Chapitre 7

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Shinjuku

Avec un dernier regard à son téléphone, Hajime franchit l'entrée du Kansen-en où il a donné rendez-vous à Gorka. Moins de risques de se perdre, de se manquer, moins de chance de décevoir aussi. Gorka, enrobé de son mal-être, ne mérite pas d'être déçu, de craindre un revers, de regretter l'effort, surtout quand le pas qu'il a fait est un pas lourd de sens, parce qu'il a envie d'être dans un parc insignifiant alors que le reste du monde lui est hostile. Haijme sait que Gorka l'attendra aussi longtemps qu'il le faudra, mais cette idée lui déplaît autant qu'elle l'agace ; lui aussi veut attendre Gorka.

Le jeune homme ne masque pas son regard satisfait lorsqu'il arrive au Kansen-en et que la pierre de Gorka est libre de tout présence. La pierre de Gorka... C'est drôle, tiens ! Mais c'est vrai que c'est quand même un peu la sienne, maintenant. Il n'ose même pas s'y asseoir et attend benoîtement à côté, guettant les allées du parc avec impatience sous l'indifférence des promeneurs.

Depuis combien de temps n'est-il pas sorti le soir sans avoir à reprendre son chemin de croix ? Depuis combien de temps n'a-t-il plus osé s'accorder un moment rien que pour lui sans avoir l'impression d'être égoïste ? Très certainement depuis que Ren est entré dans son existence. Ce dernier lui rappelle en effet sans cesse que la réalité est un monstre pressé, que le temps lui manque pour s'arrêter et reprendre son souffle. Ce soir, pourtant, il a mis son double entre parenthèses à défaut de pouvoir l'effacer complètement. Ce soir, il sera juste Hajime.

Quand Gorka arrive enfin, lui aussi en avance, il est presque étonné de voir l'autre garçon, qui le salue aussitôt d'un grand sourire.
— Bonsoir ! Ça va ?
— Oui.
— Cool ! Moi aussi, ça va !
— Tu n'attends pas depuis longtemps ?

Hajime croit entendre un peu de peur dans la voix de Gorka, comme s'il craignait le reproche. Le Japonais secoue aussitôt la tête en agitant les mains.
— Non, non, pas du tout. À peine cinq minutes. Et pour une fois que c'est dans ce sens-là ! Bon !
Il se frotte les mains pour les réchauffer, puis s'exclame :
— Voilà ce que je te propose. Tu me dis si tu n'as pas envie, hein ! J'ai plein d'idées de rechange au besoin.
— D'accord.
— Je connais un neko café  très sympa du côté de Shimokitazawa. Je te propose d'aller y faire un tour, puis ensuite, on ira manger ?

Gorka semble un moment décontenancé, comme pétrifié. Hajime redoute un instant d'avoir brisé leur équilibre encore fragile, mais l'Espagnol se mord la lèvre et hoche la tête avec un regard que son compagnon ne sait pas très bien interpréter.
— Tu n'aimes pas les chats ?
— Si, répond Gorka, très vite.
Cela suffira.
— OK ! reprend le Japonais. Alors... il faut qu'on aille du côté de Setagaya. Ce n'est pas hyper loin en métro ; c'est juste en dessous de Shibuya. Mais le café ferme à vingt-et-une heures trente, donc autant ne pas traîner !
Gorka acquiesce à nouveau.

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Shimokitazawa

— Tiens, tu as vu celui-là ?
Hajime pointe du doigt un félin roulé sur le dos qui dort du sommeil du juste en ronflant. Gorka jette un regard par-dessus son épaule et hoche la tête. Il se reconcentre ensuite sur son verre de jus de pomme, posé face au verre de thé glacé de Hajime. Le Japonais réajuste ses lunettes sur son nez et observe un instant son voisin, dont il aurait juré avoir aperçu le coin des lèvres se lever ; cela suffira à faire son bonheur.

— Tu as des animaux, toi ? demande encore l'étudiant en Science Politique.
— Non.
— Moi non plus. Je n'ai pas vraiment la place dans mon appartement. Et puis, je suis toujours plus ou moins occupé !
Un chat vient soudain se frotter au mollet de Gorka, qui se redresse brusquement avant de se pencher un peu sur le côté. La main du jeune homme s'agite sur la table, mais il ne bouge pas, ne tend pas le bras, et laisse l'animal grimper sur un petit fauteuil à côté de la fenêtre.

— Tu sais qu'il existe aussi des cafés avec des lapins ? On pourra y aller un jour, si tu veux.
— OK.
À nouveau, ce n'est pas un refus. Si la réponse n'est guère chaleureuse, elle a au moins le mérite d'être exprimée, et à nouveau, cela suffit.

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