3. Quelque part au milieu de rien

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La pluie.

La pluie à n'en plus finir, comme si le monde versait tout ce qu'il avait d'eau et de larmes sur leurs pauvres caboches. Et lui, là debout qui n'en avait même plus assez pour pleurer. Seulement la douleur dans ses jambes, dans ses bras, dans chacun de ses os, tous les fibres de ses muscles. Dans sa tête surtout.

Le monde s'était effondré, et dans son esprit, ça n'arrêtait plus de hurler. Il ne voyait alors qu'une chose, une seule. Une tignasse aux mèches éparses et rousses échouée dans la boue. Ce regard creux qui ne disait plus rien.

Elle était morte comme un papillon qui disparaît dans la nuit, sans même qu'il sache comment.

Ils étaient morts tous les deux, et il n'avait rien pu faire.

Ils étaient morts tous les deux, et l'avaient laissé tout seul, dans ce monde trop grand et trop sombre.

À cause de ça, à cause d'eux. De ces monstres qui dérobaient leur chair et leurs vies. Qui avaient dérobé la leur en les brisant comme on déchire des poupées de chiffons.

Combien de temps leurs cris résonneraient-ils encore dans sa tête ?

***

Lorsqu'il ouvrit les yeux, son souffle était très fort, son front couvert de sueur et ses mains tremblantes. Dans sa poitrine, son cœur tambourinait rageusement, encore en proie à la colère et à la peur. Un cauchemar. Encore. Toujours le même. Ce foutu cauchemar qui ne le quittait plus depuis qu'il les avait perdus.

En s'étirant, Livaï inspira profondément et jeta un œil autour de lui. Le feu crépitait toujours, plus faiblement cependant, et éclairait le visage endormi d'Auro. On voyait par les fenêtres un ciel légèrement éclairci par l'aurore, mais aucun signe de Petra. Même ses vêtements avaient disparu.

– Petra ?

Son épaule le lançait, il avait chaud, d'une chaleur pâteuse et moite qui rend le souffle lourd, et comprit que la sueur sur son front n'était pas seulement due au cauchemar. Ça expliquerait au moins pourquoi il avait dormi aussi longtemps.

En poussant un grognement, il se redressa et boitilla jusqu'à la cheminée pour alimenter le feu. Son uniforme avait séché. Il terminait de l'enfiler lorsque la porte s'ouvrit sur la silhouette de Petra.

– Caporal chef ? Comment vous sentez-vous ?

– J'ai connu mieux...

– Laissez-moi voir.

En s'approchant de lui, elle tendit le bras et posa doucement sa main fraiche sur son front.

– Vous avez de la fièvre.

– Je sais.

– Auro aussi. C'est parce que je n'ai pas pu désinfecter les plaies.

Sans tenir compte de sa remarque, ni de l'air désolé de la jeune femme, il s'avança jusqu'à l'une des fenêtres et jeta un œil dehors. Le temps était clair, mais la journée s'annonçait très froide.

– Quelque chose à signaler dehors ?

– Rien pour l'instant. J'ai fait le tour du périmètre, il n'y a pas de titans aux alentours, mais aucun signe des autres non plus.

La situation n'était pas bonne. Sans chevaux ils progresseraient trop lentement, d'autant plus qu'Auro ne pouvait pas marcher. Leurs réserves en gaz se limitaient aux bonbonnes qu'ils portaient depuis la veille, et toute la nourriture avait disparu.

– On devrait peut-être attendre les secours ici... » suggéra Petra, comme si elle avait lu dans ses pensées.

– C'est une possibilité, mais il faut aussi prendre en compte le fait qu'ils ne viennent jamais. Nous ne savons ni où ils sont, ni s'ils ont survécu.

Un monde de blancWhere stories live. Discover now