Bribes de souvenirs

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Lundi, le soleil peinait à percer les nuages, autant que j'avais éprouvé des difficultés à rejoindre les bras de Morphée.

Comme toujours, j'avais passé un temps bien trop conséquent à me maquiller, de façon à ce que les gens s'attardent plus sur le rouge vif appliqué sur mes lèvres qu'à la tristesse qu'ils auraient pu lire dans mes yeux.

J'aperçus le véhicule à travers la fenêtre du séjour, je fus tétanisée, incapable de faire un pas de plus. Le chauffeur du VSL m'envoya alors un SMS, auquel je répondis par un message d'excuse lui précisant que j'étais malade, un événement qui se reproduisit quatre fois encore cette semaine-là.

Une éducatrice du service de jour appela mon père, ses paroles étaient les mêmes que la juge aux affaires familiales, me placée en foyer ou en famille d'accueil si je n'y retournai pas rapidement.

Plusieurs mois défilaient pourtant avant qu'une décision ne soit prise. Les vautours volaient apparemment au-dessus d'autres proies, momentanément du moins.

Mes seules paroles durant cette période sont de banales politesses à l'égard de celui qui m'a vu naître. Les volets fermés en permanence, je n'ai plus aucune notion de l'heure, de l'actualité ou de la météo.

Cela ne me ressemble pas mais je me laisse complètement aller, physiquement, intellectuellement.

Je suis cependant consciente de la réalité, je suis abimée, plus qu'auparavant.

Comme si tout ce à quoi j'avais fais face depuis l'enfance me submergeait tout à coup, il fallait que toutes les émotions que j'avais intériorisées jusqu'à présent s'autorisent à se libérer enfin.

Il est normal et surtout bénéfique de tomber, il faudrait que nous soyons plus bienveillants envers nous-mêmes, que nous nous laissions le droit d'échouer, de se casser la figure parfois.

La véritable force ne réside pas dans le fait de ne pas pleurer de faire semblant d'être heureux, mais dans l'art de se battre, contre ses démons, ses failles et se relever peu importe le temps que cela demande et les plaies en pleine cicatrisation.

Nous aimerions tous avoir assez de recul pour agir ainsi, à l'époque que je fus incapable de raisonner de cette manière.

Je me sentais sur un fil, penchant plus près du vide que vers la vie, il aurait suffit d'une infime brise pour m'abattre, j'ai eu la chance d'être retenue par un baudrier. Ridicule métaphore pour signifier que mon père m'a une fois de plus, sauvé la vie.

Âme vide, au bord du précipice mais soutenue malgré tout.

Aujourd'hui j'ai appris à danser sur ce fil, avec mes quelques blessures couvertes de bandages, en vie, envie de me battre.

Les rapaces avaient fait leurs retours, ils avaient décidé que je devais une nouvelle fois aller entre ces murs dont je connaissais chaque détail, la même chambre que j'avais occupée durant deux mois.

L'hôpital psychiatrique, encore.

Dans ces pièces que je retrouve des bribes de souvenirs apparaissent, je me rappelle de ce jeune qui avait enfoncé son poing dans une télévision, de ces deux autres qui s'étaient battus dans le couloir, des distributions quotidiennes de médicaments, des bruits de coups contre les murs, de prénoms et d'anecdotes diverses.

Et de cette chambre d'isolement que je ne pourrai sans doute jamais oublier.

Outre les souvenirs qui réapparaissent d'un coup et s'imposent à moi, des visages me sont familiers, en effet certains étaient ceux que j'avais côtoyés pendant plusieurs semaines et d'autres venaient de l'hôpital de jour.

Après un mois le directeur de l'établissement m'indiquait qu'il souhaitait que je sorte de l'hospitalisation complète afin de retourner dans la structure de jour. Cependant la direction du service refusait catégoriquement qu'une sortie définitive ait lieue le week-end ou un vendredi.

Mon père était en déplacement professionnel, il rentrait justement le vendredi, les semaines sont passées et je suis finalement restée plus de trois mois.

Je tenais un journal dans lequel j'écrivais quotidiennement, objet dont il ne reste rien puisque je l'ai entièrement découpé quelques mois avant ma majorité.

Une manière de tourner la page, littéralement.


-25.01.20 publication initiale-

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