Chapitre 2. Au clair de la lune

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Ça devait être une petite ferme. Pas de quoi y abriter plus de quatre chèvres et deux moutons. Les meubles y étaient encore, on y trouvait de la literie, des couvertures, des vêtements, de la vaisselle. Tout avait été laissé tel quel, comme si les habitants n'en étaient partis que la veille. Auro avait allumé un feu dans l'âtre, et quand on voyait par les petites ouvertures, le noir et le froid de la nuit, on y était bien.

– On devrait être en sécurité jusqu'au matin » dit Livaï en donnant de quoi se couvrir aux civils qui tremblaient encore de froid. « Je prends le premier tour de garde. Nous partirons dès l'aube. »

– Entendu », lui répondirent en cœur Petra et Auro, et il sortit en silence.

Il n'y avait que des hommes. Six d'entre eux étaient d'âge moyen, dont trois costauds. Deux ne semblaient pas avoir vingt ans, et le dernier était un vieillard, le même que celui qu'il avait vu dire adieu à son gamin avant de partir. Curieuse ironie.

Dehors, le froid s'était intensifié, et même doublées de fourrure, sa cape et ses bottes ne parvenaient pas à lui tenir chaud. Au moins le temps s'était éclairci. S'il restait stable jusqu'au lendemain, ils pourraient rallier le reste des troupes sans trop de problèmes. Pour une fois les choses n'allaient pas si mal.

***

Nous étions au chaud, le ventre à peu près plein grâce aux réserves que nous transportions, et que nous avions partagées avec les civils, en sécurité jusqu'au matin. Que demander de plus ?

Auro s'était endormi comme une souche, enroulé dans sa couverture. Pour ma part je n'avais pas sommeil, et demeurai assise en face du feu, les yeux rivés sur les flammes qui passaient du bleu à l'orange et dansaient comme de petits oiseaux. Deux de nos nouveaux compagnons s'étaient mis à jouer au cartes. Ils me proposèrent de rejoindre la partie, je refusai poliment. Au bout d'une heure, ils s'assoupirent à leur tour, et je restai seule à veiller dans le silence de la nuit. Le Caporal chef était là dehors. Est-ce qu'il avait froid ? Est-ce qu'il avait peur ?

Avec le temps, j'avais appris à lire les émotions sur son visage. Je savais quand il était inquiet ou contrarié – c'est-à-dire souvent – mais aussi plus serein, et il m'avait semblé que l'anxiété des dernières heures s'était un peu estompée en lui, pour laisser place à quelque chose de plus tranquille. Quand il avait levé les yeux vers la lune toute ronde et humé les petites paillettes de givre qui avaient imprégné l'atmosphère, il m'avait même semblé distinguer sur ses lèvres l'esquisse d'un sourire. Mais je n'en étais pas sûre. Le caporal chef ne souriait jamais après tout. Avait-il déjà connu le bonheur ? Quel genre de vie avait-il mené pour devenir aussi rêche qu'une pierre brisée ? Depuis que nos regards s'étaient croisés, je devais admettre que cet homme me fascinait, mais m'effrayait aussi. La vérité, c'est que je ne pouvais l'imaginer autrement qu'harnaché de son équipement tridimentionnel, lames au clair, en train d'affronter des titans. J'avais cru rêver la première fois que je l'avais vu faire. Il se mouvait avec la force et la vitesse d'une bourrasque qui emmène et prend tout sur son passage. Une tornade. Auro avait alors été subjugué, ne cultivant depuis qu'une obsession, devenir comme lui. Moi j'étais plus prudente, et j'avais peur que cette force qui décimait tout ce qu'elle touchait ne l'emporte aussi, ne détruise cette sensibilité qui affleurait parfois discrètement dans ses yeux, et qui le faisait crier la nuit, très tard.

***

Après deux heures de garde, il méritait bien un peu de repos, avant de se transformer définitivement en glaçon.

– Auro », marmonna-t-il en ouvrant doucement la porte.

Tout le monde dormait.

– Auro », répéta-t-il en bousculant légèrement l'intéressé qui ravala son ronflement et ouvrit péniblement les yeux. « Tu prends le tour de garde. »

Un monde de blancWhere stories live. Discover now