Sois mon parent

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TW: Ce chapitre traite de suicide et de dépression.

Préserver, panser, toujours, même si cela signifiait tout porter sur mon
corps d'enfant, puis de trop adulte.

Un jour après une dispute, en lui ouvrant la porte-fenêtre son père lui dit « vas-y jettes-toi par la fenêtre, au moins tu ne nous souleras plus, même ça tu n'en es pas capable » devant sa femme, ma grand-mère, et moi, alors âgée de neuf ans.

Lorsque nous sommes rentrées, j'ai senti que si je ne faisais rien elle se suiciderait. J'ai caché tous les objets coupants, les médicaments, les sacs plastique, les divers liens et écharpes, les clefs afin qu'elle ne puisse sortir.

Elle était tellement dans son monde qu'elle n'a rien remarqué. Cette nuit-là je me suis relevée une dizaine de fois pour m'assurer qu'elle ne s'était pas étouffée avec un oreiller ou un vêtement, je suis finalement restée assise sur le petit tabouret placé à coté d'elle.

Quand elle commençait à émerger j'ai vite rejoint mon lit afin qu'elle ne se rende compte de rien.

Lors de la séparation de mes parents, la juge a confié la garde à ma mère, comme dans soixante-treize pour-cents des cas, sans analyser la situation.

C'est après s'être battu accompagné par son avocate que mon père a enfin obtenu ma garde.

Avant cela je sais qu'il a vécu de dures périodes, les logements de mes
parents étaient séparés uniquement par un parking sur lequel mes voisines et moi, nous amusions chaque soir.

Du coin de l'oeil je guettai la montée d'escaliers afin de l'apercevoir rentré du travail, il ouvrait alors la porte d'entrée et restait sur la terrasse à nous regarder. Nous nous faisions coucou d'un geste de main, on m'avait tellement menacée de tout et n'importe quoi si j'allais le voir que la peur me tenaillait en permanence, celle d'être placée en foyer ou en famille d'accueil, celle que mon père soit puni pour l'unique fait d'avoir vu son enfant, celle que l'on soit séparés de nouveau.

Je me remémore encore les yeux humides de ma grand-mère lorsque nous passions devant une maison que nous connaissions bien, celle dans laquelle sa fille et son gendre m'avaient élevée, elle me disait « tu sais j'aimerais que tu voies plus ton père mais j'ai peur que le juge ne l'apprenne ».

Ma mère n'était pas en capacité de s'occuper de la petite fille de neuf ans que je fus, elle était hospitalisée en psychiatrie.

Décision des vautours était prise, j'habiterai le temps nécessaire avec ma grand-mère et son mari, mon grand-père biologique avec lequel je n'avais jamais créé le moindre lien affectif.

Ils avaient eu cinq enfants, il était la grande gueule sévère manquant de tendresse et d'ouverture d'esprit, elle était la mère et peinait à être plus que
cela, à s'épanouir en tant que femme, à acquérir son indépendance et sa liberté.

Elle s'était auto emprisonnée en tant qu'épouse, mère de famille et puis grand-mère.

Toute sa vie elle aura tout donné aux autres, jusqu'a se sacrifiée, aujourd'hui ce n'est sans doute pas par hasard que ses souvenirs s'effacent. Sauf mon père et son prénom, habituée à être en
avance au supermarché et attendant patiemment face à un rideau de fer, ils se croisaient régulièrement.

Sans cesse à gagner du temps, jamais elle ne s'autorisait à être humaine, imparfaite, avec ces fameuses failles qui nous rendent d'autant plus bons et précieux.

Ses jambes habillées de collants chair été comme hiver, sa mise en plis protégée par un petit bonnet en plastique les jours de pluie, on la voyait marcher d'un pas rapide dans le village.

Elle était de ceux qui parlent peu, ne se plaignent pas, de ces perles que l'on omet de remercier.

Le domino qui, si il chutait, entrainait l'effondrement des autres. L'épaule,
l'écoute, les bras pudiques et hésitants, réconfortants.

C'est auprès d'elle que je m'endormais après avoir fait un énième cauchemar.

Elle faisait partie de cette génération où l'on ne laissait pas la femme gérer les finances d'un foyer, attendant que son mari lui confie l'argent nécessaire aux courses, elle ne se faisait jamais plaisir, ses proches passaient toujours avant et ensuite elle estimait sans doute futile et superficiel de s'offrir ne serait-ce qu'un vêtement.

Ainsi elle faisait un détour afin de m'acheter une centaine de scoubidous qui m'occupait sur l'immense table du séjour, la télévision beaucoup trop forte en fond sonore, et elle, derrière moi, concentrée sur ses mots croisés ou son tricot.

Lorsque nous revenions de l'école je l'implorais de créer une dictée, jamais rassasiée, je voulais encore écrire, apprendre, cela représentait une échappatoire pour moi.

Ma mère était hospitalisée mais elle n'était pas malade, du moins sa maladie était invisible physiquement, elle n'était pas discrète cependant, mais bien là à chaque instant, mentale, définitive.

Je me souviens d'un appel de sa part à ma grand-mère, dans le couloir j'entendis ses mots « Maman je vais
enfin avoir un enfant comme je veux, tu te rends compte ».

Aussi étrange soit-elle ma première pensée fut positive, j'en avais longtemps rêvé j'allais être grand soeur, je ne me sentirais surement plus jamais seule.

Droit de visite.Where stories live. Discover now