Chapitre 3

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Shinjuku


Hajime ouvre son placard et en sort un joli costume noir, une cravate, une chemise blanche. Il se demande un instant s'il va aussi changer de boucles d'oreilles et de bijoux, puis se ravise après avoir trituré pendant quelques secondes le petit anneau qu'il porte à l'oreille droite. Ses clientes apprécient aussi la simplicité. 

Le jeune homme remplit son sac avec délicatesse, pour ne pas froisser ses vêtements, et pense à prendre sa boîte de lentilles de contact. Il attrape une barre chocolatée sur la table du salon et se dirige vers la sortie de son petit appartement de Shinjuku.

Dans le métro, il garde la tête baissée, perdu dans ses pensées. Il est fatigué, son corps encore endolori par son manque de sommeil, par les litres d'alcool qu'il a ingurgités, puis qu'il a vomis dans la même soirée.

Le trajet en métro est court ; il est monté à la station Nishi-Waseda, a emprunté la ligne Fukutoshin, pour descendre à Shinjuku Sanchôme. Moins de quatre minutes. Il ne lui reste désormais plus qu'à marcher. Hajime doit prendre sur lui pour ne pas faire demi-tour, et c'est en soupirant qu'il se force à mettre un pied devant l'autre. 

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Kabukichô


Cet endroit lui est à la fois trop familier et parfaitement inconnu. Il reconnaît les néons qui brillent aux devantures des nombreux soaplands, love hotels et salles de pachinko où des dizaines joueurs jettent leur argent et leur temps par les fenêtres. Il peut réciter presque par cœur le nom des multiples bars qui s'entassent et s'alignent dans les rues qui ne désemplissent jamais durant la nuit. Des jeunes hommes font du nanpa, haranguant les jeunes filles qui pressent le pas à leur approche, et promettent à qui veut bien les suivre une soirée inoubliable.

Hajime en reconnaît certains et sourit machinalement, comme un code entre tous ceux qui font vivre ce quartier, qu'ils le veuillent ou non. Le jeune homme pousse enfin la porte d'un bar et salue le serveur, qui lui lance :
— Le patron voudrait te parler !
— Oh ? C'est grave ?
— Non, non. Ça concerne le classement. 
Hajime acquiesce et se dirige vers un accès dérobé qui donne sur un escalier. Il grimpe les marches rapidement et déboule sur un couloir étriqué, flanqué de deux portes. Le bureau du patron et sa salle de détente, comme celui-ci l'appelle : Hajime ne veut pas savoir ce qu'il y fait.

Le jeune homme s'annonce de trois petits coups sur le bois et attend d'être invité à entrer. Il s'incline aussitôt respectueusement quand son patron, un homme d'une cinquantaine d'années, se lève de son fauteuil.
— Ah, Haru t'a prévenu. Parfait.
— Vous vouliez me voir, monsieur Koizumi ?
Hajime n'est pas sûr qu'il s'agisse de son vrai nom, mais là encore, il ne pose pas de questions.
— Oui. Au sujet du classement.
— C'est ce que Haru m'a dit. Il y a un souci ?
— Non. Pas directement, mais j'ai remarqué que tu avais perdu une place par rapport à la semaine dernière.
— Oh...
Hajime sait qu'il devrait avoir l'air plus pénitent, plus concerné, mais il ne parvient pas à feindre. Il est encore trop tôt pour qu'il se force et revête son autre masque.
— Haru m'a aussi dit que tu avais commandé moins de bouteilles.
— Beaucoup de mes clientes ont refusé de boire, et...
— Non, je ne veux pas entendre de justification. Ton boulot, c'est de les pousser à la consommation, c'est tout.
— Excusez-moi.

Koizumi retrouve sa place dans son fauteuil, s'appuie contre le dossier et plaque ses doigts les uns contre les autres, sous son menton.
— Il y en a plein ici qui adoreraient avoir ta place. Si j'étais toi, je me reprendrais assez rapidement.
— Je vais faire de mon mieux, Monsieur.
— Les clientes t'adorent pour le moment, et tu es encore très demandé, mais fais attention. Ce serait dommage de gâcher tout ce que tu as bâti.
Hajime se crispe, mais incline la tête poliment.
— Maintenant que tu as bien ça en tête, je te laisse aller t'apprêter.

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