Fous le camp - Taekook

05

Dans la ville pleine de boue et de poussière, y a plus de silence. On se bat ce soir, sur Lance avenue. Et ils feront pas de prisonniers. Pas de miséricorde. Dieu a disparu, s'il est jamais venu.

De chaque côté de la grande rue, y a les gangs qui s'avancent. Les gens biens ont barricadé leurs portes, les enfants regardent le spectacle par les fenêtres. Ça promet d'être sacrément bruyant. Sacrément violent. Mais les flics en ont rien à foutre, alors ils mourront quand même.

À droite, y a le gang de Park. Des gars un peu bancals avec des lunettes de soleil. Ils font comme s'ils étaient distingués, mais ils sont tout autant sales que les autres. C'est juste que leur chef est le plus cinglé et que, même en partant en guerre, il peut pas s'empêcher de sourire. Avec ses airs de surfeur perdu sur le bitume, ses airs d'enfant gâté à chemises à fleurs, il fait tâche dans le gris. On lui dirait bien de rentrer chez lui. Mais c'est ici, chez lui. Il a juste un style particulier, et un esprit tordu.

À gauche, y a le gang de l'est. Ceux qui doivent regagner leur honneur. Car le chef est amoureux, et pas de n'importe qui. D'un gars des beaux quartiers, du fils d'un tortionnaire. Y a des filles et y a des gars, avec des gueules d'enfants. Mais à leur tête, pas de chef. Kim Taehyung a disparu. C'est le lieutenant qui les mène à la rue. En noir des pieds à la tête, celui là a un air un peu vicelard derrière sa mine froide. Comme un vieux couvert de rides qui prépare un mauvais coup, et qui sait toujours parfaitement comment les choses vont se faire.

On se croirait dans un western. Les deux leaders cessent leur marche lente à dix mètres loin de l'autre. Un corbeau croasse, une porte claque. Y a presque du silence, pour une fois.

Et à une des fenêtres qui donnent sur la route, y a Jung Hoseok avec son fusil. Celui qui rate jamais. Un vrai boucher, un gars du gang du fleuve qu'on a jamais laissé diriger qui que ce soit.

Min Yoongi et Park Jimin s'avancent, seuls. Le premier a l'air de se faire chier, le deuxième de prendre son pied.

- Tu m'as mis sur ton testament, Yoongi ?

- Dans tes rêves Park.

Échange de civilités. Ça peut enfin commencer.

Ils dégainent leurs flingues. Celui de Park a certainement un plus gros calibre.

- Sympa, ton pote Seokjin.

Yoongi grogne.

Sept pieds d'écart, ils se préparent a tirer. Dos à dos. Un duel minuscule pour clore le tout.

Quelqu'un compte.

Dix. Neuf. Huit. Sept.

Un gamin avec des airs de Gavroche s'avance vers Jimin. Hoseok se prépare à tirer, sourire aux lèvres.

Six. Cinq. Quatre.

- Kim Taehyung a tué son mec.

Jimin regarde le gamin avec un air circonspect. Presque étonné.

C'est con, il le pensait vraiment amoureux.

Trois.

Deux.

Un coup de feu. Jimin sourit. La casquette vole et Yoongi tombe.

Il est peut-être pas si cinglé que ça, Park Jimin.

Un.

Tout le gang s'élance, pas plus engourdi que ça par la chute du lieutenant. Il est pas mort, forcément, c'est Min Yoongi. Mais il faut se venger, se refaire un nom. Alors ils cognent à n'en plus finir, ils tirent et ça finit souvent en l'air. Les enfants restent aux fenêtres malgré les balles qui claquent. Les autres répondent, avec moins d'acharnement. Et Park Jimin jubile.

Ouais, c'est un bordel pas possible.

Personne ne le voit vraiment quand Yoongi se relève. Hoseok a raté son coup. Ou alors il a trahi Jimin, on sait pas trop. Il a disparu de sa fenêtre, il s'est envolé. On le reverra bientôt, avec ses cheveux roses décolorés.

À côté de la bataille, du fracas et des coups, Yoongi s'avance vers Jimin qui se tient à l'écart, comme un entraîneur qui regarde un match.

On pourrait croire qu'il va lui faire un coup dans le dos, mais non. Il se poste à côté de lui sans vraiment faire attention à quoique ce soit.

Et y a Jimin qui dit :

- Ton pote a tué Jungkook.

Et y a Yoongi qui répond :

- Tant mieux.

Jimin a presque l'air surpris mais il sourit toujours.

- Il était pas amoureux du coup ?

- Bien sûr que non. Il a vengé son père. C'est celui de Jungkook qui l'a dénoncé, quand il avait sa planque dans son usine.

Une lumière de compréhension s'allume dans les yeux de Jimin. Il a bien gobé le mensonge. Alors ils pourraient en rester là, mais vu que c'est Jimin et que c'est Yoongi, ils le font pas.

- Pourquoi t'es pas mort au fait ?

Yoongi ne répond pas, évidemment. Il a planté son canif dans la cuisse de l'autre qui lâche un grognement étouffé. Ça doit faire sacrément mal, il manqué l'artère de peu.

- A la prochaine, Park.

- Enculé !

- Ouais c'est ça.

Et il s'en va, laissant dans son dos les membres des gangs en sang. Personne n'en a grand chose à faire de l'issue de cette bataille. Ils ont restauré l'honneur, c'est le plus important.

Yoongi s'enfonce dans la ville, dans les ruelles loin des grands boulevards. S'il fait sombre, par là, c'est que les immeubles qui penchent montent si haut qu'on voit plus le ciel. Et entre deux tas de béton, y a une autre maison en briques avec plein de gens autour. Des passants trop curieux et les derniers gars du gang qui sont venus surveiller. Ils le saluent en le voyant arriver.

- Comment ça se passe, sur Lance avenue ?

- Bien.

Et c'est tout.

À l'intérieur, y a Taehyung qui attend, sur une chaise à côté du lit. Et dans le lit, y a un cadavre sous un drap. Il parait que c'est Jungkook. Le fils du contremaître. Celui qui avait fait tuer le père de Taehyung. Il faut suivre, un peu.

Taehyung se retourne pas quand il entend celui qui arrive. Il a toujours l'air fatigué, il fume sa clope sans y penser. C'est d'une voix un peu aigre qu'il demande à Yoongi :

- Satisfait ?

L'autre soulève le drap sans hésiter.

- Bien-sûr que non.