Chapitre 14 - Dans la tourmente 2

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L'idée d'une application pour prévenir la population en urgence des phénomènes climatiques dangereux était intelligente, mais les précautions conseillées valaient celles d'un enfant de dix ans. Yara était exaspérée de constater une fois de plus l'impuissance de l'Office fédéral de météorologie et climatologie. Les mêmes conseils étaient indiqués, qu'importe le type d'évènement et sa violence. Certes, l'Office devait être concis dans ses conseils pour aller à l'essentiel et ne pas perdre la population en informations inutiles, mais pas au point d'en perdre toute utilité. Se mettre à couvert en cas d'intempéries prononcées relevait du bon sens. Tout le monde le savait !

Cet état de fait prouvait, aux yeux de Yara, que la Confédération Suisse avait toujours plusieurs coups de retard sur la Nature. Les conseils étaient inutiles et l'Office n'avait pu déceler le danger que dix minutes avant qu'il ne s'abatte sur Genève... Dix minutes, autant dire rien !

Un vent frais vint déranger quelques mèches du chignon serré de Yara. Elle porta son regard sur l'horizon d'où provenait ce courant d'air de plus en plus glacé et puissant. Du ciel bleu et pur qu'elle avait contemplé en se levant le matin ne restait qu'un monceau de nuages menaçants à perte de vue. La vitesse à laquelle ils fondaient sur Genève était vertigineuse. Certains recouvraient déjà la cité.

Elle se maudit d'avoir choisi de porter ses Salomé blanches pour recevoir l'ONG qui leur fournirait de nouvelles informations dans la matinée, car il faudrait courir, et vite ! Les dix minutes se transformaient à vue d'œil en à peine cinq. Yara se pencha vivement pour défaire ses chaussures. Elle serait plus rapide pieds nus. Tant pis pour les débris sur le sol qui pourraient la blesser.

Un bruit de tonnerre se fit entendre et nombreux furent les piétons qui pressèrent leur pas. Chacun traversait la route selon l'itinéraire qui lui était le plus rapide, faisant fi de prudence devant des voitures aux conducteurs tout aussi pressés. Les klaxons résonnaient et les remarques insultantes fusaient.

Yara dégrafait les lanières retenant ses chevilles quand elle entendit la maman devant elle demander à son fils.

- La maîtresse vous a dit ce que vous alliez faire aujourd'hui ?

- Non... elle a rien dit, déclara le petit bonhomme haut comme trois pommes.

S'accroupissant prestement, la maman intima à son enfant de monter sur son dos.

- Serre bien tes jambes ! On rentre à la maison.

- Mais maman, je devais manger avec Alex, protesta le petit garçon.

- L'école est trop loin et c'est dangereux d'être dehors. On rentre Alvin. C'est tout !

- Mais...

Yara avait réussi à se déchausser et prit ses jambes à son cou. Elle jeta tout de même un regard à cette famille. Le garçonnet ne devait pas avoir plus de quatre ou cinq ans et sa mère devait déjà choisir entre sa sécurité et son éducation. Le futur lui apparut bien plus sombre encore, mais contre toute attente, cela donna un nouveau souffle à sa détermination. Il lui fallait gagner ce procès pour le futur des prochaines générations, pour que d'autres ne vivent pas ce qu'elle avait enduré. Pour cela, elle devait arriver au cabinet avant que l'orage n'éclate. Elle ne devait plus perdre aucune seconde.

Elle se déporta sur la gauche et atterrit sur la pelouse qu'elle piétina allégrement. Ses foulées devenaient de plus en plus déliées. Elle remercia intérieurement les Galland pour l'avoir inscrite au baseball. Apprendre à enchaîner les « home run » lui était salutaire à présent, même si faire la course avec ce qui ressemblait de plus en plus à une tempête s'avérait plus ardu que de devancer ses adversaires lors de la partie la plus endiablée qu'elle ait jouée.

L'orage ne chaumait pas non plus. Une pluie drue s'abattait sur le nord de Genève et la luminosité avait drastiquement baissé, plongeant la ville dans un crépuscule précoce. Le souffle de plus en plus court, Yara croyait encore pouvoir rejoindre son lieu de travail quand des éclairs monstrueux fendirent le ciel. L'un d'eux tomba sur le lac et fit hurler d'effroi les passants les plus proches.

Yara sut alors qu'elle n'y arriverait pas. Elle devait à présent trouver un abri car courir augmentait le risque d'être touchée par la foudre. Elle ralentit le pas et tourna dans la première rue à droite. Aucun magasin d'ouvert. Elle avança lentement et le rideau d'eau qui tombait du ciel la rattrapa. En moins d'une minute, ses vêtements furent trempés. Si dans un premier temps, elle apprécia le froid de la pluie apaisant son corps surchauffé, bientôt des frissons la parcoururent.

De nouveaux éclairs déchirèrent le ciel déchaîné et le tonnerre ébranla ses tympans. Il n'était plus temps d'avancer. Presque à tâtons, elle se réfugia dans un renfoncement semblant mener à un parking souterrain. La porte close l'empêchait d'y entrer mais elle put tout de même se plaquer contre cette dernière, afin d'être entièrement protégée de la pluie battante par le plafond avancé. Elle fut étonnée de sentir une main se poser sur son bras et d'entendre ce qui ressemblait à un aboiement.

- Temps de chien, hurla une femme habillée de vêtements rapiécés.

- Delphine, bafouilla Yara, surprise.

Pour toute réponse, la jeune femme sourit à Yara. Le bauceron qui l'accompagnait vint quêter une caresse et aboya de contentement lorsque Yara la lui accorda. Soudain, la grêle fut de la partie. Gros comme des œufs de poule, les grêlons explosaient à l'atterrissage et rebondissaient sur leurs jambes. La violence de cet orage stupéfia Yara et elle regretta de s'être entêtée vainement à rejoindre Leemer et Salvi. Le ciel semblait ne jamais vouloir finir de déverser sa colère. La panique l'envahissait au constat de sa petitesse face à Dame Nature.

Soudain, une voiture sombre s'arrêta à leur niveau. Une portière s'ouvrit et Yara entendit une voix qu'elle ne pensait pas retrouver de sitôt.

- Montez, ordonna Jules.

Tirant Delphine et son chien après elle, elle se précipita avec soulagement du côté passager. Elle claqua la portière et laissa sa tête reposer un instant, heureuse de ne plus subir les intempéries de plein fouet.

Elle sentait la voiture bouger mais se moquait, à présent, de ce qui pouvait se passer. Elle était en sécurité et c'est tout ce qui comptait. Jules installa son véhicule dans le renfoncement que Yara venait de quitter, la porte fermée du parking le contraignant à laisser l'avant de son bolide sous le feu de la tempête. Puis, il alluma ses warning. Yara se tourna vers lui. Elle s'apprêtait à le remercier quand ses yeux remarquèrent le téléphone de Jules, posé dans l'emplacement entre leurs deux sièges. L'écran allumé laissait entrevoir une carte avec un point rouge, comme un système GPS. Surprenant son regard, il récupéra tranquillement l'objet et le mit en veille.

- Alors sauvée, susurra-t-il, fier de lui.

Mais l'image de la carte restait gravée dans l'esprit de Yara.

Peut-être, répondit-elle.

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