entendait sans doute garder la face dans cette défaite pitoyable, comme une pièce de théâtre négligente, où les acteurs ne sont pas à leur place, où les répliques sonnent faux et tombent dans le vide, où les entractes résonnent de rires mauvais.

Derring se retourna vivement, crispé. Les nuits se faisaient froides à Méra, comme en toute terre désertique, et ses vêtements d'intérieur inadaptés laissaient le froid mordre avidement dans sa chair.

« Néa ? Vous êtes entrée à son service, finalement ? J'en attendais mieux de vous. »

La mage d'Arcs croisa les bras. Arrivée à Méra quelques années plus tôt, elle avait déjà une belle carrière à son actif – et une belle réputation. Néa appartenait à ce cercle restreint de maîtres et maîtresses d'Arcs dont les plus riches familles de la capitale s'arrachaient les services. Payés rubis sur l'ongle, ces mages se chargeaient d'ordinaire de la sécurité de leur employeur. On louait leur compétence, leur efficacité, leur capacité à commander, convaincre, parlementer, traiter des affaires délicates. Certains d'entre eux devenaient de véritables majordomes. Néa se situait peut-être sur cette pente qui ferait d'elle, en quelques années, d'une mage de haute qualité, une gouvernante aigrie obsédée par le règlement des factures.

« N'eussent été les circonstances, plaisanta Derring, j'aurais dit que votre beauté le disputait aux Étoiles. Mais nous ne sommes pas là pour poétiser.

— Je ne suis pas au service du prince Eil » annonça froidement la mage d'Arcs.

Elle avait les cheveux clairs, presque blancs. Cela se voyait de loin et lui donnait une beauté unique. Le détail qui fait toute la différence, indispensable à un diamant de prix.

Sol FinisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant