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Ce sera une histoire simple, vous verrez. Comme un film qui cartonne pas au box-office, comme une série même pas finie.

Regardez un peu. Regardez ces gars pas très nets avec leur veste en cuir et leur sourire en coin. Regardez ces filles un peu trop maigres, sans doute un peu trop jeunes, avec leur jean troué et leurs yeux explosés. Regardez les se chamailler pour rire, empiler les bouteilles vides et tirer dedans à la carabine. Sans doute que ça sert à rien, sans doute qu'ils sont naïfs comme personne. N'empêche qu'ils ratent jamais.

Levez un peu la tête, un peu sur le côté. Regardez ce gars-là avec sa casquette bien droite, il est pas comme les autres. Il est assis à moitié sur une table bancale, un genou replié et l'autre qui pend dans le vide. Regardez son regard presque attendri comme si, lui, il avait dans les cent ans. Comme si il avait tout vécu. Il parait que c'est vrai, il parait que cette casquette-là appartenait à son père. Il parait même qu'il est mort, son père.

Il a un air de gangster de quartier, avec ses yeux noirs et sa cigarette, avec le pistolet chargé posé à côté de lui. Le silence se fait quand il saute de sa table et écrase son mégot. Le silence se fait et tous les autres gars et toutes les autres filles le scrutent. Impossible de vous décrire ce qui émane de ce gars qui vient de fêter ses vingt ans dans un terrain vague, de ce gars qui porte rien sous son blouson noir. Impossible de vous dire ce qu'il pense. Mais écoutez-le, il va parler.

- Préparez-vous les gars, on va au parc ce soir. Il est temps de régler leur compte à Park et ses amis, vous êtes pas d'accord ?

Une sorte de grande clameur bordélique lui répond. Les gars finissent leur bière d'un coup, chargent à fond leurs fusils et leurs flingues minuscules. Y en a même qui prennent des battes de baseball pleines de clous, comme dans les vieux films américains. Vous savez, ceux que vos parents vous interdisent de regarder. Mais la plupart partent en guerre avec leurs poings.

Y a les moteurs qui brûlent, qui crachent et ça fait comme un grand orage. Les gens du quartier ferment leurs volets. Ils ont pas peur, non, ils ont pitié et veulent pas être dérangés. Les motos et les voitures défoncées passent à cent à l'heure devant les maisons à moitié peintes, expirant une musique trop forte qui crie à la révolte.

Ellipse. Quelques heures plus tard. C'est la nuit et c'est une autre rue. C'est pas les beaux quartiers, y a des briques qui suintent et des portes qui grincent. C'est un autre gars, sans veste et sans casquette. Il a une chemise bleu ciel ouverte sur son torse, et c'est déjà beaucoup trop de couleur pour ce coin de la ville.

Ici non plus, y a pas de silence. Y a des gamins sous le joug de l'adolescence grasse qui jouent aux grands, qui font du skate ou qui fument en toussant toutes les deux minutes. Adossés aux murs, ils suivent du regard le gars qui passe, qui est plus vieux qu'eux et qu'ils se risqueraient pas à emmerder.

Y a des rumeurs qui trainent, qui courent comme les rats. On les entendrait même pas si y avait pas les sous-titres. Il parait que ça va se cogner ce soir, dans le square de l'église. Il parait que le gang de l'est a décidé de reprendre le centre de la ville, de Finsbury square à Clermont street. Alors les gamins commencent à remonter les rues avec leurs airs de gros dur, excités comme des enfants par la guerre qui se profile. C'est même pas drôle, mais les parents bossent encore à l'usine.

Le gars ralentit un peu et attrape un gamin par le col.

- Tu sais où il est, Taehyung ?

- Kim Taehyung ?

- T'en connais beaucoup des Taehyung ?

- Près de l'église, ils vont se battre, avec Park.

Alors il le lâche et repart, le pas plus long. Celui-là à une démarche de gars sérieux, qui cherche pas plus les emmerdes que ça mais qui pourrait bien répondre plus fort que prévu. Un gars un peu trop jeune pour ces conneries mais c'est pas comme si c'était important.

Quand il arrive au parc, il s'enfonce dans la masse. Ils en ont, des spectateurs. Vu qu'il a un minimum de réputation, il arrive facilement jusqu'au centre des festivités. Et là y a celui qui a une casquette qui pointe son flingue sur un autre, un gars plus petit mais plus vieux qui porte des lunettes de soleil sur ses cheveux noirs. Malgré les trois canons dirigés sur sa poitrine, il sourit comme un gamin.

- Fous le camp.

On aurait pas cru que le gars à la casquette avait une voix aussi grave, pleine d'autorité. De tous les autres, c'est le seul qui sait tenir son arme, le seul qui tremble pas. Il paraît que son père est mort, y a cinq ou six ans. Il paraît qu'il faut pas lui résister, il paraît qu'il a déjà tiré. Et y a la police qui s'en fout.

Celui qu'il menace sourit toujours comme s'il était complètement cinglé. Il paraît qu'il l'est, cinglé, Park Jimin. Mais il arrête bientôt de sourire. C'est qu'il a tourné la tête, légèrement, et qu'une drôle de vision s'est présentée à lui. Kim Taehyung suit son regard et s'agace.

- Qu'est ce que tu fous là, Jungkook ?

Le gars à la chemise bleue s'avance avec son pas tranquille, comme s'il en avait rien à faire des balles ou des regards braqués sur lui.

- Arrêtez vos conneries.

Jimin sourit à nouveau, quasiment jusqu'aux oreilles. Et comme ça, on le croirait vraiment taré. Ses yeux vont de Taehyung à Jungkook, de Jungkook à Taehyung, comme s'il suivait un match particulièrement animé. Comme si c'était Noël, et finalement c'est presque pareil.

- Mais qu'est-ce que tu fous là, putain !

- Je t'ai dit que je ne te laisserais pas faire. Tu savais très bien que j'allais venir, Taehyung.

Il paraît qu'il a déjà tiré, le chef du gang, n'empêche qu'il baisse son arme. Aussi simplement que ça. Et que ses acolytes l'imitent.

Jungkook s'en va et Jimin se marre. On dirait même qu'il va s'étrangler. Un des gamins commence à rire aussi, les autres l'imitent. Le grand Kim Taehyung, visage clos, tire un coup en l'air pour effrayer les oiseaux.

Il paraît que son père est mort, il paraît qu'il a déjà tiré. N'empêche qu'il paraît qu'il est amoureux. Et je parie tout ce que vous voulez que vous auriez jamais été voir ce film de merde, si vous aviez pu choisir.

Fous le camp - TaekookWhere stories live. Discover now